Zone grise des Carpates, stupéfiants inondant l'Europe : nous y voilà (comme prévu)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Carpates, bien plus et bien pire qu'une chaîne de montagnes
Les Carpates, bien plus et bien pire qu'une chaîne de montagnes
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Zone de tous les trafics

Fin septembre 2022 dans Atlantico - comme souvent, plutôt seul à le faire tôt - l'auteur alertait : barrant toute l'Europe de l'Est, de la Pologne à la Roumanie, l'immense cordillère des Carpates, plus vaste que les Alpes (environ 200 000 km carrés), se criminalisait à toute allure, du fait de la guerre Russie-Ukraine. "Aux confins de l'Europe, une immense zone grise", titrions-nous, lieu de massifs trafic d'êtres humains, d'armes illicites et de stupéfiants.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Sept mois plus tard, nous y voici. Et comme là-aussi prédit, l'Europe occidentale est la quasi-unique destinataire des trafics précités.

Rappel : séculairement, le trafic des Carpates débouchait sur Odessa, port où l'argent était blanchi et où les multiples flux - prostituées, drogues, contrebande multiforme - partaient au Moyen-Orient, par la Mer Noire vers l'empire Ottoman puis la Turquie. De cela, la littérature Yiddish regorge - à commencer par les "Contes d'Odessa" d'Isaac Babel. 

Encerclée côté mer par la flotte russe, sous contrôle ukrainien à terre, la filière criminelle d'Odessa est bloquée. D'où, déport des trafics par les Carpates, comme le prouve un récent et industriel cas de production-vente de stupéfiants de synthèse, juste dans la région. Des avis officiels citent vaguement une action des "autorités polonaises, tchèques, roumaines et slovaques" - versant sud de l'arc carpatique - "oubliant" le versant nord, ukrainien. Avec des saisies effarantes : 7 tonnes de chlorhydrate d'éphédrine (produit précurseur) ayant produit 5 tonnes de métamphétamine. En 2021-2022, les Narcos ont fabriqué 170 millions de pilules de MDMA-Ecstasy, drogue stimulante et fort addictive, aisément infiltrée en Roumanie par une frontière sauvage de 650 km. 

Sauvage ? Lisons un manuel de géographie : "Aux Carpates, des paysages n’ayant presque jamais connu la main humaine. Des forêts primaires de dix mille ans ; un espace d’un autre temps abritant maintes espèces menacées (ours, lynx, loups)".

Là-dedans passe une filière criminelle, bien sûr à double-sens : au premier trimestre 2023, la justice ukrainienne signale d'importantes saisies de stéroïdes illicites (Kiev) et d'amphétamines (Lviv), venus de cette zone (Pour elle, "Ukraine subcarpathique").

Ce n'est pas tout. 

Pendant que l'OTAN et de serviables médias d'information d'Europe démentent tout détournement sérieux des armes livrées par l'OTAN à l'Ukraine, un autre trafic sévit en silence. Des zones de combat à l'est de l'Ukraine, vers l'ouest du pays et les Carpates, ce trafic est celui des armes légères prises à l'ennemi lors des offensives du 2e semestre 2022 : grenades, fusils d'assaut et munitions, mitrailleuses, explosifs, lance-roquettes, etc.

Aussi, à mesure que l'Ukraine reçoit l'armement occidental performant ; l'ancien, lourd et démodé, type kalachnikov AK47, est caché pour revente ultérieure. Des armes légères anciennes mais quasi-increvables qui, vite nettoyées-graissées, servent des décennies après leur sortie d'usine. Coïncidence ? À Marseille en même temps, le prix des kalach' s'effondre en quelques mois de 2 500€ à 300€ - probable effet d'une offre en excès - venue d'où ?

Des militaires ou officiels corrompus des deux camps, des milices ou sociétés militaires privées participent-ils à ces trafics ? Pas sûr car, selon nos sources de terrain, des méga-gangs implantés en Russie et en Ukraine y opèrent toujours sous la direction de bandits des deux pays. Gros "cartel" trafiquant de stupéfiants de synthèse de la Moldavie à Moscou, "Khimprom" s'intéresse ainsi à ces trafics d'armes récupérées. Côté collecte, la région grouille de groupes de bandits-parasites-patriotes pour collecter ces armes contre subsides. Pour le transport et trafic vers l'ouest, des millions de réfugiés - pas tous d'innocentes victimes - sillonnent l'Europe et au-delà, depuis les zones de combat jusque désormais... au Maroc.

Restent les Balkans, passée la Roumanie. Après un désordre de début de guerre, les filières de trafic s'agitent à nouveau : véhicules volés, contrebande/contrefaçon de cigarettes/tabac, etc. Des filles chassées des zones de guerre y passent, pour aller se prostituer dans les bordels légaux espagnols - délicatement nommées "puticlubs" - où elles rapportent d'autant plus qu'elles vendent aussi à leurs clients drogue et cigarettes de contrebande.

La France se souvient du marché noir de l'occupation : économie noire et économie de guerre cohabitent aisément. Ainsi, à l'Est-sud-est de l'Europe, galope une criminalisation à ce jour hors-contrôle. Dédaignée par les militaires car hors du monde kaki, ignorée par des médias en mode correspondant-de-guerre, cette criminalisation devrait être durable - et grave. Cela soucie peu les stratèges de Washington qui un jour, rentreront chez eux. Cela devrait inquiéter plus les dirigeants européens, car tout ce chaos criminel leur restera sur les bras.

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