La déforestation bénéfique pour le réchauffement climatique ? Dans certaines conditions, oui !<!-- --> | Atlantico.fr
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Une zone victime de déforestation, en Colombie.
Une zone victime de déforestation, en Colombie.
©Raul ARBOLEDA / AFP

Atlantico Green

Selon une étude américaine, la déforestation pourrait avoir eu pour effet de refroidir la planète. En effet, sous certaines conditions, les forêts réduisent l’albédo, c'est-à-dire le rayonnement solaire que réfléchit la surface de la Terre vers l’atmosphère.

Thierry  Gauquelin

Thierry Gauquelin

Thierry Gauquelin est professeur à Aix Marseille Université et chercheur à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale (IMBE)

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Atlantico : Selon une étude de Christopher A. Williams, professeur à la Graduate School of Geography de l'Université Clark (Massachusetts), la déforestation pourrait avoir eu pour effet de refroidir la planète. Quel est le processus mis en avant pour expliquer cet éventuel effet bénéfique de la déforestation sur le climat, sachant que cette déforestation n’est évidemment pas souhaitable pour plein d’autres raisons (désertification, érosion des sols et surtout émission de dioxyde de carbone, perte de biodiversité) ?

Thierry Gauquelin : Effectivement, sous certaines conditions, les forêts, du fait notamment de leur couleur foncée, réduisent l’albédo, c'est-à-dire le rayonnement solaire que réfléchit la surface de la Terre vers l’atmosphère ; L’atmosphère se trouve ainsi réchauffé, plus qu’elle ne le serait au niveau d’un milieu ouvert non forestier qui peut résulter d’une déforestation plus ou moins ancienne. C’est ce que cette étude met en évidence en postulant que la déforestation pourrait permettre de refroidir la planète du fait de cet effet albédo plus important dans les milieux ouverts.

Cette étude souffre cependant d’un certain nombre de limites qui rendent ces spectaculaires conclusions, ayant fait l’objet de gros titres alléchants, bien hâtives et pour le moins contre-productives dans la mesure où elles montreraient que finalement, d’un point de vue strictement climatique, mieux vaut un milieu ouvert, déboisé qu’une forêt. De plus, cette étude intervient au plus mauvais moment...ou au meilleur, quand on s’interroge, à juste titre, sur l’intérêt de plantations à grande échelle comme une des leviers permettant de diminuer l’effet de serre, d’arriver à la neutralité carbone, par une fixation de carbone qui contrecarrerait nos émissions de CO2...qui, faut-il le rappeler, doivent dans tous les cas être fortement diminuées.

Ces limites, d’un point de vue scientifique, sont de différents ordres. D’abord cette étude ne concerne que les forêts des Etats-Unis d’Amérique, qui ne sont pas représentatives de l’ensemble des forêts allant, à l’échelle planétaire, des forêts tropicales humides aux forêts steppiques des milieux arides en passant par les forêts méditerranéennes ou boréales. La généralisation est donc difficile à faire, les forêts sont plurielles ; leur comportement l’est aussi.

Mais le plus grave n’est sans doute pas là. Les auteurs précisent que le compartiment sol n’a pas été pris en compte. Or le sol, à l’échelle globale, constitue un réservoir de carbone 3 fois plus important que la végétation. Si la déforestation conduit d’abord à un relargage, à plus ou moins long terme, du carbone contenu dans la végétation, elle se traduit aussi par une perte importante du carbone du sol qui enrichie alors l’atmosphère en CO2, à l’origine du réchauffement climatique. Ce compartiment sol si fondamental doit donc nécessairement intervenir dans ce bilan.

Enfin, il faut considérer l’évapotranspiration, à peine évoquée, (évaporation de l’eau du sol et transpiration des plantes) dont on sait qu’elle est évidemment beaucoup plus importante dans les milieux forestiers et qui constitue un très efficace facteur de refroidissement, l’énergie solaire étant dans ce cas utilisée plus pour évaporer que pour réchauffer. On sait aussi que les composés organiques volatils émis par les arbres des forêts peuvent favoriser la formation des nuages et modifier localement les conditions climatiques. Les choses sont donc plus complexes, comme l’est, par définition, le fonctionnement des écosystèmes forestiers.

Le chercheur alerte également sur l’importance de l’emplacement des forêts. Il explique ainsi qu’aux Etats-Unis, la disparition des forêts à l'est du fleuve Mississippi a provoqué un réchauffement planétaire, tandis que la déforestation dans l'Intermountain et Rocky Mountain West a entraîné un refroidissement net. Comment est-ce possible ?

Effectivement les conclusions concernant l’impact de la déforestation sur le climat sont contrastées selon les régions et selon aussi l’ancienneté de cette déforestation, sans que des explications précises puissent être donnés par les auteurs. Forêts de feuillus caducifoliés ou forêts de résineux sempervirents, forêts mono-spécifiques ou forêts mélangées n’ont de toute évidence pas le même comportement par rapport à l’albédo. Le devenir du bois issu de la déforestation mais aussi le type de formation végétale ayant succédé à cette forêt, cultures, milieux arbustifs, prairies, etc, joue aussi sur le bilan réalisé entre le carbone libéré dans l’atmosphère par cette déforestation conduisant à un réchauffement et l’effet albédo lié à cette même déforestation générateur de refroidissement. Toute généralisation dans les processus est alors difficile !

L'"effet albédo” est-il important à prendre en compte lors des campagnes de reforestation ? Sans ça, ne risque-t-on pas d’avoir des effets contre-productifs ?

La reforestation et les plantations sont de toute évidence et mécaniquement un moyen efficace de fixer du carbone et donc de diminuer la concentration du CO2 dans l’atmosphère, même si effectivement l’effet albédo doit être prise en compte, et c’est tout l’intérêt de cette étude de mettre l’accent sur cet aspect. Mais, au-delà, suggérer que la déforestation puisse être favorable au climat n’est pas raisonnable. Car les forêts, ce sont bien autre chose que le seul effet albédo. Les forêts ce sont un ensemble de services écosystèmiques fondamentaux, allant de la régulation du cycle de l’eau, la qualité de l’air, la fixation du carbone, la préservation du sol, l’intérêt économique et récréatif... et bien sûr le maintien de la biodiversité.
Certes certains milieux ouverts présentent aussi une haute valeur environnementale mais laisser croire que finalement la solution réside dans leur extension au détriment des forêts est effectivement contre-productif, voire provocant.

Cela permet de rappeler que la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation des écosystèmes et de leur biodiversité, sont indissociables ; GIEC et IPBES, même combat. Et le sol, longtemps délaissé, doit être au centre de ces préoccupations. Plus généralement, l’approche ne peut être qu’holistique, une approche sectorielle, certes intéressante, n’est jamais suffisante pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes ... et les écologues scientifiques le savent bien.

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