61% d’abstention chez les 18-24 ans : de quoi les jeunes se détournent-ils vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2008, lors des précédentes municipales, le taux d’abstention des 18-24 ans s’établissait à 53,9 % et celui de 25-34 ans à 49 %.
En 2008, lors des précédentes municipales, le taux d’abstention des 18-24 ans s’établissait à 53,9 % et celui de 25-34 ans à 49 %.
©Reuters

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Ce premier tour est marqué par une abstention record pour des élections municipales : près de 38,5 %. Mais ce taux est nettement plus élevé chez les jeunes... Analyse.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : En 2008, lors des précédentes municipales, le taux d’abstention des 18-24 ans s’établissait à 53,9 % et celui de 25-34 ans à 49 %. Un chiffre bien plus élevé que dans les autres catégories d’âges. Sur l’ensemble des 26 millions d’inscrits, le taux de participation au 1er tour de 2008 était de 66,54 %, avec une légère progression pour le deuxième tour, à 65,14 %. Que révèle ce taux d'abstention ?

Vincent Tournier : La moindre participation des jeunes est une constante des élections. Les jeunes sont toujours plus abstentionnistes car on a affaire à des citoyens qui sont encore en formation, qui sont dans une phase d’intégration sociale et politique. Leurs préoccupations concernent prioritairement le cadre de vie, la famille, les amis, les loisirs. Pour eux, la politique est peu parlante, c’est un univers encore lointain, qui concerne plutôt la génération des parents, voire des grands-parents. Le sondage de l’AFEV indique d’ailleurs que 78% des jeunes voudraient plus d’explications sur la politique à l’école, sans réaliser que cela est difficile parce que l’école doit garder une certaine neutralité.

C’est pourquoi, au final, les jeunes sont amenés à amplifier les tendances que l’on observe dans le reste de la population : lorsque l’abstention s’accroît, elle monte encore plus chez eux. C’est encore plus vrai pour les élections municipales, qui exigent une certaine familiarisation avec les enjeux locaux, familiarisation que les médias nationaux ne prennent évidemment pas en charge.

Cela dit, le décrochage de la participation n’est pas sans poser problème. On sait que les premières habitudes électorales comptent beaucoup pour la suite. Entamer sa vie civique par l’abstention va donc probablement laisser des traces, sans que l’on puisse dire lesquelles précisément. Une question se pose donc : pour ces générations qui font leur apprentissage politique, quelle conception du civisme va se développer dans les décennies à venir ? Faut-il être inquiet ou pas ? Nul ne le sait parce que cette situation de désertion civique n’a pas de précédent dans une démocratie.

Selon une étude de décembre 2013 de l’Association de la Fondation Étudiante pour la Ville (Afev), 49 % des jeunes de 15 à 30 ans se déclarent intéressés par la politique. Cet intérêt est plus marqué chez les hommes (53 %) que chez les femmes (45 %). Comment expliquer ce rapport ambivalent à la participation politique : intéressés mais abstentionnistes ? Sous quelle forme conçoivent-ils leur engagement ?


Il faut d’abord rappeler que l’intérêt pour la politique n’est pas constant : il augmente en période électorale et baisse ensuite. C’est assez logique : au moment des élections, les gens sont sollicités, ils reçoivent plus d’informations politiques et doivent se préparer à voter. Leur conscience politique est donc stimulée, mise en éveil. Cela dit, le niveau d’intérêt politique en France n’est pas très élevé. Compte tenu de certaines transformations sociales comme la hausse du niveau d’éducation ou la démocratisation de l’accès à l’information, on aurait même pu s’attendre à ce que la politisation augmente, ce qui n’est pas le cas. Mais encore faut-il se souvenir que le lien entre la politisation et le vote n’est pas automatique : une partie importante des électeurs se rend aux urnes sans être politisée, juste par sens du devoir, même si cette attitude devient plus rare aujourd’hui ; à l’inverse, des électeurs politisés choisissent de ne pas voter. Là se trouve d’ailleurs l’explication du paradoxe que j’évoquais précédemment : si la hausse du niveau d’éducation et d’information ne débouche pas sur une hausse de la participation, c’est aussi parce que les électeurs deviennent plus exigeants. En somme, on estime que l’offre politique n’est pas à la hauteur de ses attentes. Il y a aussi une forme d’idéalisation de la politique qui laisse mal à l’aise face aux imperfections de la vie démocratique.

Les jeunes vont-ils contraindre à repenser le fonctionnement de la démocratie participative ?

D’une certaine façon, c’est déjà fait : de nombreuses communes ont mis en place des conseils de jeunes qui sont censés mieux prendre en compte leurs demandes. Toutefois, les résultats de ces expériences ne sont pas très convaincants. Ces conseils sont souvent conçus dans une optique de communication politique. En outre, les élus n’ont pas trop envie, et sans doute à juste titre, d’abandonner leurs prérogatives au profit d’instances dont la légitimité reste fragile, où le turn-over est élevé, et qui oscillent entre inutilité et exubérance difficile à canaliser. Il faut aussi se garder d’une idéalisation de la jeunesse. De ce point de vue, les résultats du sondage apportent des éléments intéressants. On peut s’étonner, par exemple, que 73% des jeunes acceptent sans tiquer la proposition selon laquelle il faudrait réserver « des sièges d’élus aux femmes, jeunes, minorités visibles », ou encore que 72% demandent « la reconnaissance du vote blanc », deux propositions qui poseraient des problèmes juridiques majeurs tout en provoquant d’énormes tensions. Cela vient rappeler que la réflexion politique ne s’improvise pas et qu’il faut se garder, avec la jeunesse, de céder à la démagogie facile : non, la vérité ne vient pas toujours de la bouche des enfants !

Cela dit, à titre personnel, je m’interroge sur la polarisation actuelle sur la démocratie participative, au moment où la démocratie représentative (ou traditionnelle) a tendance à se vider de sa substance dans une indifférence quasi-générale une fois passées les indignations convenues des soirées électorales. A mon avis, c’est une question qui devrait mobiliser davantage : pourquoi les électeurs désertent massivement les urnes ? La démocratie a-t-elle évolué dans la bonne direction ? N’y a-t-il pas un risque à vouloir continuer comme si de rien n’était sans prendre la peine de faire un bilan ? On songe à la fameuse répartie du film Les Sept mercenaires de John Sturges, dans laquelle le personnage joué par Steve Mac Queen disait : « ça me rappelle l’histoire de ce gars qui est tombé d’un immeuble de dix étages. A chaque étage, les gens l’entendaient dire : « jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien ».

Source : afev.fr

Quels facteurs rendent les jeunes si défiants ? Sont-ils particulièrement déçus par la classe politique actuelle ?

Il est clair que la défiance politique est aujourd’hui très généralisée. Là encore, les jeunes amplifient les tendances nationales. C’est normal : ils grandissent dans un contexte où les informations négatives sont omniprésentes. Ajoutons aussi qu’ils baignent dans une ambiance où le dénigrement devient la norme : c’est ce qu’ils voient tous les jours dans les médias, notamment dans les émissions satiriques, et c’est aussi ce qu’ils vivent (et pratiquent !) sur les réseaux sociaux ou les services interactifs. C’est une évolution qui a été bien vue lors de l’élection présidentielle de 2012 : dans les discours politiques, les messages à caractère négatif, où l’on critique ses adversaires, l’emportent largement sur les messages à caractère positif destiné à valoriser son projet. L’air du temps est aux « anti » de toutes sortes. La critique n’est bien sûr par une mauvaise chose, mais on peut s’interroger sur le caractère systématique de cette attitude, qui témoigne d’un pessimisme profond et, sans doute, d’une certaine perte d’illusion sur l’avenir.

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