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L'Europe post-chrétienne ouverte à tous les vents islamistes, retour sur la mosquée de Strasbourg et le Milli Görüs.
L'Europe post-chrétienne ouverte à tous les vents islamistes, retour sur la mosquée de Strasbourg et le Milli Görüs.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Géopolitico Scanner

Alors que le gouvernement français a érigé la lutte contre l’islamisme en priorité, l’organisation turque Millî Görüs projette de construire la plus grande mosquée de France à Strasbourg. Alexandre del Valle revient sur ce mouvement.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le mouvement islamiste turc Millî Görüs a fait couler beaucoup d'encre depuis que le scandale du financement de la grande mosquée Eyyub Sultan de Strasbourg (2,6 millions d'euros) a contraint le gouvernement à réagir. Le Millî Görüs est l'une des trois fédérations (sur huit) du Conseil français du culte musulman (CFCM) ayant refusé de signer la « charte des principes de l’islam de France », présentée en janvier à l’Élysée. Alexandre del Valle revient sur ce mouvement islamiste devenu la bête-noire du gouvernement mais que les écolos EEVL de Strasbourg persistent à vouloir financer.

Le Millî Görüs (« Vision de la communauté nationale », en turc), créé en 1969 par un admirateur des Frères musulmans et de l'islamisme pakistanais, Necmettin Erbakan, est le premier mouvement islamiste de masse de la Turquie contemporaine. Il se réfère à la fois à l'islam des «ancêtres dévots» («As Salaf») et à celui de l'âge d'or du califat ottoman et des conquêtes de la Sublime Porte qui feraient des Turcs les "meilleurs serviteurs et conquérants de l'Islam". Le but premier du Millî Görüs est de combattre la laïcité, les perversions occidentales, le kémalisme et la «franc-maçonnerie judaïque», dont Atatürk aurait été l'incarnation. Il est la matrice de l'islamisme turc, de même que les Frères musulmans le sont pour l'islamisme arabe. Il a inspiré l'AKP d'Erdogan et tous les partis islamistes qui l'ont précédé. Le mouvement est monté en puissance en 1996 lorsqu'Erbakan est devenu Premier ministre, et après qu'Erdogan soit devenu maire d'Istanbul en 1994. Il a inspiré tous les partis islamistes turcs depuis les années 1970 qui étaient alors combattues par les Kémalistes et militaires laïques: MSP, Refah partisi, Fazilet, AKP, etc. Ce dernier, le parti de la Justice et du Développement, au pouvoir à Ankara depuis novembre 2002, s'est un moment éloigné du Millî Görüs, qui est encore plus radical que lui, mais les proximités idéologiques demeurent d'autant plus importantes qu'Erdogan cherche à les utiliser dans sa stratégie extérieure.

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Antisémitisme virulent et complotiste

Pour le fondateur du Millî Görüs, Necmettin Erbakan, les Juifs sont la cause de tous les maux des musulmans et ils ourdissent en permanence des complots avec le soutien du  "sionisme international". Le pire des complots ayant été la création de la République turque laïque-kémaliste par le "juif masqué" et franc-maçon" athée Atätürk, coupable d'avoir aboli le Sultanat-Califat ottoman et la Charià, interdit l'islam politique, émancipé les femmes puis transformé Sainte Sophie - devenue mosquée en 1453 avec la conquête ottomane d'Istanbul - en musée. Selon lui, même les croisades chrétiennes auraient été ourdies par les sionistes, tout comme «le racisme, l'islamophobie, l’impérialisme et même l'hégémonie du dollar américain... Recep Taiyyp Erdogan a milité très tôt dans cette mouvance foncièrement anti-occidentale, judéophobe, christianophobe et anti-kémaliste, dont il est vite devenu un poids lourd, ravissant la mairie d’Istanbul en 1994. Peu avant, alors qu'il encadrait un mouvement de jeunesse du parti islamiste issu Millî Görüs, le MSP, il avait écrit une pièce de théâtre intitulée "MASKOMYA" (masun-komunist-yehoud), diffusée au sein des sections du mouvement de toute la Turquie et dénonçant le complot "judéo-maçonnico-communiste". La démonologie judéophobe du Millî Görüs consiste en fait à attribuer la faute de la disparition du califat islamique et donc de l’Empire ottoman aux juifs masqués, ces « Dönme » (Juifs adeptes convertis à l’Islam mais accusés d'êtres restés secrètement juifs et de comploter contre les musulmans et l'islam), accusés d'avoir conçu la république laïque turque sur les ruines de l'islam et du Califat. Quant au "sionisme international", il oeuvrerait à persécuter les Turcs nostalgiques de l'empire ottoman et les Musulmans en général, à "génocider" les Palestiniens et à exploiter-dominer l'Humanité via l'"impérialisme monétaire et financier" des "Banques juives".

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Un mouvement islamiste "turco-européen" structurellement lié aux Frères musulmans

Les ramifications européennes de Millî Görüs, dont le pôle majeur est l’Islamische Gemeinschaft Millî Görüs (IGMG, branche allemande du mouvement), se sont implantées à partir de l'Allemagne sur tout le Vieux Continent, notamment en Suisse, en Europe du Nord, ou en France, principalement en Alsace. Les diverses branches européennes du Millî Görüs qui gravitent toutes autour de la maison-mère allemande et travaillent étroitement avec les Frères musulmans, exercent une emprise considérable sur les communautés turques sunnites appelées à ne surtout pas "s'assimiler" dans leur pays d’accueil "mécréants", mais aussi sur de nombreux fidèles originaires d’autres pays musulmans, notamment maghrebins. Le mouvement est d’ailleurs classé « islamiste fondamentaliste » par le renseignement fédéral allemand, et en 2003, il a été inscrit sur la liste des associations pouvant servir de base arrière au terrorisme dans le pays. Comme pour maintes autres organisations islamistes radicales européennes, le Millî Görüs a été au centre de nombreuses allégations de fraude, détournements de fonds public, transferts de fonds douteux, blanchiment d’argent, etc. En Suisse et la Suède, où le Millî Görüs est également fort présent et implanté de longue date, des procédures judiciaires ont été lancées contre les groupes islamistes turques néo-ottomanes jugées "non loyales" ou carrément subversives. La littérature référence du « Millî Görüs » appelle par ailleurs « chaque membre à s’engager sur la voie dans la guerre religieuse (jihad fi sabilillah) et à tenir prêt à tout moment pour le jihad. Les écrits du Millî Görüs expliquent aussi que la "communauté" (Millî), entendue comme la Oumma des musulmans du monde entier, a pour objectif l’islamisation de la société », et donc "assurer la domination d’Allah sur toute la terre", même objectif que celui de l'organisation soeur aînée des Frères musulmans. Le régime politique idéal du mouvement est la charià, et plusieurs textes du Millî Görüs légitiment le fait de se servir de la violence dans certains contextes pour la "défense de l'islam". Le logo du mouvement turco-islamiste est d'ailleurs explicitement suprémaciste et menaçant pour l'UE: il dépeint une carte de l’Europe avec un croissant islamique. Mais à part l’Autriche, l’ensemble des pays européens demeurent perméables à son activisme ou n'ont jamais été jusqu'à interdire cette mouvances.

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En fait, l'Islam politique turc a parcouru un long chemin d'exil avant de s'incarner notamment dans l'AKP victorieux du néo-sultan Erdogan formé au Millî Görüs. Né en 1969 sous le nom de Parti de l'ordre national (PON), le premier grand parti islamiste turc moderne, appuyé par les confréries islamistes néo-ottomanes et le Millî Görüs, a été créé par l'ex-mentor d'Erdogan, Necmettin Erbakan, alors encore président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie turques. Et lorsque, à la suite du deuxième coup d'État militaire kémaliste du 20 mai 1971, le PON fut interdit par le Conseil constitutionnel turc pour ses positions «anti-laïques», Erbakan et ses collaborateurs se replièrent en Allemagne et en Suisse. L'Europe, où avaient déjà essaimé les Frères musulmans arabes combattus en Egypte, apparaissait déjà comme une base-arrière de la révolution islamiste anti-kémaliste. Durant la période de régime militaire (1971-1972), le PON et sa maison mère le Millî Görüs levèrent des fonds en Allemagne et en Suisse, comme les Frères, et il put même, au nom de la démocratie et de la liberté d'opinion, mobiliser de nouvelles recrues qui l'aideront ensuite à prendre le contrôle de la nouvelle formation islamiste recréée en 1973 dès que les militaires ont lâché du lest: le Parti du salut national (Millet Selamet Partisi, MSP), qui obtint 11,8% des voix aux élections législatives et participera à trois coalitions gouvernementales successives entre 1974 et 1977. Le nouveau parti issu du Millî Görüs contestait alors radicalement le kémalisme laïque hérité d'Atatürk. Ses premiers succès permirent à Erbakan de commencer à infiltrer des ministères ainsi que la Direction des affaires religieuses (Diyanet), où il réussit, rien qu'en 1974, à faire embaucher plus de 5 000 imams et muezzins. Cette Diyanet gère également des centaines de mosquées en France et en Europe pour le compte de l'Etat-AKP. C'est à cette époque que la Turquie «laïque» rejoint l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), organisant une grande réunion à Istanbul la même année. "Grâce" au Millî Görüs d'Erbakan, la Turquie laïque est déjà remise en question. Certes, en 1980, l'armée reprend le pouvoir et abolit tous les partis politiques, y compris celui d'Erbakan, emprisonné avec d'autres dirigeants du MSP "pour avoir agi contre le pouvoir laïque". Mais libéré un an plus tard, il fonde le Parti de la prospérité (Refah Partisi, RP), dès 1983, et après une interdiction de toute activité politique prononcée en 1987, il revient par la grande porte, comme Erdogan d'ailleurs, en remportant les élections (1994-1996) qui prépareront la réislamisation de la Turquie et le processus de "dékémalisation" achevé par son successeur Erdogan. Ce dernier arrive au pouvoir une décennie plus tard avec le plein appui (jusqu'à 2013), des Etats-Unis, de l'Union européenne et de l'OTAN qui dissuaderont l'armée turque de perpétrer un coup d'Etat contre ce pur produit du Millî Görüs qui mettra progressivement tous les officiers laïques-kémalistes au pas, comme les professeurs, fonctionnaires, journalistes et juges.

Les liens du Millî Görüs avec les « frères musulmans » sont étroits, structurels et doctrinaux.

Signe révélateur, on retrouve un des plus puissants cadres-financiers des Frères musulmans européens, Ibrahim el-Zayat, aux côtés du Millî Görüs pour la construction et la gestion des projets de mosquées en Europe, dont celles d'Alsace. Le fait que ce frère-musulman arabe El-Zayat soit marié à Sabiha Erbakan, la sœur de Mehmet Sabri Erbakan, secrétaire général du Millî Görüş en Allemagne, est en soi une manifestation de l'alliance structurelle interislamiste entre les Frères musulmans et le Millî Görüs. El-Zayat a par ailleurs été jusqu'à 2010 le chef de la Communauté islamique d'Allemagne (Islamische Gemeinschaft en Allemagne; IGD), preuve de la capacité des fréro-Millî Görüs à s'immiscer au plus haut niveau des instances de représentations officielles de l'islam en Europe et d'avoir ainsi pignon sur rue. El-Zayat est notamment l'un des fondateurs et directeurs de la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE), l'organisation européenne des Frères, et il a même été administrateur de l'Institut Européen des Sciences Humaines (IESH) à Château-Chinon, base française et européenne des Frères qui forme notamment les "imams européens". Il est administrateur de l'Europe Trust, la structure de financement des Frères musulmans en Europe, via le Qatar. Cette connivence entre le Millî Görüs et les Frères se manifeste aussi du point de vue doctrinal par les références à Sayyid Qutb, le précurseur du jihadisme et idéologue majeur des Frères musulmans, Abou ala al Maoududi, le père de l'islamisme radical pakistanais, Saïd Ramadan, le gendre du fondateur des Frères musulmans (Hassan al Banna), qui a installé les Frères en Allemagne et en Suisse (comme les islamistes turcs anti-kémalistes "réfugiés" en Europe ayant fondé le Millî Görüs sur le modèle des Frères, ou encore Tariq Ramadan, petit-fils de Hassan al Banna, ou même Youssef al Qardaoui, le co-fondateur des plus grandes associations européennes des Frères musulmans qui appelle à liquider les Juifs et les homosexuels dans ses ouvrages et fatwas.

Une mouvance istamiste-turco-ottomane en pleine expansion en Europe

Le Millî Görüs est en pleine expansion en France et en Europe, acquérant de plus en plus de mosquées et d'écoles et centres islamiques dans les grandes métropoles. Il gère plus de 500 mosquées en Europe occidentale, presque autant dans les Balkans, et au moins 70 lieux de culte en France sans compter les projets en cours, comme à Mulhouse ou ailleurs dans le Rhône et en région parisienne. En 2017, lorsque la première pierre de la mosquée Eyyub Sultan de Strasbourg était posée, un membre du gouvernement turc avait fait spécialement le déplacement dans la capitale européenne, signe que les rapports entre Ankara et l'association existent. La forte capacité d’autofinancement du mouvement est due aux prélèvements sur les communautés immigrées, aux aides accordées par les pouvoirs publics des pays concordataires (Allemagne, Belgique, Hollande, Europe du Nord et Alsace), aux structures indirectement liées à l'Etat turc, au Qatar ou aux collectivités locales des pays d'accueil toujours à la recherche du "muslim vote", ainsi qu'aux multiples fondations souvent basées en Allemagne et en Suisse qui sont derrière la mouvance. Le Millî Görüs est également en pleine croissance dans le Rhône, la région parisienne, le Nord et l’Est de la France.

L'Europe post-chrétienne à "prendre"

En janvier 2020, le président national du Millî Görüs (CIMG), Fatih Sarikir, lié à des militants ultra-radicaux du mouvement kaplanci, notamment (les kaplancis ont mené des actions terroristes en Turquie contre les Kémalistes dans le passés), a été élu secrétaire général du CFCM, nomination stupéfiante quand on connaît le pédigrée de cet activiste itateur qui a qualifié la Charte de l'islam conçue sur demande du gouvernement Macron de "merde" et a donc refusé de signer aux côtés de l'autre grande centrale islamiste turque, le CCMTF (lié au ministère turc Diyanet et aux Consulats turcs) et du mouvement intégriste indo-pakistanais Tabligh. Le Millî Görüs a également réussi à faire nommer l'un des siens, Ibrahim Alci, franco-turc par ailleurs président du CCMTF, comme second vice-président du CFCM. Partout en Europe, le Millî Görüs travaille étroitement avec les Frères Musulmans dans l'objectif prioritaire de maintenir les Turcs et les musulmans d'Europe de l’Ouest et des Balkans comme une réserve d'électeurs fidélisés par leur non-assimilation à la société d'accueil, leur nationalisme d'origine et leur réislamisation communautariste et séparatiste. Les idéologues islamistes comptent également sur ces minorités séparatistes pour servir de noyau-dur irrédentiste et prosélyte voué à convertir/conquérir à terme l'Europe vue comme décadente, vieille, déchristianisée, identitairement affaiblie et donc à prendre...

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