Coup de chaud électoral en vue ? 62% des Français considèrent que la question des migrants va compter pour leur vote aux régionales<!-- --> | Atlantico.fr
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Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont les moins enclins à prêter de l'importance à la crise des migrants (45%) et ceux de Marine Le Pen sont les premiers à y voir un sujet primordial (85%).
Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont les moins enclins à prêter de l'importance à la crise des migrants (45%) et ceux de Marine Le Pen sont les premiers à y voir un sujet primordial (85%).
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Sur les seuls mois de juin et de juillet 2015, la Grèce a dû accueillir plus de réfugiés qu'en 2014. Selon un sondage Ifop exclusif pour Atlantico, la crise des migrants s'avère être le sujet dont les Français parlent le plus depuis le "mariage pour tous".

Hervé Morin

Hervé Morin

Hervé Morin est président du conseil régional de Normandie. Ancien Ministre de la Défense (2007-2010), il a souhaité être candidat à l'élection présidentielle de 2012 avant de se rallier à Nicolas Sarkozy. 

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : D'après une étude de l'IFOP pour Atlantico.fr, 62% des Français estiment que la crise des migrants devrait compter "beaucoup ou assez" sur les élections régionales de décembre 2015. A quel impact faut-il s'attendre ? L'arrivée de réfugiés en masse est-elle perçue de la même façon par tous les électeurs ?

Jérôme Fourquet : Je ne suis pas sûr qu'on puisse parler d'accueil en masse de réfugiés. D'après les chiffres officiels, il s'agirait d'un volume de 30 000 personnes sur deux ans, ce qui est loin d'être comparable à ce qui se passe en Allemagne ou dans les îles Grecques. On constate d'ailleurs que quand le gouvernement a envoyé des bus à Munich pour récupérer des migrants, ceux-ci ne sont pas revenus pleins. Certains migrants affectés à la France sont même partis de leurs propres moyens. Il ne s'agit pas de minimiser l'ampleur de cette crise, mais je pense que n'assisterons pas à des flux massifs de migrants sur le sol Français. Il y aura toujours des points d'ancrage comme à Calais, éventuellement des déplacements de camps en région parisienne, mais pas forcément des images de flux massifs comme on peut en voir outre-rhin. Pour autant, deux tiers des Français estiment aujourd'hui que cette question va jouer "beaucoup ou assez" dans leur comportement électoral, au moment des régionales de décembre. On constate bien que ce sujet n'a rien d'anodin et qu'hormis le traitement médiatique abondant qui en est fait, il a une résonance très forte dans le corps électoral, pour toute une série de raisons.  A d'autres occasions, on a eu d'autres sujets abondamment traités par la presse mais qui ne parvenaient pas à la même emprise sur l'opinion.

La crise des migrants est, manifestement, un sujet qui marque et influe fortement le corps social. Cette influence va jusqu'à, potentiellement, impacter le vote alors même qu'il s'agit d'une élection régionale. Le type d'élection et d'institutions concernées ne sont typiquement pas concernées par ce genre de problématiques régaliennes. Pour autant, beaucoup de nos concitoyens ne l'entendent pas ainsi et, quand ils iront (ou non) voter, auront en tête cette problématique-là.

Evidemment, la sensibilité varie drastiquement selon la proximité politique. L'impact sur le vote est d'autant plus fort qu'on se déplace vers la droite de l'échiquier politique, puisque 85% des électeurs de Marine Le Pen à la présidentielle disent que la question aura une influence sur leur vote au moment des régionales. Cette question des migrants servira d'élément de mobilisation pour l'électorat frontiste, ce qui est toujours important dans le cadre d'une élection fortement abstentionniste. Le Front National a souvent des difficultés de mobilisation dans ce genre d'élections mais cette problématique peut devenir le levier sur lequel s'appuyer pour mobiliser et pousser les électeurs qui leurs sont acquis à aller aux urnes. 85% de ces derniers estiment que cela jouera sur leur vote et 67% annoncent que cela jouera "beaucoup". Ca n'est pas tout à fait nouveau : depuis longtemps déjà, la préoccupation principale de l'électorat du FN demeure les flux migratoires. Cette crise, complètement contemporaine, ramène cette problématique sur le devant de la scène et permettra sans doute au Front d'activer ses réserves électorales. 

Ce sujet jouera aussi un rôle pour deux tiers des électeurs de Nicolas Sarkozy à la dernière présidentielle. En terme d'intensité, le registre est complètement différent : 30% des électeurs de Nicolas Sarkozy estiment que cela jouera beaucoup sur leur comportement électoral. C'est moins que ceux de Marine Le Pen, néanmoins on constate une véritable incidence et dans ce cadre là on comprend aisément pourquoi les candidats des Républicains comme monsieur Estrosi ou monsieur Bertrand se positionnent de manière très nette sur ces sujets-là : c'est à la fois quelque chose qui résonne très fortement dans leur électorat et potentiellement un risque. Si la réponse n'est pas à la hauteur des espérances, cela pourrait conduire une partie des électeurs habituels ou potentiels vers le Front National. À gauche, l'impact est moins fort mais pas non plus négligeable : 45% de l'électorat de Mélenchon et 55% de celui de Hollande s'accordent à dire que cela impactera leur comportement électoral. On peut penser que sur l'électorat de droite, les deux peuvent cohabiter, soit dans l'attente de fermeté, soit dans l'attente d'un peu plus de souplesse (quand bien même il serait plus difficile d'assister à un glissement de droite vers gauche que de droite vers extrême droite). Pour l'électorat de gauche, c'est le mécanisme inverse : la crise des migrants peut également faire office de levier de mobilisation et le gouvernement ne s'y est pas trompé. C'est pourquoi il a adopté une ligne relativement équilibré. « Accueil contrôlé et maîtrisé, mais accueil bien évidemment », en phase avec les conventions qu'ils ont traités, leur histoire et leurs valeurs. Cela peut-être éventuellement un argument de motivation pour lutter contre l'abstention (bien que moins fort que dans la situation du FN). Or on sait que tout gouvernement (et c'est aussi vrai pour celui-ci) dans des élections intermédiaires est à la recherche de levier de la sorte : souvent en cours de mandat, l'électorat de la majorité est déçu du manque de résultat, désabusé vis-à-vis de promesses électorales non tenues, etc. Cela peut donc servir de moyen pour resouder les rangs, présenter les actions d'une gauche qui fait l'objet de polémique. Il reste un corpus de valeurs auxquelles la gauche s'identifie, dans lesquelles figurent le droit d'asile et cette notion de porte ouverte.

Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont les moins enclins à prêter de l'importance à la crise des migrants (45%) et ceux de Marine Le Pen sont les premiers à y voir un sujet primordial (85%). S'agit-il d'une répartition "classique" du sujet de l'immigration au sein de la gauche et de la droite ?

Jérôme Fourquet : Ce ne sont pas des résultats très surprenants. D'une part parce que l'électorat du Front National est obnubilé par cette question de l'immigration... Et quand on assiste à un événement majeur comme le drame des migrants, qui se présente depuis plusieurs mois, on s'attend à ce qu'il soit l'électorat le plus prompt à réagir. Autre élément qui ne constitue pas réellement une surprise : la réaction très vive de la droite (même si moins intense que celle du FN). On assiste à un processus de droitisation sur toutes ces questions régaliennes et identitaires. C'est un phénomène que nous avons déjà montré et commenté ici et qui est en passe de redessiner le paysage idéologique à droite. Pas de surprise non plus quand on retrouve le clivage gauche-droite sur ces questions. Ce clivage s'exprime sur ces aspects et on l'avait déjà vu apparaître sur le thème des migrants : les trois-quarts des sympathisants de gauche étaient favorables à l'accueil de ces derniers quand plus des tiers des sympathisants Républicains y étaient opposés.

Si d'après une majorité de Français le sujet est important, faut-il s'attendre à ce qu'il occulte les autres sujets durant la campagne ? Le cas échéant, faut-il y voir pour autant la clef des régionales ?

Jérôme Fourquet : Il est difficile de répondre à cette question, dans la mesure ou nous n'avons pas mesuré ce thème en concurrence avec d'autres. Il reste sûr, au regard de ces chiffres, du traitement médiatique qui en est fait et des prises de positions des différents candidats qu'il s'agit incontestablement d'un des thèmes principaux. On ne peut pas dire si cela sera le thème majeur, mais sur une campagne relativement courte (les Français ne sont pas encore vraiment rentrés dans ce « match ») avec une situation sur le terrain qui ne changera pas en quelques semaines ou quelques mois... On a la assurément tous les ingrédients pour annoncer que la problématique des migrants sera un des sujets, si ce n'est le sujet de ces régionales. Ce n'est pas nécessairement acquis quand on sait qu'on va voter pour des conseils régionaux et qu'il ne s'agit pas d'une élection présidentielle, ou des élections européennes.

Dans quelle mesure, le contexte de la crise des migrants conforte-t-il l'hypothèse d'une percée du FN aux prochaines régionales ?

Jérôme Fourquet : Je ne suis pas sûr qu'on puisse utiliser la sémantique d'une percée aujourd'hui. On a déjà un Front National qui, sur deux reprises et à deux échéances de nature totalement différentes (les européennes et les départementales), coup sur coup atteint aux alentours de 25% des voix. Il s'agit déjà d'un score très élevé et une percée signifierait que le Front National monterait encore plus haut que cela. Ce n'est pas exclu, mais il s'agirait davantage d'une confirmation d'une dynamique déjà enclenchée plus que d'une percée. S'agit-il d'un scénario envisageable ? Au regard des résultats de ce sondage, on est en droit de le penser. D'une part, on remarque que dans un scrutin fortement abstentionniste, une des clefs de la victoire c'est la capacité de chaque parti à mobiliser. La question des migrants peut jouer ce rôle pour l'électorat frontiste plus que pour les autres. Autre enseignement de sondage qui laisse à penser que ce climat serait favorable au Front National et à sa dynamique c'est le fait que deux tiers des personnes interrogées disent qu'elles vont tenir compte de la crise des migrants. Ce sujet sera fatalement dans les conversations et dans les débats. Le Front National jouit d'une certaine forme d'antériorité sur le sujet et est très à l'aise dessus. Par conséquent, c'est tout bénéfice pour lui que ce type de sujet s'invite au cœur d'une campagne.

La crise des migrants est-il un sujet de discussion, sur le terrain, autant qu'à pu l'être le mariage pour tous ?

Jérôme Fourquet : Deux tiers des Français estiment que c'est un sujet qui va compter, dont un tiers qui dit que cela comptera « beaucoup », cela traduit une préoccupation très concrète. Cela étant, il s'agit d'un vote qui concerne des régionales, un scrutin qui fait suite à la réforme territoriale. Il apparaîtrait logique de penser qu'il s'agit donc du sujet principal. En outre, ces élections font office d'élection intermédiaires, avec un pouvoir impopulaire. L'opposition pourrait tenter de le transformer en un référendum anti-gouvernement, comme souvent, en nationalisant le scrutin sur une notion de sanction du gouvernement. Globalement, il y avait donc plusieurs raisons de penser qu'un sujet comme celui des migrants ne s'inviterait pas au cœur de la campagne. Les chiffres dont nous disposons montrent qu'il n'en est rien, bien au contraire.

Cela traduit que cette thématique intéresse, interpelle et fait débat en profondeur dans la société Française. Quant à comparer l'engouement sur ce débat-ci et sur celui du mariage pour tous... Il est important de garder à l'esprit que dans le cadre du second, il s'agissait d'un sujet sociétal politisé, dans le sens d'une opposition au gouvernement. Il y avait un projet de loi, les gens étaient contre ou étaient pour. Dans le cadre de la crise des migrants, nous nous retrouvons dans une logique différente. Hormis le fait que le gouvernement ait annoncé qu'on allait accueillir 30 000 migrants, il n'y a pas de projet de loi ou de mesure à combattre : juste une crise à gérer. On peut dire du gouvernement qu'il est laxiste ou autre, mais il ne s'agit pas de l'affronter. Il faut gérer une crise, complexe, qui ne dépend ni ne découle d'une décision gouvernementale.

La différence n'est pas qu'intellectuelle. De façon très concrète, le débat du mariage pour tous avait été très fortement alimenté par la manif pour tous qui pouvait organiser des manifestations monstres. Sur la question des migrants, il n'y a pas de front favorable ou opposé à l'accueil qui se structure et s'organise dans un sens ou dans un autre. Pas non plus de manifestation de la sorte, y compris pour venir en soutien, pas en France. Ce n'est pas parce qu'un mouvement identique à la manif pour tous n'a pas émergé dans le paysage que le sujet n'intéresse pas. Il intéresse et on le voit : il y a deux types de traductions politiques. Soit une traduction électorale parce qu'il existe un débouché, un certains nombres d'opinions. En cas d'inquiétude vis à vis des migrants, on peut voter pour le Front National, alors que vis à vis de la manif pour tous, la droite ayant été beaucoup plus frileuse et divisée, le collectif s'y était substitué. Pas de débouché politique ou électoral, et on voit bien que dès ses premiers essais, la manif pour tous n'a pas su traduire électoralement l'engouement suscité dans une partie de la société. On peut dessiner un parallèle entre deux sujets qui mobilisent fortement une partie de la population : l'un donne lieu à un mouvement social d'ampleur, l'autre engendré par la crise des migrants ne génère pas de mouvements de rue, ni de création de collectif mais une traduction électorale très claire, laquelle pourrait être la poursuite de la dynamique frontiste.

Le choc de Charlie n'a pas pas eu l'influence que craignaient certains dans les scrutins, le choc de la crise des migrants en aura-t-il davantage dans la mesure où la prise de parole de l'Exécutif a été jugée moins efficace ?

Jérôme Fourquet : Sur des événements de ce type, il y a bien évidemment des avants des après, cela dit il s'agit davantage d'une dynamique de fond et de continuité. Charlie comme la crise des migrants, pour l'électorat déjà tourné vers le Front National, ne vient qu'apporter de l'eau au moulin, confirmer leur proximité ou leur engagement auprès du parti. Le score de 25% qui apparaissait auparavant comme un plafond pour le FN devient aujourd'hui un plancher. Il ne s'agit, à priori, pas d'une progression exponentielle, mais rappelons qu'à la présidentielle en 2012, Marine Le Pen fait 18%. Aux européennes, elle fait 25% en dépit d'une participation plus faible et confirme ce score aux départementales. Or les européennes ont lieu avant les attentats de Charlie Hebdo. On est dans un processus de consolidation et de durcissement de ce vote qui se nourrit de ces événements. Ceux qui sont déjà proches du FN accueillent ces événements comme une confirmation de leur analyse, sur l'immigration en tant que problème, la panne de la machine à intégrer (notamment en raison de flux mal maitrisés et de l'accueil de trop monde). Par conséquent, la crise des migrants vient encore aggraver le problème. 56% des personnes interrogées, lors d'un précédent sondage, pensaient que les terroristes se trouvent dans les flux. Soit sous forme de terroristes infiltrés, soit des gens qui ne sont pas encore terroristes, mais risquent de le devenir, du fait des ratés de l'intégration.

Est-ce que les gens évoquent la crise des migrants, quand vous les rencontrez ? Si oui, s'agit-il d'une préoccupation et comment l'évoquent-ils ?

Hervé Morin : Ceux qui évoquent le sujet, lors de marchés, de foires ou de salons, sont souvent assez radicaux dans leurs conclusions. La première de celles-ci, repose sur la capacité d'accueil très limitée qui serait celle de la France, tandis que la deuxième est souvent une question : « quand va-t-on enfin construire une coalition internationale pour aller régler l'affaire de Daesh ? » Le plus souvent c'est ainsi que le sujet est abordé. Il faut savoir que dans mon conseil municipal, composé de gens issus de toute la diversité de la société Française ; de l'ouvrier au petit patron, une grande partie des gens était favorable pour accueillir une famille. Il s'agit d'un petit village de 1 500 habitants, mais tous ont un avis sur la question, qu'il soit positif ou négatif.

Je reviens tout juste d'Allemagne, où je me suis rendu pour étudier les politiques locales concernant la construction d'écosystème régionaux visant à accueillir des migrants et des réfugiés. Je suis très surpris de voir que les responsables politiques que j'ai été amené à rencontrer aient exprimés si vite leur inquiétude sur l'accueil de migrants et de réfugiés. Selon eux, cela risque de devenir un véritable problème (particulièrement si cela continue au même rythme que celui qu'ils connaissent actuellement). D'autant plus que sur 10 migrants, 6 proviennent des Balkans et viennent pour des raisons économiques, non pas pour fuir la guerre. Les responsables politiques allemands considèrent clairement qu'il va falloir mettre un terme à cette situation rapidement. On constate donc que même dans un pays qui ne connaît pas la même situation politique et économique que nous, les migrants sont perçus comme un problème, qu'il faut les renvoyer dans leurs pays d'origines. J'ai le sentiment que cela appelle à la prudence sur cette question en France.

J'ai décidé de ne pas faire de la crise des migrants un enjeu de campagne. Mon expérience de Ministre de la Défense m'a appris que réaliser une coalition militaire est quelque chose de très complexe. On a connu l'Irak, l'Afghanistan et on sait que cela peut donner lieu à un terrible enlisement des troupes étrangères. C'est pourquoi il est important que cette coalition soit essentiellement composée de pays de la région (bien que tout le monde y ait sa place, Iran et Russie compris). L'armée française ne peut gérer ce problème seule et c'est ce que je réponds à la deuxième conclusion.

Quelles en sont les conclusions que vous tirez ? Y'a-t-il un risque que la crise des migrants occulte d'autres sujets importants de la campagne ? Lesquels ?

Hervé Morin : Je crois que la campagne est commencée pour les politiques, mais pas encore pour les Français. Il reste encore deux bons mois avant que ce ne soit le cas et c'est, à mon sens, trop pour dire si la crise des migrants occultera d'autres sujets de campagne.

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