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Jason Collins : derrière le coming-out du joueur de la NBA, la com'
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Trans-Amérique Express

Jason Collins, un joueur de basket américain, vient de révéler son homosexualité. Pour les médias c’est un héros qui a brisé un tabou. En fait le tabou est tombé depuis longtemps. L’aveu de M. Collins est un coup de pub qui fausse néanmoins le jeu…

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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L’orientation sexuelle d’un sportif professionnel importe-t-elle ? La réponse spontanée à une telle question devrait être "non". On s’attend à ce qu’un sportif soit engagé et jugé sur son talent. Accessoirement son caractère, notamment sa compatibilité à s’entendre avec les autres, s’il pratique un sport collectif. Ce qu’il fait de son temps libre et ses fréquentations (tant qu’elles restent dans le cadre de la légalité) ne regardent que lui !

Mais depuis trois jours la question de l’orientation sexuelle des rois du sport vient de faire surface aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que Jason Collins, un basketteur de la NBA (National Basketball Association), la ligue de basket, a avoué son homosexualité !

Et cette révélation, que les Américains appellent un "coming-out", fait grand bruit. Jusqu’à même avoir suscité une réaction de la Maison Blanche. Les observateurs s’accordent à louer l’honnêteté et le courage de Collins. Soulignant qu’un tel aveu pourrait nuire à sa carrière…

A y regarder de près c’est loin d’être sûr. Cet aveu ressemble à un vaste "coup de pub", une opération de communication minutieusement préparée. Au bénéfice de M. Collins… Car M. Collins ne s’est pas contenté de dire platement, entre deux paniers, qu’il aimait les hommes plutôt que les femmes. Il a fait sa confession "à l’américaine". Il l’a transformée en un vaste évènement médiatique lui assurant les plus fortes retombées possibles.

"J’ai 34 ans, je joue comme pivot dans la NBA, je suis noir et je suis homosexuel…Je ne me destinais pas à devenir le premier athlète gay à jouer dans un grand sport d’équipe aux Etats-Unis, mais puisque je le suis, c’est avec plaisir que j’engage cette conversation... "

Ainsi débute la longue révélation de Jason, présentée en couverture et dans les colonnes de "Sports Illustrated", le plus grand hebdomadaire sportif américain : 3,5 millions d’abonnés, vingt millions de lecteurs dont  80% des hommes  et 60% d’étudiants ! L’article a été rédigé avec l’aide d’un journaliste professionnel. Il y est question d’un long  "voyage à la découverte de moi-même…" Car avant d’être "gay", Jason était "straight", c’est-à-dire hétérosexuel. Il est sorti avec des femmes. A même pensé à se marier.  "Je voulais croire que le ciel était rouge, mais je savais qu’il était bleu…"

L’article n’est pas présenté seul mais accompagné par une dizaine d’autres articles. Histoire de le mettre en valeur. Ceux-ci vont du commentaire d’opinion à un récit sur les coulisses de cette confession, intitulé "comment s’est construit le récit de Jason !". Comme si l’histoire de comment M. Collins  en est arrivé à vouloir avouer son homosexualité était un de ces films fracassants dont on vous raconte après coup comment ils ont été faits… Parmi les commentaires, tous favorables et positifs, il y a celui de son frère jumeau : "Je suis fier de mon frère", et un autre de Martina Navratilova, championne de tennis, elle-même homosexuelle, ce qui en fait une experte en "coming out". "L’aveu de Jason change le jeu… ", écrit-elle. S’ajoutent à cela sur le site Internet de "Sports Illustrated" une vidéo de Jason Collins  avec  Dan Patrick, journaliste sportif vedette, et un système de vote interactif ou les internautes peuvent dire ce qu’ils pensent de cet aveu. Dans la foulée de la parution du magazine en kiosque, le lundi 29 avril, Jason Collins était interviewé à la télévision dans  "Good Morning America" sur ABC, l’émission d’information matinale la plus suivie aux États-Unis. Inévitablement la nouvelle a fait les gros titres. Bien au-delà  de la presse sportive. Ce qui était l’effet recherché.

D’ailleurs le président Obama s’est fendu d’un coup de fil à Jason pour le féliciter de cet aveu. Il s’est dit "impressionné", et lui a affirmé "qu’il ne pouvait pas être plus fier de lui". Rappelons que Barack Obama est un "fan" de Basket. Et un joueur occasionnel. Il s’est récemment essayé aux lancers francs devant les caméras et a réussi deux paniers sur… vingt-deux shoots !

S’il a fallu du temps, et peut-être du "courage", à Jason pour s’admettre à lui-même, son homosexualité, la révéler au public en demande beaucoup moins. Car elle ne le dessert aucunement.

C’est une confession qui colle à l’air du temps. A l’heure où la cour suprême des États-Unis débat de la légalisation du mariage gay, l’homosexualité n’est plus un tabou dans la société américaine. Au contraire. Elle a fait de son auteur une star instantanée bien au-delà des courts de basket. Elle vient de le singulariser. De le placer presque sur un piédestal. Des "pivotsnoirs" qui jouent en "NBA", même "à 34 ans", il y en a plein. Mais des qui sont "gay", il n’y a en a qu’un.  Désormais Jason Collins n’est plus un simple joueur de basket parmi d’autres. Il est le "joueur de basket gay". Le premier. L’unique. Ce qui le rend quasiment intouchable. Car au-delà de M. Collins, cet aveu  fausse la compétition et embarrasse  les dirigeants de la NBA. Désormais tout ce qui concernera Jason Collins sera interprété, non pas à l’aune de son seul talent mais également en fonction de sa préférence sexuelle.

A 34 ans l’essentiel de la carrière de Jason Collins est derrière lui. Celle-ci a été  impressionnante, mais relativement anonyme. Collins n’appartient pas à la petite coterie de "mégastars" du basketball américain.  Il n’a pas la notoriété d’un Kobe Bryant ou d’un Michael Jordan en son temps. Passé par l’université de Stanford, il a effectué douze saisons comme professionnel,  avec six équipes différentes. S’il n’a jamais remporté le titre il a participé à deux finales de championnat. Son dernier contrat était de vingt-cinq millions de dollars pour cinq ans ! Aujourd’hui il est un "free agent", c’est-à-dire libre de tout contrat pour l’année prochaine. Il a indiqué vouloir poursuivre sa carrière. S’il trouve une équipe personne n’y trouvera à redire. Mais s’il n’en trouve pas ? Si les dirigeants de la NBA estiment qu’à 34 ans, il est devenu trop vieux, trop cher ? Qui dit que ces dirigeants  ne se verront pas accusés d’homophobie ?  Et dès lors prendront-ils ce risque… ? 

La vraie cible du "coming out" de Jason Collins est là. Elle vise à dénoncer l’homophobie latente qui imprègne, ou imprégnerait, au conditionnel, le sport professionnel américain.  Au prétexte que l’ambiance dominante y est "machiste" et que les homosexuels sont régulièrement assimilés à des "mauviettes". A la vérité c’est cette image-là qui est dépassée. Le langage des vestiaires a été policé de longue date. Pas plus tard que la semaine dernière un joueur s’est vu infligé une amende cinquante mille dollars pour des propos homophobes…  Les entraineurs et directeurs d’équipe jugent les joueurs à leur rendement sur la pelouse ou sous les paniers, par à leurs partenaires au lit. Les athlètes gays sont légions. Le plongeur Greg Louganis, quadruple médaillé d’or olympique en 1984 et 1988 est devenu une star aux Etats-Unis. Les homosexuels, ou plutôt la « communauté LGBT », selon le vocable politiquement correct, ont même leurs propres jeux olympiques, les "Gay Games". Ils existent depuis trente ans déjà et quatre des huit éditions ont eu lieu sur le sol américain…

Par sa confession M.Collins s’est engagé dans une bataille déjà gagnée. Ce n’est pas du courage. C’est de la clairvoyance. Et peut-être la préparation d’une lucrative reconversion. Dans la com !

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