Zahia contre les ayatollahs du féminisme : avons-nous bridé les femmes à trop vouloir les libérer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le clip de Robin Thicke, numéro un des ventes aux Etats-Unis, est accusé de nuire à l'image de la femme en la montrant dénudée.
Le clip de Robin Thicke, numéro un des ventes aux Etats-Unis, est accusé de nuire à l'image de la femme en la montrant dénudée.
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Zahiatollesque

Dans une interview à Sept à Huit, Zahia regrette que la "femme-poupée" soit devenue une insulte : "ce n'est pas parce que nous sommes désirées que nous sommes des femmes-objets". Le clip de Robin Thicke, numéro un des ventes aux Etats-Unis, est accusé de nuire à l'image de la femme en la montrant dénudée. L'émancipation est-elle allée trop loin, au point de produire des effets pervers ?

Christophe  Colera,Lydia Guirous et Elodie Mielczareck

Christophe Colera,Lydia Guirous et Elodie Mielczareck

Christophe Colera est docteur en sociologie, chercheur associé au laboratoire Culture et Sociétés en Europe à l'Université de Strasbourg (CNRS). Il a écrit La nudité pratiques et significations, éditions du Cygnes 2008.

Lydia Guirous est fondatrice et présidente de l'association féministe Future, au Féminin et membre de l'UDI.

Elodie Mielczareck est spécialiste de l'analyse des signes et codes de la communication publicitaire et politique. Elle travaille au sein d'agences d'identité visuelle et d'instituts qualitatifs. Elle enseigne en BTS Communication Visuelle et anime un blog spécialisé en sémiologie : www.sciigno.net

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Atlantico : Récemment interviewée par Thierry Demaizière dans Sept à Huit, la célèbre "courtisane" Zahia a déclaré "Si dans les années 50 on comparait une femme à une poupée, ça aurait été un compliment. Je ne comprends pas pourquoi aujourd'hui, c'est quelque chose de négatif. J'ai l'impression qu'on emprisonne de plus en plus la femme. (...) Ce n'est pas parce que nous sommes désirées que nous sommes des femmes-objets". Dans le même temps, une polémique enfle autour du clip de Robin Thicke, numéro un des ventes aux Etats-Unis, accusé de nuire à l'image de la femme en la montrant dénudée. Peut-on dire que la dépréciation des "femmes-poupées" ou femmes objets soit une conséquence de l'émancipation des femmes voulue par les mouvements féministes ? Dans quelle mesure ?


Christophe Colera : Il y a eu une stigmatisation par le féminisme des années 1970-1980 d’une certaine passivité molle de la femme, mise en scène par exemple par la publicité (par exemple la fille qui se prélasse dans son bain moussant, la potiche qui est belle et qui se tait) auxquelles on a voulu opposer la « Working girl », femme active, volontaire, comme les Walkyries et les déesses guerrières d’autrefois (à ceci près que cette image de la guerrière n’était plus produite par un patriarcat effrayé par la perversion des stéréotypes, mais émanait des femmes elles-mêmes).

A cela s’ajoutait une fiction idéologique selon laquelle les caractéristiques de chaque sexe seraient de pures constructions culturelles (en réalité, il y a bien des déterminations naturelles, le problème étant de savoir exactement sur quels points de fixation et selon quels modes), la fameuse théorie des genres.

Elodie Mielczareck : Etudions la déclaration de Zahia d’un point de vue linguistique :


  • « Si dans les années 50 on comparait une femme à une poupée, ça aurait été un compliment. » Zahia utilise un conditionnel, elle aurait très bien pu commencer sa phrase par « quand dans les années 50… ». En utilisant le conditionnel, elle se trahit elle-même puisqu’elle déroule son argumentation à partir d’une virtualité, d’un possible dont on n’est pas sûr qu’il ait réellement existé (si, et si, si seulement, avec des si…).


  • « (…) aujourd'hui, c'est quelque chose de négatif. J'ai l'impression qu'en emprisonne de plus en plus la femme. » Si Zahia a eu autant de succès médiatique c’est justement parce que c’est une femme-poupée ! Nul doute qu’elle restera cataloguée à vie. Mais la représentation des femmes dans l’espace public passe surtout, aujourd’hui plus que jamais, par la mise en scène de leur corps : corps-coupé pour des pubs de savon ou de lingerie dans les abris-bus, corps-consommable dans les magazines, corps-attractif à la tv , etc. Ce qui enferme de plus en plus la femme c’est justement de ne la considérer que de ce point de vue. Le raisonnement de Zahia est donc un contre-sens.


  • « (...) Ce n'est pas parce que nous sommes désirées que nous sommes des femmes-objets » Bien sûr ! Et heureusement ! Mais là nous parlons de deux choses différentes : le désir appartient à la sphère intime et privée de chacun alors que la femme-objet, c’est le corps mis en scène dans la sphère publique et aux yeux de tous. On ne parle donc pas de la même chose. Zahia réduit la complexité de cette problématique, en mettant sur le même niveau deux éléments qui n’ont rien à voir : la femme est libre d’être un objet de désir dans sa vie intime personnelle, mais on n’a pas à lui imposer d’être un corps consommable dans la sphère publique.


Lydia Guirous : Premièrement, il faut arrêter avec ce langage politiquement correct : Zahia n'est pas une "courtisane", mais une ancienne prostituée de "luxe" reconvertie dans la mode et le mannequinnat. Je crois que cela a son importance au regard de votre question. En effet, c'est en érigeant des tabous dans les mentalités via le langage, qu'on les crée ou qu'on les renforce. Les médias et certaines associations portent en cela une part de responsabilité. A trop vouloir présenter les femmes comme des éternelles victimes de la domination masculine et de la marchandisation du corps et de la nudité, il s'est produit deux phénomènes :

  • - Tout d'abord un rejet des thèses féministes dans l'ensemble de la population française, excepté dans quelques milieux bobos parisiens
  • - Une réaction de rébellion de certaines femmes contre les féministes. En effet, certaines d'entre elles, paradoxalement, ont joué volontairement de leurs attributs pour s'imposer dans la société. On peut parler alors de contre-réaction.


Je ne partage donc pas l'analyse de la dépréciation des femmes poupées. Bien au contraire, l'image des femmes poupées n'a cessé de progresser dans l'imaginaire collectif, des premières playmates d'avant-guerre jusqu'aux Femen ou aux actrices de télé-réalité. Zahia profite d'ailleurs de ce phénomène qui n'est rien d'autre qu'un phénomène plus global de sexualisation de la société et de nos représentations mentales, des hommes comme des femmes.

Il ne reste que quelques militantes féministes de gauche pour s'offusquer de cette évolution de la société...car dans leur logique totalitaire toutes les femmes sont victimes et ne peuvent décider par elles-mêmes de leur vie sexuelle et affective, de leurs comportements sociaux et de leurs tenues vestimentaires. C'est d'ailleurs assez amusant de voir ces gauchistes échappées de mai 68 aussi prudes et conservatrices. Finalement même à gauche le socle judéo-chrétien est bien ancré !


Parce qu'elles n'entrent dans aucun schéma de la pensée totalitaire des féministes de gauche, Zahia, tout comme Nabilla, dérangent. Pourtant ce sont des femmes libres, qui ont fait de leur beauté une arme stratégique... Ce qui n'est pas donné à tout le monde, c'est vrai !


Doit-on en déduire que c'est l'image même de la séductrice qui est remise en cause au détriment de la "working girl" ?

Christophe Colera : Il existe aujourd'hui un risque que la remise en cause du pole passif-actif qui a traditionnellement structuré le partage sexuel des tâches dans toutes les sociétés crée une sorte d’indifférenciation qui tue l’effet de séduction (lequel naît de l’activation des oppositions entre hommes et femmes).

Mais dans la pratique quotidienne, hommes et femmes savent moduler leur côté actif et leur côté passif, au service de stratégies de séduction qui continuent de mobiliser les grands archétypes du passé, et jouer alternativement du passif et de l’actif : pas seulement Zahia - voyez par exemple l’ex-ministre Christine Lagarde, dans une lettre qui a été révélée cet après midi, cherchant à plaire à M. Sarkozy en mettant en valeur sa vocation d’ « instrument » passif alors qu’elle a par ailleurs l’image d’une femme battante hyperactive (ce qu’elle est sans aucun doute par ailleurs).

Tout comme la femme qui se dénude en public saura compenser son image de « femme légère » en valorisant par ailleurs de temps à autre une intimité des pensées cachées, une pudeur des sentiments etc.

Lydia Guirous : Encore une fois, il faut éviter les clichés et les dichotomies abstraites. Rien n'oppose la working girl à la séductrice. C'est parfois la même personne. Tout le monde, homme comme femme joue plus ou moins de la séduction ou de son capital image dans le monde du travail. Le problème, c'est que cela se voit plus rapidement que les performances techniques pures...ce qui naturellement suscite des réactions de jalousie plus rapides et plus vives. Encore une fois, il faut arrêter avec ce mythe de l'égalité. Nous ne sommes pas tous beaux et intelligents mais nous ne sommes pas tous moches et stupides non plus ! Chacun fait ce qu'il veut avec ses atouts et en fonction des buts qu'il s'est fixé.

Cette conquête pour la liberté n'a-t-elle pas perturbé, par effet pervers, la conception qu'ont les femmes et les hommes de la féminité ?

Christophe Colera : A partir des années 60 (à travers par exemple l’icône Brigitte Bardot) la nudité a pu apparaître au grand public comme un instrument de libération de la femme à travers une icône comme Brigitte Bardot. En réalité dans les avant-gardes le mouvement est même plus anciens, songeons à la danseuse Isadora Duncan ou à l’écrivain Colette. La monstration du corps de la femme pouvait signifier qu’elle s’approprie son image et assume la liberté de ses désirs, avec une sorte de revanche d’Eve.

Mais l’ambiguïté de cette monstration sous le regard désirant des hommes, n’a échappé à personne dès les années 70. Il y a une très grande proximité entre la « nudité-affirmation » (pour user d’une notion qui m’est chère) et la dimension humiliante de la femme-objet (qui rappelle la nudité du marché des esclaves et de la prostitution la plus aliénante) qui fait de la nudité un moyen d’expression assez délicat à manier par les féministes.

Aujourd’hui on peut dire qu’il existe deux sensibilités au sein du féminisme. L’une qui est très à cheval sur l’intégrité du corps de la femme, perçoit volontiers le désir masculin comme une menace à cette intégrité, et mène divers combats ponctuels contre l’instrumentalisation de la femme par la nudité. Au cours des vingt dernières années on peut citer dans cette mouvance, La meute, les Chiennes de Garde ou « Osez le ». A côté de cela les féministes « pro-sexe » (certaines comme Ovidie ou Morgane Merteuil se sont fait une petite renommée médiatique), plus « confiantes » dans le potentiel de libération des désirs masculins et féminins et dans leur complémentarité sont restées plus ouvertes à la monstration des corps (y compris dans l’espace de la pornographie et de la prostitution), en faisant le pari que plus tous les désirs se libèreraient (ceux des hommes comme ceux des femmes), plus les effets de domination tendraient à s’atténuer.

Au milieu de tout ça se glisse chez certaines militantes une volonté de valoriser une nudité coupée du désir sexuel comme une nudité agressive chez les FEMEN ou une nudité censée être neutre – chez les naturistes, ou chez les militantes pour la liberté de se promener seins nus. Mais ces expériences sont très problématiques.

Elodie Mielczareck : Il est sûr que le repositionnement de la femme au sein de la société et sa quête d’indépendance ont totalement changé les rapports entre les sexes et les relations entre les deux genres. D’ailleurs, qui peut réellement répondre à cette question : « aujourd’hui, en France, c’est quoi la féminité ? » Alors bien sûr les genres sont « codifiés », la douceur et le corps charnel pour l’un, la force et le corps puissance pour l’autre. Mais la féminité ne saurait se résoudre à la mise en scène du corps… Pourtant c’est ce qui est suggéré au quotidien par les images qui nous entourent.

Lydia Guirous : Je crois que vous mélangez deux phases du féminisme en France. Il a eu le féminisme de conquête des libertés dans les années 1960 et 1970, avec notamment Simone Veil. Puis,dans les années 1980, il y a eu le féminisme égalitariste de gauche qui n'a eu de cesse de prouver que les femmes étaient victimes de la domination masculine et qu'elles étaient les victimes de la société machiste (les Femen en sont le dernier avatar).
C'est la confrontation de ces deux mouvements qui dans certains esprits, a pu brouiller les cartes sur ce qu'est la féminité. En effet deux féminismes s'affrontent, l'un progressiste, l'autre conservateur et puritain (de gauche). Il en résulte deux visions de ce que peut être la féminité. Je précise "peut être" la féminité, car pour l'association Future au féminin que j'ai fondée, la féminité n'est pas un diktat imposé par les associations de femmes et les médias, mais un chemin personnel qui se construit dès l'école primaire, dans un choix libre et éclairé. La féminité n'est pas un monolithe mais plutôt un tableau impressioniste où chaque femme met ce qu'elle veut. C'est ça la liberté.

Peut-on parler d'un paradoxe moderne, dans le sens ou la volonté de se libérer sexuellement dévie finalement vers une marchandisation assumée du corps féminin ?

Elodie Mielczareck : Effectivement, et c’est très intéressant. C’est notamment ce qui pose problème concernant les Femen. Pour de nombreuses féministes, leurs actions dénudées dans la rue sont intolérables. Quelque part, en se dénudant ainsi dans l’espace public, elles réalisent ce qu’elles dénoncent : l’exploitation des corps que l’on retrouve ensuite dans les médias. Notons tout de même que la grosse différence tient du fait que le corps des Femen est un corps-libre et non « gérable », alors que le corps des mannequins-produits est un corps calibré et aliéné. Par ailleurs, beaucoup de stars se revendiquent du féminisme alors qu’elles n’existent qu’à travers un corps-performance calibré et aliéné. Les mots ont une valeur et le mot « féminisme » est en train d ‘évoluer. Bientôt il ne se réduira plus à la seule définition proposée par Simone de Beauvoir. Et on ne peut pas encore dire si cette évolution est positive ou négative. Elle change, c’est tout.


Lydia Guirous : C'est encore une vision stéréotypée ou une question fermée que vous posez là. Je suis donc obligée de vous répondre par une autre question : Que proposez-vous ? Pour éviter la "marchandisation assumée du corps féminin", selon vos termes, il faudrait ne pas se libérer sexuellement ? Est-cela ? Naturellement si tel était le cas, je ne partagerais pas cette opinion qui me semble archaïque et régressive. Il ne faut pas avoir peur de la liberté sexuelle mais plutôt travailler sur soi et la confiance que l'on peut avoir envers les autres et surtout en soi...Quant à la marchandisation, si elle est assumée par les femmes, il faut la respecter car il s'agit d'un choix libre et éclairé. Notre société n'a pas besoin de nouveaux censeurs. A l'heure de la mondialisation, il faut faire preuve de plus d'ouverture d'esprit et surtout de plus de tolérance...


Quel impact cette nouvelle donne (la peur d'être cataloguée comme "femme légère") peut avoir sur les rapports homme/femme ?

Elodie Mielczareck : Le principe de base de la communication : un émetteur A envoie un message à un récepteur B. Mais il existe des phénomènes de brouillage entre les deux, avec des problèmes qui peuvent intervenir soit au niveau de l’encodage, soit au niveau du décodage.

Concernant les attitudes homme/femme, il semble que souvent, il y ait un problème aux deux niveaux :

  • la femme n’envoie pas forcément les bons signaux de part les codes vestimentaires utilisés ou ses attitudes gestuelles
  • l’homme n’interprète pas forcément avec justesse les signes qui lui sont envoyés



Lydia Guirous : Aucun, car il n'y a pas de nouvelle donne, cela a toujours existé et existera toujours. Par ailleurs pourquoi y aurait-il plus d'impact sur les rapports homme-femme à être catalogué comme "femme légère" que comme "coureur de jupons"? Encore une fois, vous êtes dans un stéréotype. Pourquoi les rapports homme-femme changeraient-ils? L'affaire DSK, où un futur Président de la République est apparu aux yeux du monde entier comme un coureur de jupons pathologique (libertin pour de nombreux médias, car c'est moins cruel), a-t-elle changé quelque chose?
Alors permettez moi de vous dire que ce n'est pas cette pauvre Zahia ou bien encore Nabilla, qui finalement sont bien moins détraquées, qui vont changer les rapports homme-femme... Je pense en revanche qu'il serait intéressant de recueillir l'avis de Franck Ribéry sur le sujet, qui j'en suis sûr à une idée bien à lui de la place de la femme dans la société, plutôt que de s'acharner sur Zahia et  son influence probable sur la marchandisation des corps dans la société française.

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