Ces visions de l'avenir dont nos dirigeants manquent cruellement<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric KARIGER, chef de la médecine palliative à l'hôpital de Reims CHU, parle à des journalistes sur le cas de Vincent Lambert.
Eric KARIGER, chef de la médecine palliative à l'hôpital de Reims CHU, parle à des journalistes sur le cas de Vincent Lambert.
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Le Nettoyeur

Avant d'engager toute réforme, le milliardaire américain Peter Thiel suggère de commencer par réfléchir à l'avenir, auquel personne ne pense en France.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Nous préoccupons-nous encore de l'avenir ?

Le terme qui qualifie sans doute le mieux l'activité de nos dirigeans - politiques, bien sûr, mais aussi d'entreprises et dans d'autres secteurs - est sans doute celui de "gestionnaires."

Il est évident que depuis vingt ans nos hommes politiques ont une vision purement gestionnaire de leur exercice du pouvoir. Dans les années 80, il y a eu deux tentatives de politique ambitieuse en France : l'aventure socialiste de 1981, et l'aventure libérale de 1986. Et chacune a été considérée, pour des raisons différentes, comme un échec. Et chacun des directeurs de ces aventures - François Mitterrand et Jacques Chirac - en ont tiré la même réponse : dorénavant, le leader politique doit être gestionnaire. L'idée qu'il y ait un but précis - qu'il s'agisse d'une utopie socialiste ou d'une utopie libérale - et que nous avons les moyens de l'atteindre est révolue.

Les dirigeants du secteur économique ont la même perspective. Quelle est la principale initiative complètement nouvelle envisagée par une grande entreprise du CAC 40 ? Vous pourrez attendre longtemps la réponse à la question. Les grands projets industriels de notre époque sont des redites, en plus gros, du même principe. L'A380 est une prouesse technologique et industrielle, mais conceptuellement, c'est une version plus grosse de ce qui a été fait avant. Le avion à deux étages, le Boeing 747, a fait son premier vol en...1969. Il y a quarante ans, l'ancêtre d'Airbus faisait le Concorde, qui était vraiment différent des autres avions. L'EPR d'Areva, qui n'arrive jamais, est dans son principe le même type de réacteur nucléaire que nous avons déjà, mais plus gros et plus performant, alors que ces mêmes réacteurs étaient réellement une innovation dans les années 1960.

Le milliardaire américain Peter Thiel est principalement connu pour avoir été un des fondateurs de PayPal et le premier investisseur extérieur de Facebook, mais il est principalement un intellectuel. Une de ses principales préoccupations est d'examiner quelle vision les sociétés ont de l'avenir.

Il propose une grille de lecture selon deux axes : d'un côté, on peut penser que l'avenir sera meilleur que le passé, ou qu'il sera pire, on est optimiste ou pessimiste ; de l'autre, on peut penser que l'avenir est déterminé ou indéterminé.

Pour Thiel, l'Occident après la Seconde guerre mondiale avait une mentalité optimiste-déterministe. Non seulement l'avenir serait radieux - les Trentes glorieuses - mais il y avait une vision précise de ce à quoi il ressemblerait. Les Etats-Unis créeaint le Programme Apollo, avec un objectif à la fois ambitieux et précis : poser un homme sur la Lune et le ramener vivant sur Terre. La France de de Gaulle se lançait dans le nucléaire, créait le Concorde, posait les bases d'un programme spatial européen.

A contrario, selon lui, aujourd'hui les Etats-Unis ont une mentalité optimiste-indéterministe. Les américains sont connus pour leur optimisme indécrottable, mais aujourd'hui ils n'ont plus de vision concrète de cet avenir. C'est ce qui pour lui explique la montée de la finance : pour faire de la finance, il faut être optimiste - aucun sens d'investir si on ne pense pas qu'on va gagner de l'argent - mais l'objectif du financier est de diversifier son portefeuille, au lieu de parier sur un secteur ou une entreprise en particulier. C'est aussi la raison de la répétition de bulles financières : si l'avenir doit être radieux, mais que personne ne sait comment on va y arriver, à chaque fois que quelque chose a l'air prometteur, on mise tout sur le nouveau cheval. L'élite américaine actuelle est constituée de Baby Boomers, c'est-à-dire de gens pour qui l'expérience dominante des vingt premières années de leur vie était un progrès constant - pour lequel ils n'avaient jamais à travailler.

Pour Thiel, l'exemple principal de pessimisme-déterminisme, aujourd'hui, c'est la Chine. Le monde entier a peur de la Chine, mais la Chine a peur d'elle-même. Les dirigeants chinois savent très bien que le rythme effréné de leur croissance crée des dislocations environementales et sociales dramatiques, et qu'à un moment la machine cassera. On parle des chinois milliardaires, on parle beaucoup moins du fait que tous les chinois riches n'ont qu'une préoccupation : sortir leurs actifs du pays. Ceux qui n'ont pas cette possibilité épargnent le plus possible - la Chine a un des taux d'épargne les plus élevés au monde - malgré une inflation qui rogne leur épargne, car ils ont peur de l'avenir. Pour la Chine, le scénario catastrophe est très clair.

Et l'Europe ? Pour Thiel, l'Europe est pessimiste-indéterministe, et je pense qu'il a raison. Nous avons peur de l'avenir, mais nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être mangés. La gestion de la crise de l'euro prend comme donné une vision du monde où la croissance sera toujours plus faible, mais il n'y a aucune idée pour en sortir, ou même pour se préparer. Nous ne savons pas s'il y aura une catastrophe ou juste un long déclin. Nous savons juste qu'un ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle recouvre l'Europe.

La position pessimiste-indéterministe est évidemment un cercle vicieux : si tout va mal se passer, à quoi bon essayer d'y faire quelque chose ; si on ne sait même pas ce qui va se passer, comment élaborer un plan de sortie. Le cercle vicieux est aussi prophétie auto-réalisatrice.

Comment pourrons-nous en sortir, alors ? Peut-être, Thiel suggère, devrions-nous commencer par réfléchir à l'avenir. Personne n'y pense. Personne n'en parle. Aucun candidat à une élection présidentielle n'ose dessiner un portrait de la France dans 30 ans. L'idée d'un programme national audacieux d'inventions est remplacé par des gestes symboliques sans intérêt. Si le président d'Airbus voulait dévouer plusieurs milliards d'euros à un projet audacieux d'avion spatial, il serait étripé par les marchés financiers.

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