Discrédit des sciences : et si ce n’était la faute ni des jeunes ni des réseaux sociaux, mais celle des sorcières ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des femmes déguisées en sorcières lors d'un carnaval en Allemagne.
Des femmes déguisées en sorcières lors d'un carnaval en Allemagne.
©THOMAS KIENZLE AFP

OBSERVATOIRE DES RADICALITÉS ET DU WOKISME

De plus en plus de jeunes pensent que la Terre est plate ou que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres. La faute, notamment, à une instrumentalisation de la science à des fins politiques et de transformation sociétale.

Olivier Vial

Olivier Vial

Olivier Vial est Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités.

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16 % des jeunes pensent que la terre est plate[1], 19 % que les pyramides d’Égypte ont été construites par des extra-terrestres. Ces chiffres, issus d’une enquête de l’IFOP pour la fondation Jean-Jaurès, ont révélé une véritable fracture entre les 18-24 ans et la science. En cinquante ans, ils sont trois fois plus nombreux à estimer qu’elle est nocive pour l’humanité (6 % en 1972, 17 % en 2022). À cette défiance vient s’ajouter une forme de relativisme qui permet aux parasciences et même à l’occultisme de tirer leur épingle du jeu. 49 % des moins de 25 ans considèrent que l’astrologie est une science et 36 % croient à la sorcellerie. Les analyses qui ont accompagné la publication de cette étude ont beaucoup insisté sur le rôle négatif des réseaux sociaux, parlant d’une génération « toc-toc ». L’usage quotidien de Tik-tok accroît, par exemple, significativement l’adhésion à ces contre-vérités scientifiques. Les gros utilisateurs de cette plateforme sont ainsi 29 % (+ 13 points) à se figurer que la terre est plate. Les algorithmes enferment les utilisateurs dans des « bulles de confirmation » qui ne font que renforcer leurs convictions ; si vous vous intéressez aux théories « platistes », ils sélectionneront pour vous les contenus allant dans ce sens, comme ceux de la star de la NBA, Kyrie Irving, qui a partagé à ses 18 millions d’abonnés sa conviction qu’il existe une conspiration pour nous faire croire que la terre est ronde.

Mais, avant même l’apparition de Youtube, Instagram ou Tik-Tok, des universitaires s’étaient déjà lancés dans un grand chantier de démolition visant à déconstruire notre rapport à la science et à la rationalité. Dès les années 1980, dans la lignée des thèses de Luce Irigaray, directrice de recherche au CNRS, ou de Susan Bordo de l’université de Kentucky, va se développer un courant philosophique visant à dénoncer la notion même de « rationalité » qui serait, selon elles, par définition « phallogocentriques »[2]. Toutes les sciences sont alors suspectées de vouloir imposer la domination d’un ordre patriarcal et hétérocentré.Cette remise en cause ne se limite pas aux sciences sociales. Le philosophe des sciences et Professeur à Nanterre, Thierry Hoquet affirme, par exemple, « la biologie nous biaise. Patriarcale, elle s’est vautrée dans l’androcentrisme, l’hétérocentrisme. Deux maladies dont il faut la guérir »[3]. C’est Sandra Harding, professeur de l’UCLA, qui va proposer le remède à ces « maladies » en inventant une nouvelle forme de rationalité scientifique basée sur le concept d’objectivité forte. Elle « fonde l’objectivité scientifique sur une définition de la démocratie, réellement anti-sexiste et anti-raciste, considérant que le fonctionnement routinier de la science repose sur un statu quo maintenu par une élite, sur une matrice de privilèges de classe, de genre et de race. Aussi, ceux/celles qui subissent ce statu quo, et veulent l’ébranler, sont les plus à même de produire des points de vues, des savoirs, fortement objectifs »[4]. Cette vision, qui va irriguer une grande partie de l’épistémologie critique et être à la base du développement des cultural studies, opère deux renversements majeurs par rapport aux principes classiques de la science. La recherche de la vérité n’est plus l’objectif premier. La science a d’abord une visée politique. Elle doit être au préalable « anti-sexiste et anti-raciste ». Autre révolution introduite par ce concept, l’objectivité n’exige plus une neutralité face au sujet étudié ; au contraire, ce sont les personnes engagées dans la lutte contre les privilèges de classe, de genre et de race (les militants !) qui sont censés être les plus objectifs.

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Cette instrumentalisation de la science à des fins politiques et de transformation sociétale n’est pas restée confinée dans les laboratoires de philosophie des universités, elle a nourri la défiance vis-à-vis de la recherche « traditionnelle » débouchant sur un relativisme inévitable vis-à-vis des connaissances scientifiques. Elle a également alimenté le combat de nombreux collectifs militants néo-féministes, ainsi que les discours d’«intellectuels » et d’« influenceurs » que l’on retrouve sur les réseaux sociaux. La boucle est bouclée.

La fondation Jean-Jaurès note d’ailleurs que : « Les femmes se montrent plus réceptives que les hommes (NDLR aux pseudo-sciences) : 53% estiment que « l’astrologie est une science », contre 44% des hommes. 71% croient en au moins une discipline de mancie, contre 50% des hommes. Dans le détail, par exemple, 43% estiment que les envoûtements et la sorcellerie sont fondés, alors que seuls 29% des hommes le pensent. Les données sont semblables en ce qui concerne les croyances occultes : 68% des femmes y croient, contre 49% des hommes. L’intérêt pour ces disciplines peut se voir comme une façon de sortir des croyances plus traditionnelles, souvent patriarcales », conclut l’étude.

Une dernière marche a été franchie par les écoféministes qui aspirent désormais à réhabiliter la figure de la sorcière en tant qu’alternative à la science forcément patriarcale. Sorti en 2017, le livre de la journaliste et militante Mona Chollet « Sorcière : la puissance invaincue des femmes » s’est vendu à plus de 250 000 exemplaires. Il a ouvert un véritable filon éditorial. Le Magazine Marianne rapportait que « selon l'analyse statistique de Livres Hebdo parue en 2021, la production consacrée aux femmes a augmenté de 15 % entre 2017 et 2020 pour la non-fiction et près de 72 % d'augmentation concernant l'ésotérisme ». L’université n’est pas en reste puisque celle de Strasbourg consacrera une journée d’étude en juin prochain à la figure de la sorcière en tant qu’icône féministe. Mais c’est encore Sandrine Rousseau qui est la plus claire sur l’objectif visé. Durant la primaire écologiste, elle était allée jusqu’à affirmer, dans un entretien à Charlie Hebdo : « Le monde crève de trop de rationalité (...), je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR ».

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[1] Une croyance qui n’est partagée que par 3 % des seniors.

[2] Elsa Dorlin [2008], Sexe, genre et sexualités, PUF, p.25

Le phallogocentrisme est un terme inventé par Jacques Derrida qui désigne le phénomène par lequel les humains mâles monopolisent la parole et la manipulation de la Raison, au détriment des femmes et des animaux.

[3] Le Sexe biologique. Anthologie historique et critique, 2013

[4] Elsa Dorlin [2008], Sexe, genre et sexualités, PUF, p.29

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