La biomasse, une illusion écologique ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Un ouvrier tient à la main des pellets de biomasse densifiée à la centrale électrique au charbon EDF de Cordemais, dans l'ouest de la France.
Un ouvrier tient à la main des pellets de biomasse densifiée à la centrale électrique au charbon EDF de Cordemais, dans l'ouest de la France.
©Sébastien SALOM-GOMIS / AFP

Atlantico Green

La transition énergétique occupe une place de plus en plus importante dans le débat public. Parmi les alternatives, certains proposent d’utiliser la biomasse en remplacement de certaines énergies fossiles.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

Voir la bio »

Atlantico : Quelles sont les différentes formes de biomasse et que représentent-elles dans le mix énergétique français ? 

Philippe Charlez : La biomasse existe sous les trois états de la matière : solide (le bois), liquide (les biocarburants) et gazeuse (le biogaz).

 Le bois était la principale source d’énergie des sociétés préindustrielles. S’il s’est progressivement effacé au profit des trois combustibles fossiles à partir du milieu du XIXéme siècle, il reste aujourd’hui une source majeure d’énergie dans les sociétés traditionnelles asiatiques et africaines. En 2019, il représentait encore près de 10% du mix énergétique primaire mondial bien loin devant l’éolien et le solaire. En France, le bois est loin d’être marginal : il compte pour 7,5 % de la consommation finale d’énergie. 

De nombreux végétaux contiennent dans leurs graines ou dans leurs fruits de l’huile (sésame, courge, lin, tournesol, noix, amande, noisette, olive) ou des sucres (betterave, canne à sucre, blé, maïs, colza) dont la composition chimique est proche de celle des hydrocarbures et des alcools. Les moteurs thermiques de voitures fonctionnement parfaitement avec des huiles (biodiésel) ou des alcools (bioéthanol) végétaux. Si la production de biocarburants a été multipliée par huit au cours des dix dernières années, leur part (3%) dans le mix transport reste modeste. Les principaux producteurs sont les Etats-Unis (36% de la production surtout à partir de maïs), le Brésil (23,5% surtout à partir de canne à sucre) et l’Europe (17% surtout à partir de blé). 

La méthanisation consiste à collecter des déchets provenant de l’agriculture (déjections animales, résidus de récolte), de l’industrie agro-alimentaire (abattoirs, caves vinicoles, laiteries, fromageries) ou du domestique (tontes du gazon, ordures ménagères, boues et graisses de station d’épuration) pour ensuite les introduire dans un « méthaniseur » (cuve hermétiquement close et chauffée à 40°C) en présence de bactéries. Ces dernières digèrent la matière organique et rejettent un gaz riche en méthane appelé biogaz. Une fois la méthanisation terminée le gaz est extrait tandis que le résidu digéré appelé « digestat » est utilisé comme fertilisant. En 2021 le biogaz couvrait 4% de la consommation européenne de gaz naturel. L’Allemagne (51% de la production européenne) devance largement l’Italie et la Grande-Bretagne. De son côté, la France est à la traîne avec seulement 3% de la production européenne.

Auteur de l’ouvrage "Bright Green Lies", Max Wilbert soulignait récemment certaines hypocrisies concernant la biomasse. Peut-on vraiment la considérer comme verte ? Quels sont ses avantages et ses inconvénients ?

En tant qu’énergie verte, la biomasse au sens large a un avantage décisif par rapport à ses confrères éolien et solaire : elle se stocke et se transporte facilement. En revanche pour répondre plus précisément à la question, il faut analyser séparément biomasse solide, liquide et gazeuse. 

Un premier inconvénient du bois est sa faible densité énergétique : un puits de pétrole moyen contient l’équivalent énergétique de dix mille hectares de bois. En d’autres termes, si le charbon puis le pétrole n’avaient pas été substitués au bois à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, il y a longtemps…qu’il n’y aurait plus d’arbres sur notre belle planète. Par ailleurs, dans les faits, le bois (qui est du carbone presque pur) émet…davantage de CO2 que le charbon, du pétrole et du gaz. C’est par un mécanisme de compensation très discutable (les émissions de l’arbre brûlé son compensées par un nouvel arbre planté) que le bois est considéré neutre en carbone. Aussi, est-il dans le collimateur de l’UE désirant arrêter toute subvention. Une décision négative pour la France dont le bois reste la première source d’énergie renouvelable. Largement utilisé dans les pays émergents le bois est à l’origine de maladies respiratoires mortelles résultant de l’inhalation de fumées toxiques et de particules fines de suie. Pour le seul continent africain, il serait responsable de cinq millions de morts par an

La biomasse liquide présente de nombreuses externalités négatives. Lorsqu’on « brûle » du biocarburant dans un dans un moteur de voiture, il émet autant de CO2 comparé au diésel ou à l’essence fossile. Comme pour le bois sa neutralité carbone repose sur un hypothétique cycle émission/absorption. Dans une étude très détaillée datant de 2015, l’Union Européenne remet largement en cause la vertu climatique des biocarburants qui émettraient sur l’ensemble de leur cycle de vie (émissions grises) davantage de gaz à effet de serre…que ses confrères fossiles. L’effet de taille inhérent à la biomasse solide se retrouve au niveau des biocarburants : il se chiffre en hectares de surfaces cultivables et en mètres cubes d’eau d’irrigation [1].  A quantité d’énergie équivalente, un litre de biocarburant demandera entre 12 000 et 30 000 fois plus de surface au sol qu’un litre de pétrole. Cultivés sur des terres paysannes, les biocarburants entrent de facto en concurrence avec l’agriculture alimentaire dont ils peuvent indirectement faire flamber les prix. En résulte un problème éthique entre pays émergents soucieux de nourrir leurs populations et pays développés capables de payer toujours davantage pour leur confort énergétique. 

En revanche, la méthanisation des déchets a le double avantage de produire de l’énergie tout en traitant des déchets organiques. Sans méthanisation les déchets se méthanisent à l’air libre et rejettent du gaz naturel (pouvoir réchauffant 25 fois supérieur au CO2) directement dans l’atmosphère. La principale difficulté de la filière est de disposer de matière organique en abondance. L’efficacité du tri et de la collecte des déchets en est le défi majeur.

Faut-il pour autant renoncer à la biomasse comme alternative potentielle à notre mix actuel ? Ou l’intégrer différemment à notre consommation d’énergie ? Quelle est la bonne réponse à apporter à ce genre de discours ?

Il ne faut certainement pas renoncer à la biomasse bien au contraire. La France possède tous les atouts pour devenir un leader mondial. Le développement de la filière devrait permettra d’accroitre significativement la proportion de biomasse dans le mix énergétique français. Elle représente aussi une opportunité pour les agriculteurs un levier pour diversifier leur activité et accroitre leurs sources de revenu un point essentiel en pleine crise agricole européenne. Ainsi le biogaz augmenterait de 15% à 20%[2] les revenus des agriculteurs. Cependant, pour réussir économiquement les exploitations devront changer d’échelle en mutualisant les méthaniseurs en réseau au sein de coopératives. 

Limitée, la ressource en biomasse sera prioritisée en fonction de son utilité. Le bioéthanol sera dédié aux voitures individuelles tandis que le biodiesel affecté en priorité aux machines agricoles, aux bateaux de pêche, aux engins de travaux publics ainsi qu’à la fabrication de carburants aériens. Si le biogaz est adapté aux poids lourds et (sous forme liquéfiée) au transport maritime, il sera surtout utilisé pour produire de la chaleur dans le bâti et l’industrie. 

L’utilité des biocarburants dans les transports du futur montrent combien la décision de l’Union Européenne d’interdire la construction de véhicules thermiques neufs après 2035 est trop brutale et son échéance prématurée. De même, si l’arrêt des chaudières au fioul est une décision cohérente, l’arrêt des chaudières au gaz initialement prévue en 2026 et maintenant reportée serait une grave erreur. Qu’il soit vert ou naturel, le gaz continuera de jouer un rôle essentiel dans le bâti du futur.


[1] P.A. Charlez (2017) « Croissance Energie, Climat. Dépasser la quadrature du cercle ». Editions De Boek Supérieur

[2] Conférence inaugurale de Th. Blandinière - Journées EVOLEN 2020

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !