Jouyet gate et autres scandales en cascade : tentative de mesure des bénéfices qu’en retire le Front national <!-- --> | Atlantico.fr
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Les affaires comme celle de Jouyet profiteraient à Marine Le Pen et au FN.
Les affaires comme celle de Jouyet profiteraient à Marine Le Pen et au FN.
©Reuters

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De nombreuses analyses font la corrélation entre les différents scandales politiques et la montée du Front national.

Jérôme  Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie

Jérôme Sainte-Marie est Directeur du Département Opinion de l'institut de sondage CSA.

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Atmantico : Pour bon nombre de commentateurs, les affaires profiteraient à Marine Le Pen et au FN. Dans quelle mesure profitent-elles au FN ?

Jérôme Sainte-marie : L’idée est que toute mise en cause de la probité du personnel politique apporte une audience et des électeurs supplémentaires au Front national est un lieu commun bien établi. La régulière progression de ce parti dans les urnes – il a tout de même réuni sur ses listes le quart des suffrages exprimés lors des dernières européennes – contribue à accréditer cela. Pour autant, il n’est pas avéré que la bonne image de Marine Le Pen, dont plus du tiers des Français ont désormais une bonne opinion, ou bien que le niveau exceptionnel des intentions de vote pour la prochaine élection présidentielle en sa faveur – de 29% à 32% selon un récent sondage IFOP pour i Télé et Sud Radio -, soient d’abord imputables aux affaires. C’est là une explication facile, qui a sans doute l’avantage de ne pas remettre en cause les grandes orientations politiques, pour se concentrer plutôt sur les fautes individuelles.

Qu'en est-il précisément de l'affaire Cahuzac ? 

Un sondage BVA pour i Télé réalisé en avril dernier est intéressant à ce sujet. Il montrait en effet que 70% des Français pensaient que la révélation du compte en Suisse du ministre du Budget et le mensonge de celui-ci à ce sujet, allait profiter au Front national. La proportion de ceux pensant que cela allait "beaucoup" lui profiter s’élevait même à 24%. Cette perception traversait toutes les catégories politiques, à commencer par les sympathisants du Front national (80%). Pourtant, dans cette même étude, il apparaissait que la cote de ce parti n’augmentait que de deux points par rapport au mois précédent. Il n’y a donc pas eu d’effet massif et immédiat. Ceci ne signifie cependant pas que cela soit insignifiant, et des phénomènes comme la baisse de la participation électorale ne soient pas encouragés par la répétition des "affaires". De même, l’impopularité historique du président de la République tient aussi à l’impression donnée d’une certaine équivalence sur ce sujet aussi avec le quinquennat précédent, à rebours des proclamations moralisatrices faite durant la campagne de 2012.

Source : BVA

Quelles sont les autres affaires qui ont pu profiter au FN et est-il possible de quantifier le phénomène ?  

Pour étudier l’impact des "affaires", nous disposons d’un exemple historique, celui du début des années 1990 , lorsque le second septennat de François Mitterrand a basculé dans la confusion, entraînant la déroute socialiste aux élections législatives de 1993. Les études qualitatives réalisées alors montraient qu’elles étaient évoquées avant tout comme une preuve du désintérêt des responsables politiques à l’égard des préoccupations des citoyennes. En elles-mêmes, et comme aujourd’hui, elles ne suscitaient pas un bouleversement des consciences, les Français étant depuis longtemps très sceptiques sur la probité des responsables politiques – aujourd’hui, selon CSA, 55% pensent qu’une majorité de ces derniers sont corrompus. On parle donc des affaires pour traduire autre chose, et avant tout le manque de résultats sur les attentes fondamentales des Français, telles que la lutte contre le chômage ou le redressement économique du pays.

Voir l'étude suivante : les motivations du vote Marine Le Pen

Plus que les affaires, en quoi peut-on dire que les motivations du vote en faveur de Marine Le Pen juste avant l'élection présidentielle de 2012 s'expliquent en premier lieu par les idées et les propositions de la présidente du FN ? La donne a-t-elle changé ?

L’institut Harris Interactive a eu la bonne idée, au début de l’année 2011, de demander de manière ouverte, sans item suggéré, aux électeurs tentés par un vote Marine Le Pen la motivation principale de celui-ci. Il apparaissait que seuls 16% de ceux-ci citaient spontanément la corruption du reste du personnel politique. Pour l’essentiel, à 59%, c’étaient les idées et positions politiques de la candidate frontiste qui étaient invoquées, à commencer par les propositions exprimées en matière d’immigration et d’intégration. Une fois encore, là où le commentaire médiatique voient une opinion immédiatement réactive et dominée par des affects, on trouve des électeurs motivant politiquement leurs positions. Non seulement, à propos de Marine Le Pen, ceci n’a pas changé, mais la diversification de son discours, et notamment les propos annonçant une stratégie économique faisant une large part au protectionnisme, agrègent les intentions de vote. En d’autres termes, les affaires joueraient un rôle d’autant moins important sur le vote frontiste que celui-ci s’articule sur des propositions et peut moins encore qu’auparavant être assimilé à une simple protestation à l’égard des autres partis ou responsables politiques.

Pourquoi peut-on parler de poussée frontiste réelle mais limitée à la suite des fermetures de sites industriels ? Plus généralement, dans quelle mesure la poussée du FN s'explique-t-elle aussi par la capacité du parti à exprimer un volontarisme politique notamment en matière d'intervention de l'Etat ?

La domination frontiste sur le vote ouvrier tient à plusieurs facteurs, dont le fait que cette catégorie est davantage exposée à une concurrence vis-à-vis des immigrés, que ce soit sur l’emploi, sur le logement ou bien sur d’autres aspects de sa vie sociale.

De plus, chaque passage au pouvoir de la gauche s’est traduit par une baisse de l’influence de celle-ci dans les milieux populaires, par un effet de déception.

Enfin, si les Français, et notamment les actifs occupant des postes subordonnés, savent que l’Etat ne peut pas tout, ils attendent, et en premier lieu lorsque la gauche est à sa tête, qu’il fasse quelque chose. Il y a donc un lien général entre fermeture de sites industriels. Pour savoir si l’on peut établir un lien direct, une analyse fouillée de l’Ifop en novembre 2013 s’est attachée, site par site, à comparer le score de Marine Le Pen en 2012 à celui de Jean-Marie Le Pen dans les communes concernées. Dans neuf cas sur treize, on y constate une progression du vote frontiste plus sensible que dans le reste du département. Cependant, la différence est modérée, dans cinq cas seulement supérieure à deux points, et pas la plus forte dans les communes les plus affectées par les pertes d’emploi. Une analyse au niveau du canton montre un effet plus diffus mais plus régulier. Ce qui domine dans les zones directement affectées par les fermetures de site, cependant, n’est pas la progression du vote frontiste, mais le déclin de la participation électorale. Là aussi, et comme il a été dit pour les affaires, il ne faut pas attendre un effet local, immédiat et considérable, mais plutôt une vaste et lente réorientation de l’opinion au dépend de la gauche et au profit principalement du Front national. L’implosion sociale que constitue la progression du chômage au rythme affolant de plusieurs centaines de milliers d’individus par an constitue l’information principal du choix des électeurs, telle affaire ou telle fermeture de site industrielle intervenant plutôt à titre illustratif pour le citoyen.

Source : Ifop

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