Éloge de l’élégance nonchalante…<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les élégants chevronnés (si j'ose dire) feront le choix de l’erreur calculée"...
"Les élégants chevronnés (si j'ose dire) feront le choix de l’erreur calculée"...
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Atlantico chic

Il est en tête des sondages, il a maigri, il pourrait être le futur candidat socialiste à la présidentielle, mais François Hollande est-il élégant ? Le point de vue iconoclaste du blogueur star de l'élégance parisienne Hugo Jacomet...

Hugo Jacomet

Hugo Jacomet

Fondateur et éditeur de "Parisian Gentleman", Hugo Jacomet est une plume reconnue dans le domaine du style masculin.

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Gentlemen,

Il y a quelques semaines, je regardais, d’un œil distrait, une émission consacrée à François Hollande sur la Chaine Parlementaire (LCP).

Et alors que le débat – sans surprise aucune – s’installait dans l’habituelle logorrhée  « questions provocatrices – réponses bien formatées », le journaliste – au demeurant plutôt (très) mal habillé - se mit subitement à déraper et osa une question sur le nouveau « look » du député de la Corrèze en ces termes : « François Hollande, tout le monde a remarqué que vous aviez maigri et soigné votre apparence… Pourquoi cet effort physique ? Pourquoi cette nouvelle apparence ? Pour mieux séduire les électeurs ? »…

Cette question particulièrement déplacée – pour ne pas dire grossière – me fit sortir de ma délicieuse léthargie de téléspectateur lambda habitué au « prêt-à-penser » télévisuel et eut pour effet immédiat de me faire bondir de mon sofa pour consigner sur mon ordinateur les quelques réflexions qui suivent…

Quand la transparence triomphe

La mode médiatique du moment n’est donc définitivement plus fondée sur l’idée – pourtant si précieuse – du droit de l’individu à l’intimité mais plutôt sur le droit du public à la révélation permanente et au voyeurisme. L'horrible euphémisme politique de circonstance pour décrire cette dérive en troupeau est « la transparence », c’est-à-dire la conviction très naïve et nocive qui admet que vie privée et vie publique devraient être deux sphères indivisibles. Ou plutôt que les gens ne devraient pas avoir de vie privée du tout.

La question se pose cependant de plus en plus : sommes-nous les mieux placés pour aller fourrer notre nez dans le linge sale de tout un chacun et le passer au crible de notre lampe torche aveuglante et sans gène ? Voyez cela comme du bavardage si vous voulez, mais c’est peut-être bien l’heure pour nous, les chercheurs en style et en excellence personnels, d’être un minimum hypocrites, si nous tenons à conserver ne serait-ce qu’un peu d’intimité…

Pour le retour de la courtoisie

Pour ce faire, n’est-il donc pas temps de remettre au goût du jour les vertus d’un style public courtois ? Comme l’explique l’excellent Bruce G. Boyer dans un article récent publié dans les colonnes de notre confrère « The Rake », L’homme qui a le mieux défini les attributs du style courtois et qui a magnifiquement théorisé la différence entre la pose et l’aisance, était Baldassare Castiglione, le grand codificateur de la bienséance à l’époque de la Renaissance Italienne.

Le thème son célèbre « Livre du Courtisan » (publié pour la première fois à Venise en 1528 et qui devrait être l’un des livres de chevet de tout homme public), tourne précisément autour de la question suivante : Comment doit-on se présenter aux autres ? Comment se comporter au sein de l’arène publique ?

La contribution de Castiglione à la littérature de l’étiquette et du style masculins est la suivante : il avance l’idée que la courtoisie ne peut être vraiment parfaite qu’accompagnée d’un sens de la grâce (la Grazia) et que la perfection dans le raffinement n'est atteinte et perçue que grâce à un sens particulier du style qu’il définit comme la Sprezzatura.

En anglais, ce mot est souvent traduit par « nonchalance », mais la Sprezzatura n’est pas simplement de la spontanéité sincère ou de l’instinct.

Il s’agit au contraire justement de la tentative réfléchie d’apparaître naturel. Il s'agit d’une désinvolture étudiée et d’une indifférence feinte destinée à laisser deviner un mérite bien plus important que celui que l’on veut bien montrer. Il s’agit de l’habileté à dissimuler l’effort : le contraire donc, du maniérisme et de la l’ostentation.

La Sprezzatura c’est ce sens subtil de la facilité, du charme, de la tradition qui dissimule les forces à l’œuvre en arrière-plan, le désordre, les difficultés, l’effort. L’effet psychologique qui en résulte est une maîtrise insouciante qui nous transporte et nous confère cet élan inattendu que nous trouvons si épanouissant.

Ce sens de la grâce travaillée, ces petits accès de relâchement et de déséquilibres volontaires, se sont transformés en idéaux esthétiques à maintes reprises dans l'histoire. On le remarque dans toutes sortes de créations.

Le style anglais

Le jardin anglais du XVIIIe siècle par exemple, avec ses champs, ses bosquets, ses pelouses sages et ses charmilles, démontre parfaitement cette tentative de dissimulation par l’art de l’effort en faisant croire que la forme suit l’injonction de la nature. Comparez le style des prairies anglaises aux jardins à la française très officiels de l’époque : à l'inverse, tout est dans l’ornementation tortueuse destinée à impressionner le spectateur, qui devait à tout prix être frappé par la détermination de l’homme à soumettre la nature à sa propre ambition et à son sens esthétique de l’opulence cartésienne. Ou bien, comme le dramaturge George S. Kaufman l’a souligné : « destiné à montrer ce dont Dieu serait capable si seulement il avait de l’argent ».

La Sprezzatura c’est être en quête de la perfection, tout en cultivant l’art de donner l’impression qu’on ne se prépare jamais.

C’est ce sens de la facilité qui fait tout. Un homme qui coordonne toutes les couleurs qu’il porte (comme François Hollande) est, selon nous, quelqu’un qui en fait de toute évidence trop, car ce sont ses efforts, plutôt que son talent, qu’il expose.

Au final, tout est dans les petits détails : nous préférons nettement Fred Astaire portant une chemise nonchalamment déboutonnée avec un gilet croisé au Duc de Windsor accumulant les motifs tape à l’œil uniquement pour voir jusqu’où il peut aller dans le mélange des motifs et des couleurs.

Élégants chevronnés vs. débutants

Les débutants (comme M. Hollande) essaient toujours d’avoir l’air parfaits tandis que les élégants chevronnés (si j'ose dire) feront le choix de l’erreur calculée : une couleur de mi-bas qui « tranche », une pochette à dessein non-coordonnée, une cravate en soie Madder à la fois discrète et remarquable, en sont quelques exemples (assez) faciles à mettre en œuvre.

Au lieu de cet essai de perfection voué à l’échec (comme « l’incident » sur LCP le prouve), quoi de mieux que d’apparaître légèrement approximatif et quelque peu mystérieux, plutôt que d’exhiber de manière évidente son nouveau « look » parfaitement coordonné ?

La Sprezzatura c’est le grand trompe l’œil du style qui s’exprime au sein des conventions de la vie publique. N’y a-t-il pas là une solution au dilemme terrible que nous éprouvons quand les aspects les plus intimes de la vie des gens sont jetés en pâture au confessionnaux de la télé ou des sites internet, alors qu’en même temps ceux qui ressentent la notion de devoir civique et de responsabilité sont de moins en moins nombreux ? Peut-être que si longtemps après, nous devrions vraiment ressortir ces vieux manuels de bonnes manières poussiéreux et repenser à l’ancienne notion de vie publique, quand le comportement était alors fondamentalement différent une fois les portes closes…

La Sprezzatura, cette nonchalance travaillée, est donc l’art qui dissimule l’art, comme le comprenait si bien le poète anglais du 18e siècle Alexander Pope qui écrivait : « La vraie aisance vient de l’art, pas de la chance, ceux qui ont appris à danser se meuvent plus facilement. »

Conclusion : M. Hollande, dont les efforts sont plutôt louables au regard de l’inélégance ambiante dans la classe politico-médiatique, doit donc encore apprendre à danser…

Cheers, Hugo

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