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"Brexit" Britannia dixit ou le naufrage rhétorique du camp du "Maintien" dans l’Europe
©Reuters

Rhétorico-laser

Depuis le 23 juin, les commentaires sur le Brexit inondent le monde entier, à la recherche d’un « explication ». Cet événement historique a aussi une cause rhétorique : le discours désastreux des partisans du Remain.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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On ne sait pas toujours en France que les Britanniques sont des champions d’éloquence. Leurs élites, éduquées à Oxbridge mais aussi dans bien d’autres universités, ont droit, à la différence des nôtres, à des enseignements poussés en la matière, sans compter les innombrables clubs et concours que les meilleurs élèves fréquentent là-bas dès le secondaire. Il suffit de comparer un débat aux Communes et à l’Assemblée nationale pour mesurer la différence de qualité oratoire entre les deux rives du Channel. Chez nous, les grands tribuns se comptent sur les doigts d’une main (ce ne fut pas toujours le cas). On sera charitable en n’établissant pas de liste comparative, mais l’on se contentera de renvoyer le lecteur aux deux discours post-Brexit de nos responsables suprêmes : celui de David Cameron et celui de François Hollande. 

Mais voilà : pourquoi justement un aussi bon orateur que David Cameron a-t-il été si mauvais durant la campagne du référendum ? Un référendum qu’il a lui-même décidé dans le timing qu’il a lui-même déterminé ? Et pourquoi, plus généralement, le camp du Remain a-t-il été aussi inefficace ? Certes, le défi n’avait rien de facile, compte-tenu de l’euroscepticisme congénital du Royaume Uni (ou du moins de l’Angleterre) et de la véritable europhobie qui s’est emparée d’une partie du pays depuis quelques années. Mais il y avait en face de non moins solides partisans du maintien dans l’Europe, depuis les classes aisées londoniennes jusqu'à l’Ecosse europhile, en passant par une jeunesse acquise en grande majorité à la cause européenne (ce qui n’est pas le cas partout). Or, c’est justement quand les deux camps s’équilibrent que les maîtres de la parole l’emportent. 

De fait, la campagne du référendum a été une superbe démonstration de la validité des lois de la rhétorique, établies par Aristote il y a un peu plus de 2300 ans. Avis aux gourous de la « communication politique » !

Tout d’abord la « probité » de l’orateur est décisive. Il faut être convaincu pour convaincre. En l’occurrence le passé eurosceptique et le double langage de David Cameron sur l’Europe en faisaient un très mauvais chef de son camp, comme Jacques Chirac le fut du sien en 2005. Bien sûr, la probité n’est pas ce qui caractérise les leaders de l’autre camp et l’on commence à en mesurer les colossaux mensonges : mais leur conviction nationaliste, elle, ne fait aucun doute. Inversement, le référendum français de 1992 a dû le succès (ric-rac) du « oui » au talent oratoire de François Mitterrand, décuplé par une vraie foi européenne. Il faut rappeler ici, fait peu connu, qu’à la veille de son débat historique avec Philippe Seguin, des sondages confidentiels annonçaient le « non » victorieux.

Deuxièmement, les partisans du Remain ont oublié la leçon d‘Aristote sur les registres du discours : le caractère et les valeurs de l’orateur (ethos) ; la raison (logos) et les émotions du public (pathos). Tout bon discours doit mêler les trois. Or deux erreurs ont été commises par le camp du Remain : l’insistance sur la rationalité (voir tous ces « argumentaires » économiques fournis en masse par le FMI, la Banque d’Angleterre ou la Commission européenne), rationalité qui pèse toujours peu face à la puissance des émotions collectives. 

Mais il faut aller plus loin : le camp du Remain (comme le camp du « Oui » français en 2005) a bel et bien, quoiqu'on en dise, joué sur les émotions : en l’occurrence, la peur. Peur de la fuite des cerveaux, de la perte de pouvoir d’achat, de la fin de la City et des voyages en douce France et au soleil d’Espagne ! Mais voilà : cette peur ne pesait guère face à une peur bien plus grande, agitée sans réserve et sans scrupule par le camp du Brexit : celle de perdre sa souveraineté et son identité. Surtout chez un peuple aussi fier et insulaire que les Anglais. 

Face à cela, comme dans la France de 2005, le camp du Remain n’a pas su opposer le seul remède efficace contre la peur : ouvrir une perspective et susciter un espoir. F. Mitterrand avait ainsi « mis le paquet » en 1992 sur les chances que donnait l’Europe à la jeunesse, d'Erasmus aux voyages bon marché. Car l’homme - et c’est tant mieux- préfère toujours désirer que craindre.

Leçon à méditer par nos propres candidats, aux primaires comme à la présidentielle.

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