Ces très mauvaises nouvelles climatiques de 2023 qui ont été écrasées par d’autres<!-- --> | Atlantico.fr
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Des Indiens se couvrent le visage avec un tissu au milieu d'un nuage de pollution dense à Amritsar, le 20 décembre 2023.
Des Indiens se couvrent le visage avec un tissu au milieu d'un nuage de pollution dense à Amritsar, le 20 décembre 2023.
©Narinder NANU / AFP

Atlantico Green

L'année 2023 a été marquée par la COP28 à Dubaï mais cet événement a éclipsé des informations importantes sur les échecs de la transition écologique en Inde ou sur le rôle des océans dans la captation du CO2.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : Alors que l’année 2023 a été marquée par la COP28 de Dubaï, la société Blue Carbon a signé des accords sur des millions d'hectares de terres en Afrique destinées à des projets de compensation carbone. Or, de nombreux scandales ont éclaté au cours de l'année écoulée et ont démontré que ces projets de compensation surestimaient souvent leurs avantages. Comment expliquer les échecs de ces projets de compensation carbone ? La compensation n’est-elle pas un nouveau mode de greenwashing ? Contribue-t-elle, comme certains ONG le disent, à « mettre la poussière sous le tapis » et à développer un outil inquiétant, voire corrupteur de soft power de la diplomatie climatique ?

Philippe Charlez : Il y a deux façons de compenser (i.e. d’absorber) les émissions de Gaz à Effet de Serre avant qu’elles ne pénètrent dans l’atmosphère.

La première est effectivement la bio-séquestration : via la photosynthèse la surface végétale représente le second puis de carbone après l’océan. Les végétaux absorbent environ 10% des émissions. En augmentant la surface végétale on accroit donc théoriquement la surface du puits de carbone et donc sa séquestration. Il y a toutefois derrière la bio-séquestration un problème d’effet d’échelle. Un arbre absorbe en moyenne 50 kg de CO2 par an (avec un maximum de 80 kg pour certaines espèces). Ainsi absorber les 400 millions de tonnes émises annuellement par les Français nécessiterait de planter 8 milliards d’arbres soit 117 arbres par français. Ces 8 milliards d’arbres nécessiteraient d’accroitre (en supposant 1000 arbres par hectare) de 50% la surface boisée française actuelle estimée à 16 millions d’hectares. La bio-séquestration n’est donc pas à rejeter mais il faut avoir conscience de ses limites.

La seconde solution bien plus efficace est le CCS (Carbon Capture & Sequestration) consistant à capter le CO2 de gros émetteurs (industrie chimique, sidérurgie, cimenteries, centrales électriques au gaz ou au charbon) et à le réinjecter dans le sous-sol. La méthode est mature et ne présente pas de problème technique particulier mais reste très coûteuse et socialement mal acceptée. Elle par ailleurs à tort vilipendée par la plupart des ONG estimant que la méthode revient à mettre la « poussière sous le tapis » pour continuer à produire des fossiles en se donnant bonne conscience. Pourtant, quand on regarde les scenarios de l’Agence Internationale de l’Energie, le CCS représente le troisième levier de décarbonation après les économies d’énergie et la montée en puissance des énergies décarbonées (renouvelables et nucléaire). Ainsi dans le schéma intermédiaire de l’AIE, les reliquat d’émission 2050 (environ 10 milliards de tonnes) sont compensés via le CCS. L’effet d’échelle est ici de nouveau marquant. Sachant que l’on a séquestré par CCS environ 50 millions de tonnes en 2022, il faudrait donc multiplier le CCS par un facteur 200 d’ici 2050. Sans être, loin de là, du greenwashing la compensation par bio-séquestration ou CCS ne résoudra pas pour autant la problématique climatique.

Parmi les autres mauvaises nouvelles figure le rôle des océans. Selon un article publié dans Nature, l’absorption des océans serait inférieure aux prévisions initiales. Est-ce particulièrement inquiétant dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique ? 

Les océans représentent le premier puits de carbone mais aussi une source rétroactive d’émissions. Les océans absorbent en effet de l’ordre de 30% des nos émissions de GES soit trois fois plus que la couverture végétale. En d’autres termes quand nous émettons une tonne de CO2, 60% se retrouvent dans l’atmosphère. L’absorption du CO2 par les océans est un phénomène semblable à celui existant dans une eau gazeuse : si l’on force du gaz dans l’eau il se dissous et inversement lorsqu’on décapsule la bouteille les bulles se libèrent. Toutefois, la pénétration du gaz peut saturer au-dessus d’une certaine valeur : on a beau accroitre la pression du gaz, l’eau en accepte de moins en moins. C’est un peu ce qui se passe au- dessus des océans : les émissions de CO2 anthropiques augmentent la pression du CO2 et le force à rentrer dans l’océan. Toutefois la température joue un rôle majeur sur la dissolution : le CO2 se dissout beaucoup plus facilement dans l’eau froide que dans l’eau chaude. Dans ce dernier cas, on peut assister à l’inversion du phénomène avec un possible dégazage vers l’atmosphère. Le CO2 est donc préférentiellement absorbé dans les régions froides (tempérées et polaires) et rejeté dans les régions chaudes (tropiques et équateur). Le réchauffement climatique auquel nous assistons réduit la capacité d’absorption de l’océan dans des régions froides et accentue la capacité de rejet dans les régions chaudes. Il s’agit d’une véritable boucle de rétroaction climatique dans la mesure où le réchauffement initial accroit par rejet océanique la teneur en CO2 dans l’atmosphère elle-même responsable d’un accroissement supplémentaire de température. Cette boucle de rétroaction engendre donc une sorte d’emballement du réchauffement climatique.

Signalons également que l’accroissement de la teneur en CO2 dissous dans l’océan engendre une diminution du pH c’est-à-dire une acidification. Cette acidification reste toutefois modérée : depuis une soixantaine d’années, le pH est passé de 8,2 à 8,1. N’oublions pas que l’eau de mer est une solution tampon très basique. L’accroissement même forte de la teneur en CO2 ne diminue que très modérément le pH.

Pourquoi l’Inde n’arrive-t-elle pas à accélérer sa transition écologique et à atteindre ses objectifs ambitieux en matière d’énergie propre ?

L’Inde n’est pas, loin de là, le seul pays continuant d’accroitre de façon significative sa consommation de fossiles et en particulier de charbon. La même remarque s’applique à la Chine, le Viet Nam, l’Indonésie, la Thaïlande et à bien d’autre pays émergents. Ces derniers consomment 75% du charbon, 60% du pétrole et émettent les deux tiers du CO2 mondial. La raison en est simple : leur priorité est le développement et non la transition énergétique. J’en prends pour preuve la dernière assemblée des BRICS en septembre 2023 : le président chinois Xi Jinping a prononcé 38 fois le mot développement et pas une seule fois les mots transition énergétique et réchauffement climatique.

Le développement de 1,5 milliards d’Indiens, de 270 millions d’Indonésiens de 100 millions de Vietnamiens et de 70 millions de Thaï demande de l’énergie, beaucoup d’énergie. Et malheureusement, hormis le CO2, le charbon, le pétrole et le gaz cochent tous les cases du développement à moyen terme (abondants, disponibles, bon marché, faciles à transporter, aisés à transformer en électricité). Se développer tout en décarbonant sont difficilement compatibles économiquement. L’économiste américain Nicholas Stern estime d’ailleurs que la transition énergétique des émergents réclamerait un transfert annuel de près de 2500 milliards depuis les pays de l’OCDE ver les émergents une opération impossible dans la mesure où elle plongerait toutes les économies développées en récession structurelle.

La décarbonation des pays émergents en général, de l’Inde en particulier apparaît aujourd’hui comme la principale question climato-énergétique. Contrairement à une idée reçue, les pays de l’OCDE n’ont plus les clés de la transition entre leurs mains. S’ils peuvent aider, ni la bio-séquestration ni le CCS ne changeront malheureusement pas la cette équation quasi impossible.

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