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Ce jeu de dupes à haut-risque auquel jouent les mineurs de Bitcoin
©Ozan KOSE / AFP

Minute Tech

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Quelle est la réalité sur le marché des cryptomonnaies ? Les procédures et les techniques liées aux fermes de minage pour le Bitcoin ont-elles évolué afin de générer moins de pertes ?

Michel Ruimy : Après une année 2021 exceptionnelle, le marché des cryptoactifs a connu une chute vertigineuse en 2022. Il est évalué aujourd’hui à près de 1 120 milliards USD (perte d’environ 2/3 de sa valeur).

L’ampleur de la baisse a surpris les investisseurs du secteur. Ce ne fut pas un crash soudain mais une lente baisse durant laquelle il a été difficile, pour les fermes de minage, de « tenir la barre ». Personne ne pensait que le Bitcoin pouvait redescendre en dessous des 20 000 USD. Déjà confronté à une importante crise de confiance, le secteur fait désormais face aux retombées du scandale de la plateforme d’échanges FTX, acteur majeur du secteur, qui a été contrainte de déposer le bilan en novembre dernier, à la suite de révélations de transactions frauduleuses.

Devant les récentes actions réglementaires, l’industrie mondiale des cryptoactifs doit faire face à un nouveau défi. Les entreprises, faiblement rentables voire déficitaires, doivent réaliser des coupes drastiques dans l’exploitation pour survivre. Si le prix du bitcoin ne remonte pas, il y aura beaucoup de « casse ».

Pourquoi les cryptomonnaies se sont retrouvées sur le chemin d’une tempête parfaite ? Comment expliquer que les marges ne soient plus aussi importantes au sein d’un secteur aussi concurrentiel ?

Dans une perspective historique, une forte hausse du prix du bitcoin, déclenchée par une frénésie d’achat, a été suivie d’une vive baisse, puis d’une reprise progressive. Bien qu’il n’y ait aucune garantie que ce schéma se répète, ce processus est largement décrit comme le « cycle du bitcoin ». L’erreur a été d’imaginer qu’en 2021, l’industrie était dans un « super cycle » qui allait prolonger la période de prospérité. Beaucoup d’investisseurs ont supporté cette idée et ont donc été pris au dépourvu lorsque le marché s’est effondré.

Une combinaison d’immaturité, de mauvaise planification et de cupidité a ainsi conduit les mineurs au bord de l’effondrement. Lorsque le marché était en plein boom, les entreprises se sont lourdement endettées à des haut taux d’intérêt (10 à 20%) pour financer leur expansion. Aujourd’hui, les gains ne suffisent pas pour couvrir les coûts de remboursement. Il peut sembler « absurde » de supporter ces taux exorbitants mais ceci « avait du sens » car le coût de la dette était éclipsé par les revenus générés par l’activité minière, du moins… jusqu’à ce qu'il ne le soit plus.

Au plus fort du boom de 2021, les marges bénéficiaires dans l’activité de minage pouvaient atteindre 90%. Aujourd’hui, elles se sont totalement effondrées en raison notamment de la baisse du prix du Bitcoin et de la flambée du coût de l’énergie.

Les investisseurs et les entreprises du marché seront-elles dans une position financière suffisamment solides pour survivre à la baisse des bénéfices ? Pouvons-nous nous attendre à une embellie en 2023 ?

Alors qu’elles se démènent pour diminuer leurs coûts, les fermes de minage jouent, entre elles, un « bras de fer ». En effet, en 2024, un mécanisme intégré au système Bitcoin divisera de moitié le nombre de pièces qui leur sera attribué, ce qui réduira automatiquement leurs bénéfices. Dès lors, leur objectif est de s’assurer qu’elles seront dans une position financière suffisamment solides pour survivre, plus longtemps, à cette baisse des profits que leurs concurrentes avec l’idée que plus de mineurs feront faillite et quitteront donc le réseau, plus la part des pièces gagnées par les autres augmente. Cette dynamique va les inciter à mettre de l’ordre dans leurs affaires.

Bitcoin pourrait profiter, en 2023, d’une instabilité géopolitique persistante et des difficultés économiques de plusieurs Etats. En effet, Bitcoin démontre essentiellement sa proposition de valeur dans des pays en crise (Ukraine, Liban…). N’oublions pas que les cryptoactifs, sans frontières, ni nationalité et difficiles à censurer, ont permis de transférer rapidement jusqu’à 100 millions USD de dons vers l’Ukraine au début du conflit avec la Russie.

Comment expliquer cette dynamique de ruée vers l’or, vers les rares Bitcoins ? L’industrie du Bitcoin est-elle forcée à devenir plus efficace et à repenser son modèle face à ces nouvelles réalités ?

La réduction qui aura lieu en 2024 oblige les entreprises à rationaliser leurs coûts. Le diable se cache dans les détails. Beaucoup de mineurs qui se débattent actuellement avec leurs difficultés financières ne seront vraisemblablement pas en mesure de survivre à cette réduction. Ils parient sur une augmentation du prix du bitcoin… qui pourrait ne jamais arriver. 

Certains chercheront à dégager des marges bénéficiaires supplémentaires là où ils le pourront : déploiement de matériel et techniques de refroidissement de qualité supérieure, développement de logiciels supervisant les performances des machines, délocalisation vers des territoires où l’énergie est meilleure marché, renégociation des conditions de prêts… D’autres peuvent viser une intégration verticale (absorption d’un fournisseur d’énergie) ou construire leur propre ferme solaire pour alimenter leurs machines, éliminant ainsi un coût de production important. 

A l’avenir, les acteurs devront réfléchir sur la manière de gérer les risques potentiels qui pourraient survenir.

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