L’économie contre le dérèglement climatique, l’angle mort de Jancovici et du Shift Project <!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant lors d'une marche pour la protection de l'environnement.
Un manifestant lors d'une marche pour la protection de l'environnement.
©FRED SCHEIBER / AFP

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Le Shift Project, un groupe de réflexion sur la transition énergétique, lutte pour la décarbonation de l'économie française et souhaite que la France ouvre le chemin pour sortir des énergies fossiles.

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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  • Depuis des mois, déjà, le laboratoire d’idées The Shift Project lutte pour la décarbonation de l’économie française. En novembre 2022, l’organisme publiait son plan pour la transformation de notre économie, intitulé “Le plan de transformation de l’économie française”. Ce dernier accumule les actions vertes qu’il conviendrait de mener pour parvenir à son objectif final.

Rémy Prud'homme : Le Shift Project (ne dites pas le Projet changement, ça serait ringard) de M. Jancovici a proposé, il y a un an déjà, un « Plan de transformation de l’économie française ». C’est une grosse pierre, ou un petit caillou, dans le jardin de M. Bayrou, qui, comme chacun ne sait pas, est Haut-Commissaire au Plan. On ne peut pas comparer, car le Haut-Commissariat au Plan ne publie pas de plan. Mais on peut formuler quelques observations. 

Tout d’abord, le titre est trompeur, ou révélateur. En réalité, ledit plan ne concerne pas l’économie française, mais uniquement sa décarbonation. Il s’en vante, du reste, et se définit explicitement comme « un vaste programme opérationnel pour nous emmener vers la neutralité carbone ». On pourrait penser que les objectifs désirables pour l’économie française sont multiples : améliorer le niveau de vie des Français, réduire la dette publique, diminuer les inégalités, favoriser l’innovation, redresser l’éducation, décarboner, etc. Non, pour le Projet changement, seul compte l’objectif de réduction de nos rejets de CO2, qui remplace et domine tous les autres. Nous avons 40 ministres, mais ils doivent tous être au service du (de la) ministre de la transition énergétique. Le Président Macron avait fait un pas dans cette direction en faisant de Nicolas Hulot le troisième ministre dans l’ordre protocolaire (derrière le premier ministre et le ministre de l’Intérieur) : insuffisant aux yeux du Projet changement. 

Ensuite, ce Plan est furieusement franco-français. Il est autarcique, comme si l’économie française était l’ile de Robinson, coupée du reste du monde. Etrange, s’agissant du CO2, qui est une réalité mondiale, appelant des solutions globales. La contribution annuelle française au stock de CO2 est de 1/20000ème. La réduire de moitié diminuerait le stock (supposé déterminer la chaleur du globe) de 1/40000ème, c’est-à-dire n’aurait aucun effet mesurable sur la température de la France. Mettre toute la politique économique et sociale de la France au service de ce rien a quelque chose d’absurde. On dira que les petits ruisseaux font les grands fleuves, et qu’il faut bien montrer l’exemple. Mais l’expérience montre que cet exemple n’est nullement suivi : les « plans » de la Chine, de très loin le plus gros émetteur de CO2 du globe, prévoient la construction de centaines de centrales électriques au charbon. Et l’Inde, qui voudrait bien émettre (et se développer) autant que la Chine va ouvrir une centaine de puits de charbon. 

Troisièmement, le Plan du Projet changement fait penser aux plans du Gosplan soviétique. C’est son côté vintage. Il ne contient guère que des objectifs physiques : 200 millions de tonnes de CO2 en moins, dix millions de logements mieux isolés, 40% de déplacements en avion en moins, etc. Mais rien sur les coûts, et presque rien sur les moyens. Prolixe sur le quoi, discret sur le comment. 

Nos shifters, comme ils s’appellent, savent ce qui est bon pour nous ou pour la planète, et ne veulent pas savoir ce que ça coûte. Ils se flattent de n’être pas des « comptables », une espèce méprisable à leurs yeux. Le mot « euro » est pratiquement banni de leur vocabulaire. Les voitures thermiques payent annuellement plus de 30 milliards d’euros d’impôts spécifiques (en plus de la TVA) ; les remplacer par des voitures électriques diminuera évidemment les recettes budgétaires annuelles de 30 milliards (sans compter les dépenses budgétaires en subventions à l’achat desdits véhicules) ; c’est à peu près le double de ce que la réforme des retraites, vendue comme-absolument-indispensable, permettra d’économiser. Ces détails n’intéressent pas les Shifters. Le Gosplan, vous dis-je. 

Ils ne s’intéressent guère non plus aux moyens qui permettraient à l’économie française d’atteindre leurs objectifs. Les principaux semblent être la contrainte administrative et l’endoctrinement. « On » ordonnera aux entreprises et aux ménages ce qu’il faut faire et ne pas faire, et on punira ceux qui n’obéiraient pas. Pour réduire le transport aérien, M. Jancovici a proposé une solution simple : accorder à chaque Français un quota de trois ou quatre vols - pas par an, mais par vie. Je n’ai pas retrouvé cette prescription dans la lettre de son Plan (peut-être ai-je mal lu), mais elle est typique de l’esprit de ce Plan. Pour ce qui est de l’endoctrinement en revanche, il y a pléthore : de la formation des chauffeurs à l’écoconduite, jusqu’à la formation-bourrage de crâne écologique des cadres des écoles de commerce. Le Gosplan, encore. 

Quatrièmement enfin, le Plan a un air de déjà-vu assez surprenant. On s’attendrait à du nouveau, on a de l’ancien. On y retrouve les préconisations du Grenelle de l’Environnement, les discours des ministres écologistes, ou le contenu du rapport de la Convention Citoyenne sur l’Environnement. Dans le domaine des transports, par exemple, on a la litanie classique du report modal, de la réduction de la mobilité, ou des progrès des technologies. Pour le transport de marchandises, on a vu apparaître au cours des trente dernières années une bonne dizaine de plans de doublement (ou de triplement) du fret ferroviaire. Dans le même temps, en dépit des dizaines de milliards de subventions générés par ces plans, la part du ferroviaire dans le transport de marchandises a constamment décliné ; en valeur (ce que payent les chargeurs pour le transport de leurs marchandises) elle est actuellement d’environ 2%. Chut, ne le répétez pas ; il ne faut pas désespérer Nicolas Hulot et Greta Thunberg, qui ont bien assez de problèmes comme ça.

Christian Gollier : J’ai lu « Le plan de transformation de l’économie française » de « The Shift Project » et Jean-Marc Jancovici. Voici ce que j’en pense.

M. Jancovici est une star bien méritée par ses compétences techniques et sa force de conviction et de vulgarisation. Il jongle merveilleusement entre Twh, Mt CO2e, et autres J, mais très rarement avec les €.

Le livre du Shift Project décrit une myriade d’actions de décarbonation, plutôt en vrac, toute action verte étant bonne à prendre. Aucune mesure de coût, aucune priorisation des efforts.

Dans The Shift Project, tout est fondé sur un Plan, sans réflexion sur les incitations ou la restriction des libertés. Le monde ZEN selon M. Jancovici se trouve quelque part entre la planification soviétique et l’Amérique à l’époque de la prohibition.

Certes, le livre est fort dans sa capacité à montrer l’intensité des transformations à mener, mais il est complètement dystopique dans sa vision de la société ZEN 2050. Personne n’en voudra.

La police et le Plan seront partout pour contrôler qui fait quoi et comment, de la composition de votre assiette à l’occupation de votre résidence secondaire. On va brider la vitesse des voitures pour réduire leur attractivité.

Voici une citation de l’introduction de Jean-Marc Jancovici: « L’économie académique ne fournit à peu près aucun travail exploitable sur la gestion opérationnelle optimale d’une société en contraction énergétique. » Quelle arrogance ! Que d’ignorance !

Gérer la transition énergétique est un sujet fondamentalement économique que le Shift Project traite exclusivement par des méthodes d’ingénieurs, ignorant radicalement 30 ans de recherche en économie de l’environnement qui décrit une solution radicalement différente.

Dans ce livre, rien sur la comparaison des coûts par tCO2 évitée, sur l’incitation par les prix, ou sur l’acceptation sociale (ah oui, il y a les subventions). Le « Y a qu’a » est maître.

Pour retrouver le Thread de Christian Gollier : cliquez ICI

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