1997-2014, les Français face aux 35 heures : constants dans leur schizophrénie<!-- --> | Atlantico.fr
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La nouvelle durée légale du travail s’est installée progressivement dans les mœurs et la vie quotidienne des Français.
La nouvelle durée légale du travail s’est installée progressivement dans les mœurs et la vie quotidienne des Français.
©Reuters

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Exclusif - Dans sa 32e publication de la collection "Ifop Collectors", l'institut de sondage Ifop revient sur le regard que les Français ont porté sur les 35h depuis leur introduction en 1997 jusqu'à aujourd'hui.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Seize ans après le vote de la loi Aubry, les Français témoignent d’un clair attachement aux 35 heures, en dépit des répercussions néfastes qu’ils imputent souvent à cette mesure, tant dans leur quotidien qu’au niveau macro-économique. En réalité, pour eux, tout se passe comme si la réduction du temps du travail mise en application à partir des années 2000 relevait de la mesure de "confort" : l’amélioration de la qualité de vie qu’elle induit est clairement reconnue, mais la France et ses citoyens peuvent-ils se le permettre ? A l’heure où le pays peine à sortir de la crise et où le pouvoir d’achat des ménages se hisse en tête des préoccupations des Français, le doute semble installé.  

"Dix ans après la loi Aubry, 74% des salariés passés aux 35 heures estiment que leur mise en place a eu un effet négatif sur le niveau des salaires."
Mai 2008

L’OPINION DE L’ÉPOQUE SUR…                                     

  1. 1 - Une mise en place du régime des 35 heures approuvée, mais qui a rapidement suscité des inquiétudes

La nouvelle durée légale du travail s’est installée progressivement dans les mœurs et la vie quotidienne des Français, qui se déclarent rapidement majoritairement satisfaits de ce changement. Pour autant, dans le même temps, ces derniers font également part de craintes concernant les répercussions de cette réforme sur leur vie professionnelle – tant en termes de salaire que de charge de travail – et sur la santé économique du pays.

A/ Une large approbation du principe et une mise en application progressive

En octobre 1997, alors que la première loi de réduction du temps de travail, dite "loi Aubry", n’est pas encore votée par les députés, la perspective de fixer légalement la durée du travail à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 10 salariés est approuvée par quasiment deux tiers des Français (63%).

La mise en place des 35 heures s’est réalisée progressivement suite à l’adoption du projet de loi en juin 1998 et de l’application du nouveau temps de travail hebdomadaire pour les entreprises de plus de 20 salariés. Aussi, en janvier 1999, seul un tiers des chefs d’entreprise déclarait que le régime des 35 heures était soit entré en application (3%), soit en cours de négociation (29%) dans leur structure.

Progressivement, le régime des 35 heures s’est vu appliqué dans l’ensemble des entreprises, poussé par l’adoption de la loi « Aubry 2 » qui confirmait cette réduction de la durée légale du travail pour les entreprises de 10 salariés et plus et instaurait par la même occasion les RTT. Aussi, en mai 2008, plus des deux tiers des actifs déclaraient travailler dans une entreprise qui appliquait la nouvelle durée légale du travail, contre 62% en octobre 2003 et seulement 45% en 2001


Cette montée en puissance progressive s’est accompagnée de négociations entreprise par entreprise. Dans près de trois quarts des cas, les personnes étant passées aux 35 heures avaient le sentiment que leurs intérêts avaient été bien défendus par leurs syndicats ou délégués du personnel, attestant de la mise en application en douceur de la mesure.

Une mise en place facilitée par le fait que, à la même période, dans près de deux tiers des cas, les Français passés aux 35 heures considéraient que cette diminution du temps de travail avait amélioré leur vie quotidienne (62%)[1] et les salariés du secteur privé que cela avait amélioré leur qualité de vie (68%)[2].Raisons pour lesquelles, en 2003, ces mêmes salariés étaient deux tiers à se déclarer satisfaits de la mise en place des 35 heures.

B/ L’émergence des premières craintes pour soi-même et pour l’économie française

Pour autant, nos concitoyens ont rapidement également affiché un certain scepticisme quant aux impacts éventuels de la mesure. Aussi, non seulement craignaient-ils une incidence négative sur le niveau d’embauche des entreprises – et conséquemment sur l’emploi en France -, mais également sur leur niveau de revenu.

Concernant le chômage, il apparaît avant même la mise en place de la réforme que les Français ne croyaient pas qu’elle puisse avoir un effet positif sur les embauches, ce point ayant ensuite fait l’objet de vives controverses entre experts d’abord, et entre la gauche et la droite ensuite.

Mais au début des années 2000, période caractérisée par une croissance économique convaincante et une érosion confirmée du chômage, ce pessimisme va quelque peu s’estomper et les Français vont apparaître finalement très partagés quant aux conséquences du passage aux 35 heures sur l’emploi. Aussi, alors qu’ils étaient 56% en 1997 à estimer que les 35 heures ne seraient pas efficaces pour réduire le chômage, trois ans plus tard, la moitié d’entre eux pensait que l’application de la mesure aurait un aspect plutôt positif sur le niveau des embauches (51% en 2000, 49% en 2001).

Ceci étant dit, l’embellie des années Jospin n’a été que de courte durée et, très vite, les Français se remettent à douter de l’impact économique de l’application des 35 heures. Aussi, très rapidement, près des deux tiers des salariés estiment que la loi Aubry a un impact plutôt négatif sur la création de nouveaux emplois dans leur entreprise (65%) et, plus généralement, sur l’économie (62%).

Si les éventuelles conséquences négatives du passage aux 35 heures sur l’économie en général sont identifiées par les Français, à titre individuel, des inquiétudes se font également jour auprès de nos concitoyens, qui redoutent notamment l’impact de la mesure sur leur salaire et leur charge de travail. On observe en effet dès 1997 qu’une claire majorité d’entre eux ne croit pas qu’on puisse travailler 35 heures par semaine sans diminution de salaire.

Après la mise en application de la loi Aubry, leur scepticisme semble se renforcer concernant l’impact de la réduction du temps de travail sur leur vie professionnelle. De fait, plus précisément au sujet de leur rémunération – sujet qui va progressivement devenir central avec la montée en puissance de l’insatisfaction en matière de pouvoir d’achat -, il apparaît qu’alors que déjà 48% des Français n’étaient pas prêts à accepter le gel de leur salaire en 2000[3], ils étaient 57% à considérer un an plus tard que l’application de la loi aurait un effet plutôt négatif sur leur niveau de salaire (contre 27% à estimer que l’effet est plutôt positif)[4].

Par ailleurs, autre critique émergente, leur conviction que cette mesure a un aspect plutôt négatif (53%) que positif (40%) sur leur charge de travail se renforce, un an après l’application de la loi (59% contre 33%).

Pour autant, nos concitoyens continuent de croire en les bienfaits de la mesure sur leur qualité de vie. Conséquemment, à l’aube des années 2000, l’ambivalence du ressenti des Français à l’égard des 35 heures peut se résumer ainsi : près de deux tiers d’entre eux estiment que la réduction du temps de travail a amélioré leur vie quotidienne, cependant ils demeurent également deux tiers à estimer qu’elle a un effet plutôt négatif sur leur vie professionnelle.

A titre subsidiaire, il semble intéressant de relever que les patrons interrogés en 1999 confirment le ressenti des salariés. Ainsi, dans le cadre du passage aux 35 heures, 40% des dirigeants d’entreprise envisageaient un gel des salaires et seuls 28% un accroissement de leurs effectifs. La majorité de ces chefs d’entreprise ne voyaient d’ailleurs que des conséquences négatives au passage aux 35 heures pour leur structure, tant sur la qualité de service offert à leurs clients (51%) que sur leur productivité (58%), la compétitivité de leur entreprise face à des entreprises concurrentes de la zone Euro (63%) ou pis encore l’impact financier sur le compte de résultats (81%)[5].

  1. 2 - L’attachement des Français au régime des 35 heures mis en difficulté par la crise économique

Les effets pervers de la mise en application de la nouvelle durée légale du travail se sont confirmés dans le ressenti des Français, qui estiment de plus en plus que les 35 heures impactent défavorablement leur pouvoir d’achat et l’économie française en général. Pour autant, ils demeurent attachés à la mesure, et rejettent dans leur majorité l’hypothèse d’une abrogation. A moins que, conséquence de la crise, les sacrifices financiers et économiques à réaliser pour maintenir un tel régime ne deviennent trop importants.

A/ La confirmation des premières craintes et le succès du « Travailler plus pour gagner plus »

Le ressenti contrarié des Français concernant le régime des 35 heures aux premières heures de sa mise en place – effet plutôt favorable sur la vie personnelle versus impact plutôt défavorable sur le salaire et le pouvoir d’achat - se voit confirmé quelques années plus tard. En 2008 en effet, ils sont de plus en plus nombreux à estimer que les 35 heures ont certes eu un effet favorable en termes de qualité de vie, mais qu’elles impactent défavorablement la santé économique de trois acteurs principalement : les ménages et leur pouvoir d’achat, la santé économique de l’entreprise, et l’économie du pays.

La nouvelle durée du travail semble ancrée dans les mœurs professionnelles des Français et les salariés passés aux 35 heures s’en félicitent. Huit ans après l’entrée en vigueur de la première loi Aubry, ils font preuve d’un optimisme grandissant concernant son impact sur la vie de l’entreprise. Aussi, la réduction du temps de travail n’implique-t-elle pas seulement des répercussions positives sur la qualité de la vie personnelle, mais également sur la qualité de la vie au travail, qui a dû modifier son organisation et gagner en productivité pour « absorber » le passage aux 35 heures.

En revanche, la tendance inverse se produit concernant le ressenti des Français au sujet de leur niveau de salaire, les Français passés aux 35 heures témoignant d’une défiance toujours plus grande. En effet, en 2003 déjà, 53% des salariés passés aux 35 heures estimaient que les conséquences dans leur entreprise étaient négatives en la matière. En 2008, ils sont quasiment 20% de plus (74%). Et au final, au-delà de leur entreprise, seuls 6% pensent que les 35 heures ont eu des conséquences plutôt positives sur les salaires en France (contre 69% qui estiment que les 35 heures ont eu des conséquences plutôt négatives)[6].

D’un point de vue plus global, les Français témoignent également d’inquiétudes pour l’ensemble de l’économie française, que ce soit pour la consommation des ménages et la compétitivité des entreprises françaises d’abord, mais aussi pour le niveau de chômage. Sur ces trois dimensions, les avis négatifs l’emportent systématiquement (et parfois très largement) sur les avis positifs.

A ces craintes pour l’économie française vient s’ajouter dans la critique des 35 heures le discours de plus en plus prégnant sur l’augmentation du pouvoir d’achat par le travail, porté par la campagne de Nicolas Sarkozy de 2007. Et ce message a eu d’autant plus de poids que si les salariés bénéficiant de la réduction de la durée légale du travail reconnaissaient aisément que le passage aux 35 heures leur avait permis de consacrer plus de temps à leurs loisirs et à leur famille, ils étaient également près des trois quarts à reconnaître que cela ne leur avait pas permis de consommer davantage.

Dans un contexte où le « travailler plus pour gagner plus » gagnait du terrain, ce qui faisait la force de la réforme des 35 heures – une amélioration de la qualité de vie par une augmentation du temps libre – allait également être remis en question en ce qu’on tendait de plus en plus à penser que l’amélioration de sa vie personnelle passerait par un pouvoir d’achat plus important. Ainsi, c’est l’arbitrage entre le temps libre et le salaire qui allait ici être modifié à partir de 2007 comme le montre le tableau ci-dessous.

En conséquence de quoi, un plébiscite de plus en plus grand se fit jour au sein de l’opinion française pour avoir le choix de travailler plus pour gagner plus, deux tiers des Français s’estimant prêts à rentrer dans ce schéma au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy (66%).

Aussi, pour accroître leur pouvoir d’achat, les Français se tournaient-ils en premier lieu vers les heures supplémentaires, solution arrivant ex-aequo avec l’incitation aux entreprises à négocier les salaires par branche d’activité. Des heures supplémentaires que potentiellement deux tiers des Français pourraient réaliser, s’estimant prêts à travailler plus pour gagner plus (66%).

Néanmoins, concrètement, quand il est demandé aux salariés qui bénéficient des RTT (soit 63% des salariés)[7] s’ils seraient prêts à travailler pendant ces journées si l’employeur proposait de les payer 10% de plus, les avis sont partagés (55%). Transparaît ainsi en filigrane l’attachement au confort de vie apporté par la réforme des 35 heures et la volonté des Français de continuer à jouir de ses bienfaits.

B/ Preuve de l’attachement des Français aux 35 heures : leur assouplissement est davantage souhaité que leur abrogation

En dépit de la large adhésion de l’opinion publique française au slogan de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy, les Français demeurent attachés aux 35 heures. S’ils identifient des conséquences néfastes de la réduction du temps de travail, ils restent néanmoins très désireux de continuer, à titre personnel, à profiter de ses bienfaits. Ainsi, tout se passe comme si, à leurs yeux, la réforme de Martine Aubry relevait de la mesure de « confort » : à défaut d’être jugée globalement raisonnable d’un point de vue économique et financier, nos concitoyens l’ont intégrée dans leurs mœurs, ont apprécié l’amélioration de la qualité de leur vie qu’elle a induit, et ne souhaiteraient, dans leur majorité, pas revenir en arrière. Ainsi, l’abrogation de la loi n’a-t-elle jamais été encouragée par l’opinion, même si cette dernière s’avère de plus en plus partagée. Faut-il interpréter cette évolution comme une répercussion de la grave crise économique sévissant depuis 2008 et de ses conséquences sur les pouvoirs d’achat ? On peut se demander alors jusqu’à quel point les Français sont prêts à contraindre leurs revenus pour une vie personnelle plus agréable. 

En réalité, c’est davantage la possibilité de rendre les 35 heures plus flexibles et d’aménager le régime – en permettant aux salariés d’effectuer des heures supplémentaires (37%) voire en leur permettant d’effectuer des heures supplémentaires et en autorisant les entreprises ou les branches d’activité à négocier leur temps de travail avec leurs syndicats (28%) – qui entraîne l’adhésion de l’opinion, que d’abroger totalement les 35 heures (21%) ou de revenir aux 35 heures telles que prévues dans la loi Aubry (14%).[8]

En guise de conclusion, on ne manquera pas toutefois de nuancer l’attachement constaté de nos concitoyens aux 35 heures en relevant que l’hypothèse évoquée par le futur nouveau ministre de l’Economie Emmanuel Macron de remettre en cause le régime des 35 heures après accord des syndicats dans l’entreprise, séduit près de deux Français sur trois aujourd’hui (65%). Se pose alors la question de savoir si une remise en question du régime des 35 heures est vraiment envisagée par nos concitoyens ou si, forts de l’expérience de l’application de la mesure dans les entreprises avec l’aide des syndicats, ils ne font que convenir d’éventuels ajustements au cas par cas.


[1] Ifop pour le JDD, décembre 2001

[2] Ifop pour l’Express, mars 2001

[3] Sondage Ifop pour VSD, janvier 2000

[4] Sondage Ifop pour l’Express, mars 2001

[5] Sondage Ifop pour Le Revenu, janvier 1999

[6] Sondage Ifop pour Le Figaro Magazine, mai 2008

[7] Ifop pour le Figaro Magazine, mai 2008

[8] Ifop pour Le Figaro Magazine, mai 2008

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