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Et pendant ce temps, une toute nouvelle guerre d’invasion d’un État voisin se trame et l’attaquant est…
©VENEZUELAN PRESIDENCY / AFP / HO

Geopolitico scanner

Le Brésil a mis ses troupes en alerte face aux manœuvres d’un autre État sud-américain ayant des vues sur un troisième

Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

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Atlantico : Le Venezuela menace depuis plusieurs semaines d’annexer l'Essequibo, une région appartenant à son voisin guyanais mais revendiquée par Caracas. Un conflit régional majeur peut-il éclater en Amérique du Sud ?

Pierre Clairé : Cette revendication territoriale est ancienne et date de l'époque coloniale, alors que l'Espagne et le Royaume-Uni ne parvenaient pas à s'entendre sur leur frontière. Lors d'un arbitrage à Paris en 1899, l'Essequibo fut accordé à la colonie Britannique, au grand dam du Venezuela. Avec l'indépendance du Guyana en 1966, la dispute refit surface et la frontière fut fixée avec l'Accord de Genève la même année. Caracas a toujours dénoncé cette décision, mais cette revendication s'est faite moins pressante durant les décennies ayant suivi, principalement pour cause de problèmes intérieurs au Venezuela. 

Vu d'Europe, le vote qui sera organisé dimanche pour ratifier l'annexion du territoire disputé peut sembler "ubuesque" mais il présage des tensions importantes pouvant aller jusqu'au conflit régional. Nul besoin de dire que le Guyana voisin va riposter en cas d'attaque, il s'est déjà dit prêt à le faire et le pays fait partie du CARICOM, ce qui implique que les autres membres de l'organisation caribéenne pourraient lui prêter main forte. La Colombie a aussi une relation complexe avec son voisin, avec notamment des désaccord territoriaux concernant le golfe de Venezuela. Ainsi le pays pourrait aussi se mêler à un potentiel conflit, pensant qu'il pourrait être le prochain sur la liste. Le Brésil enfin est frontalier avec les deux pays et va vouloir faire respecter l'ordre dans la région alors qu'il se veut champion de la paix et du respect des droits de l'homme dans la zone. 

Les dimensions continentale voire internationale ne doivent pas être mis de côté dans cette affaire. Depuis 2017, le Venezuela est suspendu du MERCOSUR, communauté économique continentale, pour ses manquements aux valeurs démocratiques chères au bloc. Ainsi les relations avec la majorité des pays d'Amérique du Sud sont exécrables et nul doute que la communauté va répliquer et critiquer l'annexion si le Venezuela passe à l'acte. Même si le président vénézuélien Nicolás Maduro a peu d'alliés dans la région, il peut compter sur la Bolivie qui partage ses idéaux socialistes. Ainsi, tout est réuni pour qu'un conflit continental explose. Enfin, l'armée du Guyana est bien équipée mais peu importante en nombre, ainsi ils ont demandé à la Cour Internationale de Justice de trancher le différend territorial, et si Caracas va au bout de ses envies d'annexion, contre l'avis de la CIJ, alors d'autres pays pourraient se mêler aux hostilités. 

Comment expliquer cette volonté belliqueuse du Venezuela ? 

Comme je l'ai dit, cette querelle est ancienne et durant de longues années, le Venezuela ne s'est pas fait entendre sur la question. On peut expliquer cela par la manne pétrolière, qui a fait oublier l'Essequibo, ou les problèmes de politique intérieure. Mais ces dernières années la question des territoires à l'Ouest de la rivière Essequibo (Guyana Esequiba) a ressurgi. Cela s'explique par deux choses: les importantes ressources pétrolières découvertes récemment dans la région, et les problèmes socio-économiques au Venezuela qui inquiètent le pouvoir en place à moins d'un an de l'élection présidentielle.

En 2015, d'importantes réserves de pétrole ont été trouvées dans la région disputée, sur les côtes du Guyana. Cette découverte a attisé les convoitises à Caracas, alors que la situation économique est déplorable. Ainsi, le rattachement de cette région (160 000 kilomètres carré, soit ⅔ du Guyana) riche en hydrocarbures et minerais serait positive pour l'économie vénézuélienne qui est dépendante du pétrole. Mais ce qui a véritablement mis le feu au poudre, c'est l'annonce d'une concession à des entreprises étrangères pour exploiter les gisements en septembre dernier. Levée de bouclier immédiate à Caracas, Maduro s'insurgeant contre cela alors que pour lui cette région reste disputée et que par conséquent le Guyana n'a aucun droit sur celle-ci. 

La situation économique au Venezuela est catastrophique et même si l'inflation n'est plus aussi importante qu'il y a quelques années elle reste élevée (120%), et on ne peut oublier que le pays a connu un épisode d'hyperinflation il y a quelques années qui a laissé des traces. La contraction de l'économie fut sans précédent en Amérique du Sud et a ainsi poussé de nombreux Vénézuéliens à quitter le pays. L'économie doit encore se contracter de 8% cette année par exemple. Cette crise socio-économique se caractérise par une pauvreté extrême qui touche 94% de la population ou des pénuries de nourriture. En plus de cela, la vie démocratique est inexistante au Venezuela et Maduro ne semble pas vouloir laisser l'opposition présenter un candidat à la présidentielle de 2024. Comme tout bon autocrate en difficulté, Maduro a décidé de réveiller les instincts nationalistes de sa population. Ainsi il a voulu faire ici un geste pour combler les Vénézuéliens qui sont persuadés d'avoir été lésés sur la question de l'Essequibo, région qui pour la majorité d'entre-eux fait partie intégrante du pays. 

Le Brésil aurait déjà placé ses forces armées en alerte à proximité de la frontière vénézuélienne. Le pays peut-il s’impliquer dans ce conflit ?

Le Brésil a une longue histoire de médiation dans les conflits régionaux et est attaché au respect des droits de l'homme. On peut citer son rôle de médiateur durant la guerre civile colombienne ou dans le processus de paix au Guatemala. 

On peut expliquer cet activisme par sa volonté d'être le leader du sous continent, alors que le pays dispose de la plus importante économie de la zone ou peut se vanter d'être une véritable démocratie. Le pays joue par exemple ce rôle au sein du MERCOSUR, alors que son président Lula dispose d'une très bonne image dans le continent et à l'international, ce qui change de son ancien président, Jair Bolsonaro. Le Brésil est aussi un producteur important de pétrole et ne veut donc pas que ce marché perde sa stabilité, surtout par les temps qui courent et avec le conflit au Moyen-Orient qui pourrait mener à un nouveau choc pétrolier. Ce paramètre pourrait les pousser à intervenir car des tensions et de l'instabilité dans des pays producteurs (le Venezuela dispose des plus grandes réserves de pétrole au monde) pourraient menacer sa propre économie. 

Même si le Brésil a affirmé être prêt à intervenir, les choses ne sont pas si simples. En effet, Lula veut éviter que cette instabilité évolue en conflit régional avec l'intervention de l'armée brésilienne et cherchera à éviter toute intervention. Si la dispute évolue en affrontement militaire entre les deux pays, alors il y aura surement une implication de l'armée brésilienne. De même, si l'un des deux pays impliqués demande son aide, alors le Brésil devrait s'interposer (mais pour l'instant ce n'est pas le cas). Si par le biais diplomatique, certains pays du continent comme l'Argentine ou l'Uruguay demandent l'intervention militaire du Brésil, alors elle se fera sûrement. Enfin, si les organisations internationales comme l'ONU demandent une intervention, alors le Brésil ira et tentera d'en être le leader (il est très peu probable que cela arrive car le Venezuela entretient de bonnes relations avec la Russie et la Chine, membre permanents du conseil de sécurité). 

En cas d’offensive militaire, les États-Unis peuvent-ils eux aussi s’impliquer dans le conflit ? S’ils ne le font pas, faut-il définitivement craindre la fin d’une ère et l’avènement de nombreux conflits territoriaux dans le monde ? 

Si un conflit éclate entre les deux pays, il est certain que les Américains vont s'impliquer. On peut expliquer cela par la doctrine Monroe, qui fait du sous-continent la chasse gardée des États-Unis (ce qui les a poussés à s'impliquer dans le conflit entre le Venezuela et le Royaume-Uni sur ce même thème au 19ème siècle). Mais ce n'est pas tout, car les relations entre les deux pays sont au plus bas ces derniers temps. Certains disent même que Biden s'est fait avoir par Maduro et s'est montré trop naïf, ce qui n'est pas de bonne augure à quelques mois de l'élection présidentielle. 

En Octobre dernier, Anthony Blinken, secrétaire d'état américain, a annoncé la levée de certaines sanctions économiques visant Caracas en échange d'une démocratisation. Biden voulait une victoire géopolitique sur le continent alors que la guerre entre Israël et le Hamas n'est pas bonne pour sa candidature. Il faut se souvenir que Donald Trump avait échoué à modifier les rapports de force au Venezuela en 2017 et à favoriser l'opposition. En poussant pour la démocratisation et la possibilité pour l'opposition de présenter un candidat l'année prochaine, il pouvait être gagnant. En effet, en cas d'élection libre, Maduro devrait perdre et ainsi Biden serait à l'origine d'un changement de régime dans ce pays tenu par les chavistes depuis plus de 20 ans et sur lequel de nombreux diplomates se sont cassé les dents. Maduro a donc autorisé des primaires libres pour l'opposition, qui ont vu María Corina Machado l'emporter largement. Mais quelques jours plus tard, le président du Venezuela a annulé ce résultat pour cause d'irrégularités. Il n'est toujours pas revenu sur sa décision et malgré l'ultimatum américain pour faire volte-face il n'a pas répondu au "bluff" de Biden. Ainsi, en cas de conflit Biden voudra doublement se mêler de cette dispute, pour ne pas perdre la face et réparer cet affront. 

Enfin, il ne faut pas oublier que les liens entre États-Unis et Guyana sont forts ce qui fait dire qu'en cas d'agression ils sauteront surement le pas pour aider Georgetown. L'aide matérielle et financière des États-Unis est importante et c'est la compagnie américaine Exxon Mobil qui est impliquée dans l'exploitation des gisements au Guyana. Ces connexions ont fait dire à Maduro que le Guyana était devenu une base militaire américaine, pour attaquer le Venezuela… 

Si les Américains ne s'impliquent pas dans un conflit armé entre les deux pays sud-américains, alors on peut penser que c'est la porte ouverte à d'autres conflits territoriaux. En effet, les Américains ne se sont pas fait entendre quand l'Azerbaïdjan a décidé d'attaquer le Haut-Karabagh, avant sûrement de s'en prendre à l'Arménie. L'aide américaine n'a pas été suffisante pour renverser le rapport de force en faveur de l'Ukraine face aux Russes. Malgré leur activisme depuis des décennies, les Américains ne sont pas parvenus à régler le conflit israélo-palestinien. Ainsi, en cas de retrait d'Amérique du Sud, qui était vu depuis le 19ème siècle comme le pré carré de Washington, la messe serait dite. Les Américains montreraient qu'ils renoncent à leur rôle de gendarme du monde, pour le plus grand plaisir de pays qui cherchent à renverser l'ordre établi, comme la Chine ou la Russie. Cela pourrait donner des idées à Pékin concernant Taiwan par exemple, mais surtout cela ouvrirait la voie à de nombreux conflits territoriaux. Ils s'expliqueraient par le sentiment d'impunité, sachant que l'intervention américaine n'est plus à craindre, ainsi que par la volonté de "nettoyer" toutes les régions du monde de l'influence occidentale, qui domine l'ordre mondial par le biais de régimes libéraux pour beaucoup… 

Ainsi il est impératif pour les Américains de faire entendre leur voix et d'intervenir le cas échéant. Pour éviter de passer pour des faibles qui se sont montrés trop naïfs mais aussi pour éviter la multiplication de ce genre de conflits. 

Si ce scénario se réalise, d’autres acteurs internationaux pourraient-ils également entrer en jeu, comme le Royaume-Uni ou la France ? 

Il est plus complexe de se prononcer sur ce point car depuis des décennies les problèmes en Amérique du Sud ne concernent que les États-Unis et les pays du sous-continent. Pourtant les choses ont bien changé en Amérique du Sud et de nouveaux acteurs se sont impliqués dans la zone. On peut parler de la Chine, de la Russie ou même de l'Iran, ce qui fait que d'autres pays pourraient se mêler au conflit par un jeu diplomatico-économique complexe. 

S'agissant de la France ou du Royaume-Uni cela ne coule pas de source. En effet, même si les deux pays disposent de territoires proches des pays concernés, ils n'ont pas l'habitude de s'impliquer en Amérique du Sud. Mais si le Venezuela intervient militairement et contre la décision de la CIJ, alors ils pourraient s'en mêler. Il ne faut pas oublier que l'Union européenne pousse actuellement pour un accord de libre échange UE-MERCOSUR et si les pays de la communauté économique demandent à l'Europe de l'aider à œuvrer à la désescalade, alors la France pourrait s'impliquer. Le Guyana fait lui partie du Commonwealth et une sorte de solidarité post-coloniale pourrait être invoquée par le Royaume-Uni…

La Chine est très liée au continent, où elle dispose d'intérêts économiques forts. Elle y a investi massivement et promeut sur place ses nouvelles routes de la Soie. Le lien avec le Venezuela est fort, et si ses intérêts économiques (et surtout son approvisionnement en pétrole) sont menacés, alors elle pourrait s'impliquer. La Russie est aussi très liée avec le Vénézuela, à qui elle fournit des armes, Dans ce cas, et pour empêcher l'imposition de régimes pro-occidentaux, la Russie pourrait aussi entrer en jeu. La présence de l'Iran dans le sous-continent n'est pas aussi forte, mais elle se sert du Venezuela pour contourner les sanctions occidentales et verrait d'un mauvais œil un changement de régime. 

Si ces "nouveaux acteurs" venaient à s'impliquer dans le conflit, alors les Européens pourraient rentrer dans la danse. Ils seraient motivés à le faire par stratégie, pour éviter que la Chine ou la Russie ne se servent de ces tensions pour constituer un challenge géopolitique à l'ordre établi…

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