11 septembre 2001: 20 ans après, un bilan géopolitique de deux décennies de "guerre contre la Terreur" et d'interventionnisme américano-occidental dans le monde<!-- --> | Atlantico.fr
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Terrorisme
Une vue des twin towers de New York lors des attentats du 11 septembre 2001.
Une vue des twin towers de New York lors des attentats du 11 septembre 2001.
©HENNY RAY ABRAMS / AFP

Géopolitico-scanner

Vingt ans après les attentats du 11 septembre, quels sont les principaux enseignements de l'interventionnisme américain dans le monde et au Moyen-Orient dans le cadre de la lutte contre la menace terroriste ?

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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A l'occasion des 20 ans des attentats du 11 septembre, Alexandre del Valle fait le point sur 20 ans d'interventionnisme américain dans le monde et en particulier au Moyen-Orient dans le cadre de la lutte contre une menace islamiste qui n'a cessé de muter mais qui n'a été ni éradiquée ni même freinée par les interventions américaines et occidentales au Moyen Orient ou en Afrique. Pour cela, il a échangé longuement avec le géopolitologue franco-russe Viatcheslav Avioutskii, spécialiste du monde post-soviétique, arabophone, et fin analyste de la politique mondiale.

Alexandre del Valle : Le 11 Septembre a été analysé par certains, à l’époque comme le vrai début de l’ère post-Guerre froide, avec un nouvel ennemi principal, qu’en pensez-vous ?

Viatcheslav Avioutskii: Les attentats du 11 septembre sont généralement vus comme un changement de paradigme de la géopolitique des Etats-Unis qui se focalise tout à coup sur Al-Qaïda. Bien que depuis les attentats simultanés contre les ambassades américaines de 1998 au Kenya et en Tanzanie, l’Amérique a déjà frappé très rapidement les bases d’Al-Qaïda, depuis le 11 septembre, elle se décide à une intervention militaire d'ampleur sur le terrain en Afghanistan, une première après l’échec de la Somalie en 1993.

Cette intervention change aussi ses priorités car il ne s’agit plus d’aller chercher à intervenir contre un "régime voyou" ("rogue State"), comme c’était le cas en Irak en 1991 pour libérer le Koweït, un producteur de pétrole, mais de frapper un territoire devenu une base d’une organisation terroriste internationale.

On commence alors une guerre contre la terreur (selon l’expression de George W. Bush), contre une menace diffuse, qui signifie un changement qualitatif pour l’US Army car on passe d’une intervention contre un Etat (Irak, en 1991) à une intervention contre un réseau transnational qui réunissait à l’époque une dizaine d’organisations autour de la franchise ‘Al-Qaïda’ qui, depuis l’Afghanistan, mobilisait une mouvance multiforme et multinationale contre la domination mondiale des Etats-Unis. La lutte contre la terreur recentre définitivement la géopolitique américaine sur l’Afghanistan vu comme une menace périphérique mais vitale à la stabilité du Golfe riche en pétrole.

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ADV: Après 20 ans de guerre contre la Terreur, quel est le bilan des interventions occidentales et surtout américaines, et partagez-vous l’avis de ceux qui parlent de déconfiture américaine en Afghanistan, d’où sont partis les attentats du 11 septembre?

VA : Pour aller au-delà des images cinématographiques, certes, importantes dans la manipulation de la perception de la réalité, il faut parler d’un bilan plutôt positif de l’intervention américaine. Ce bilan bien entendu est plutôt positif pour les intérêts nationaux américains car Washington a réussi à sécuriser le Golfe et empêcher la propagation de la mouvance ‘révolutionnaire’ de Ben Laden qui, de par son élan idéologique né après la fin de l’URSS, représentait une menace sérieuse et crédible tout d’abord pour l’Arabie saoudite.

Il ne faut pas oublier que Ben Laden avait la nationalité saoudienne avant d’en être déchu par Riyadh et que l’Arabie saoudite figurait dans la stratégie d’Al-Qaïda comme la première cible. Il faut rappeler ici que l’objectif d’Al-Qaïda n’était pas la prise du pouvoir dans un Etat (c’est-à-dire la territorialisation de son influence), mais la destruction de plusieurs régimes dont ceux des monarchies du Golfe et de l’Occident.

Certes, cet objectif se basait surtout sur un effort de propagande et sur la conquête des esprits des masses. Son échec s’explique par une démesure propre à toute mouvance qui adhère à la stratégie de « révolution permanente » jusqu’au-boutiste selon le modèle trotskiste.

Les Etats-Unis ont donc réussi à contenir cette menace sur le sol afghan, à préserver les monarchies du Golfe qui sont restées stables et qui ont poursuivi leurs livraisons d’hydrocarbures et à sécuriser leur sol national où des attentats aussi massifs que ceux de 2001 n’ont jamais pu se reproduire. En revanche, il faut inscrire dans le passif de ce bilan de nombreuses victimes civiles collatérales et l’émergence de certains conflits qui n’étaient pas directement liés aux objectifs annoncés (notamment la guerre en Irak de 2003).

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Il faut toutefois relativiser l’importance dans la géopolitique américaine de l’Afghanistan qui n’a pas eu beaucoup de valeur stratégique de par son enclavement et qui représentait une « valeur passive » stratégique pour Washington dont la présence militaire dans ce pays était préventive, par exemple, contre la réémergence d’Al-Qaïda et de l’Etat Islamique pour toujours éviter la déstabilisation du Golfe, ou pour contenir l’expansion de l’influence chinoise vers l’Ouest. Le recentrage de la géopolitique américaine autour de la Chine est un vrai tournant dans la stratégie américaine, pas le retrait de l’Afghanistan qui était par ailleurs programmé depuis longtemps.

ADV : Concernant la question sécuritaire, comment les sociétés occidentales se sont-elles adaptées à ce nouveau contexte de menaces terroristes diffuses et régulières ?

VA : Il suffit de jeter un coup d’œil pour voir que la question sécuritaire figure parmi les priorités stratégies des Etats-Unis mais aussi des tous les pays occidentaux pour lesquels le maintien de la stabilité est devenu crucial. On constate que malgré la multiplication des attentats sur le sol européen et aux Etats-Unis, leur intensité n’était pas comparable à ceux du 11 septembre.

Cette intensité a également considérablement décru ces dernières années lorsque les attentats ont été le résultat de loups solitaires. Globalement, en dépit des menaces qui pèsent toujours sur nos sociétés, les efforts des services secrets ont été exemplaires. Ceci s’explique surtout par la « révolution digitale » qui a permis de combiner les techniques innovantes de l’intelligence artificielle et de la collection du big data (et surtout son analyse) dans une société de plus en plus numérique. Ce grand défi a été relevé par nos sociétés, ce qui a permis de créer un environnement plus ou moins sûr.

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ADV : Y a-t-il eu selon vous une recomposition géopolitique et stratégique mondiale à la suite du 11 septembre et quels sont les nouveaux acteurs ?

VA : Parmi les nouveaux acteurs, il faut bien entendu noter la montée en puissance de la Chine qui se focalise de plus en plus sur l’Eurasie avec son projet d’infrastructure multinationale de la Nouvelle Route de la Soie (BRI). La Chine, qui cherche à pénétrer les marchés internationaux de l’Eurasie mais aussi de l’Afrique pour assurer la croissance exponentielle de son économie, a un intérêt vital dans le maintien d’une stabilité dans cette région, y compris de l’Afghanistan.

Je vois donc après le retrait des Etats-Unis l’émergence d’un effort commun de la Chine avec la Russie (qui aussi après le 11 septembre a récupéré son statut de puissance internationale) pour contenir les menaces potentielles qui peuvent provenir des Talibans. Les Etats-Unis et l’Europe ne doivent pas être absents de cette nouvelle configuration géopolitique. Sans le dialogue avec la Chine et la Russie, les Européens et les Américains ne peuvent pas stabiliser cette zone. Seul le multilatéralisme intelligent et flexible permettra de recréer un rapport de forces à l’international stabilisateur pour cette région stratégique.

Parmi d’autres acteurs, il faut noter les puissances du Golfe – l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis – mais aussi la Turquie qui définissent désormais la géopolitique du Moyen-Orient, alors qu’ils étaient beaucoup moins autonomes avant 2001, agissant quasi exclusivement comme des partenaires des Etats-Unis. Dopé par la manne gazière, le Qatar est devenu une puissance diplomatique incontournable.

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ADV : Quel a été l’impact du 11 septembre sur la politique étrangère de la France?

VA : L’impact direct de ces attentats fut le fait que la France a décidé d’intervenir au-delà de sa zone d’intérêts stratégiques habituels en Afghanistan, en Syrie et en ouvrant une nouvelle base militaire dans le Golfe (Emirats Arabes.Unis, ndlr). Il faut également souligner que la politique étrangère de Paris est restée orientée sur nos intérêts nationaux dans une tradition diplomatique gaulliste lorsque la France a décidé de ne pas suivre ses alliés américains et britanniques comme ce fut le cas en 2003 (guerre du Golfe, ndlr).

Je trouve également que la France était très active dans la zone de ses intérêts, notamment en essayant de poursuivre la réconciliation avec l’Algérie, en coopérant économiquement avec le Maroc, en accompagnant la transition politique en Tunisie et en apportant son aide au Liban l’année dernière. L’attitude du Président Macron qui se déplace en personne et très rapidement à Beyrouth après l’explosion dans le port est tout à fait louable, de même qu'une aide directe de la France à la Tunisie lors de la dernière vague du covid. Je trouve que ce type de réaction permet de dépasser les différends remontant à l’époque coloniale en créant des coopérations équilibrées.

L’intervention de la France au Mali a également permis de sécuriser (au moins provisoirement) cette région, mais une intervention militaire ne permet pas d’apporter une solution durable. Il faudrait donc apporter un soutien à l’Afrique francophone pour accompagner le développement politique et économique de cette zone dotée d'un fort potentiel de croissance et avec des richesses naturelles considérables.

Le 11 septembre et l’évolution suivante des relations internationales ont démontré surtout les limites de la puissance américaine (militaires, économiques, financières et idéologiques), ce qui a ouvert la voie à une participation plus active de la France dans les affaires du monde, une participation qui a été plutôt constructive et apaisante (à l’exception de l’intervention en Lybie). Il semblerait que dans certaines régions, notamment en Amérique latine, cette intervention est de plus en plus demandée pour équilibrer par exemple la domination quasi absolue de nos partenaires américains.

ADV : Quel est l’état des relations transatlantiques du point de vue français et européen? 

VA : La relation transatlantique est fondamentale pour la stabilité des relations internationales non seulement dans la zone Atlantique Nord mais aussi au niveau planétaire. La France et ses partenaires européens ont été aux côtés des nos amis américains le 11 septembre et pendant l’intervention en Afghanistan. Toutefois, il faut avoir le courage de défendre les intérêts nationaux et européens. Et surtout pouvoir critiquer (l'Alliance ndlr) lorsque certaines interventions ne correspondent pas à nos intérêts, comme c’était en Irak en 2003.

Pourtant nécessaire et longtemps attendu, le retrait des troupes américaines de Kaboul s’est passé d’une manière plutôt chaotique. Cette précipitation marquée par la chute du régime pro-américain en Afghanistan laisse un vide, ce qui signifie que les Européens doivent pouvoir formuler le plus rapidement possible une politique commune élaborée avec notre partenaire américain à l’égard de l’Afghanistan. La définition d’un nouveau rapport de forces avec la participation de tous les acteurs légitimes (US, UE, Russie, Chine et Inde) est indispensable pour une stabilité durable dans cette région.

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