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YouTube, 1 milliard d’utilisateurs mais pas de profits : ce que ça nous apprend sur l’économie numérique
©DR

Infructueux succès

Pourtant présent dans le top 3 des sites les plus visités au monde, YouTube ne rapporterait pas grand chose à Google, son propriétaire. En réalité, mieux que de l'argent, la plateforme de vidéo lui permet surtout d'affiner considérablement sa connaissance des internautes, et de mieux vendre ses produits publicitaires.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : La plateforme de vidéos en ligne YouTube attire plus de 1 milliard d'internautes et n'en tire aucun profit, malgré un chiffre d'affaires évalué à 4 milliards de dollars. Comment est-ce possible ?

Frédéric FréryIl n'y a pas de secret : pour faire du profit, il faut vendre une offre plus cher qu'elle ne coûte. Si YouTube ne dégage aucun profit, cela veut tout simplement dire que son coût de fonctionnement est aussi élevé que son chiffre d'affaires. Le chiffre d'affaires de YouTube provient de ce que lui versent les annonceurs à chaque fois qu'un internaute visionne une publicité. En face, les coûts de YouTube sont essentiellement de deux ordres : son infrastructure technique et les droits versés aux créateurs de contenus. Pour diffuser des vidéos à un milliard d'internautes par mois, il faut des moyens considérables, notamment des centaines de milliers de serveurs. Par ailleurs, étant donné que la grosse majorité des vidéos visionnées sont des clips musicaux, il faut aussi payer les artistes et leurs ayants droits. Au total, on a donc, pour l'année dernière, d'un côté 4 milliards de revenus publicitaires et de l'autre 4 milliards de coûts techniques et de droits de diffusion. Présenté comme cela, ce n'est pas très différent du modèle économique des chaînes de télévision classiques, et c'est en tous cas très éloigné des taux de rentabilité habituels des géants du Net. Rappelons qu'en 2014, Facebook a réalisé un profit de 3 milliards pour un chiffre d'affaires de 12 milliards.

Il y a pourtant beaucoup de publicités sur la plateforme. Pourquoi cela ne rapporte-t-il pas plus ?

L'insuffisance des revenus publicitaires de YouTube s'explique essentiellement par deux causes. La première est que la plateforme est surtout utilisée par des adolescents, qui ne constituent pas une cible privilégiée pour la plupart des grands annonceurs, plus attirés par la ménagère de moins de cinquante ans. D'après un analyste de Pivotal Research, 9% des visiteurs sur YouTube totaliseraient 85% des visionnages. Pour pouvoir augmenter ses tarifs publicitaires et attirer plus d'annonceurs, YouTube doit donc impérativement élargir son audience vers d'autres populations. La deuxième raison est qu'on accède le plus souvent aux vidéos de YouTube par l'intermédiaire d'autres sites, notamment les réseaux sociaux, ce qui limite la possibilité de multiplier les encarts publicitaires. Pour remédier à cela, YouTube cherche, pour l'instant sans succès, à augmenter l'audience de sa propre page d'accueil. Une autre solution, à l'image de ce que font Netflix ou Amazon, consisterait à produire des contenus spécifiques à YouTube.

Quelle est donc l'utilité de YouTube pour Google si elle ne lui fait pas gagner d'argent ?

Google a acheté YouTube en 2006, lorsqu'il est devenu clair que la vidéo serait une activité majeure sur le Net. Pour Google, le raisonnement est simple : dès que vous utilisez n'importe lequel de ses services (le moteur de recherche Google, le navigateur Chrome, le système d'exploitation Android, Gmail, Google Earth, Picasa, Waze, ou bien entendu YouTube), cela lui permet de récolter des données sur votre comportement, vos centres d'intérêt, vos déplacements, etc., afin de proposer aux annonceurs un ciblage toujours plus précis de leurs publicités. Il ne faut jamais oublier la règle de base du modèle économique de Google : quand c'est gratuit, c'est vous le produit. Ce que vend Google, pour un chiffre d'affaires de 66 milliards de 2014, ce sont nos faits et gestes sur Internet. C'est ce qui lui a permis de dégager plus de 14 milliards de profits l'année dernière. YouTube est une des briques de ce vaste dispositif de profilage généralisé.

Est-ce que cela ne va pas peser sur le budget de Google et donc sur sa capacité d'investissement ?

Google est une entreprise cotée en Bourse. A ce titre, il lui faut justifier publiquement ses choix d'investissements et tenir ses engagements de croissance et de rentabilité. A l'annonce des résultats 2014, le cours de l'action Google a ainsi baissé, car le bénéfice par action s'est révélé inférieur aux attentes. Les analystes ont notamment souligné l'inflation des coûts de R&D du groupe, qui ont augmenté de 38 % en 2014, soit près de deux fois plus vite que son chiffre d'affaires (19 %). Bien entendu, le fait que YouTube ne dégage aucune rentabilité directe n'est pas une bonne nouvelle, mais ce n'est pas pour autant une source d'inquiétude majeure, tant que cela contribue au trafic d'ensemble, qui lui est toujours largement rentable. Par ailleurs, l'audience de YouTube a encore crû d'un tiers l'année dernière, ce qui montre que son potentiel est loin d'être saturé.

Cela veut-il dire qu'une entreprise du numérique qui ne fait pas partie d'un grand groupe n'a aujourd'hui aucune chance de survie ? Est-ce qu'Internet favorise les monopoles ?

Il est clair qu'un hypothétique concurrent de YouTube qui ne ferait pas partie d'un écosystème comme celui de Google serait dans une fâcheuse posture : il lui faudrait dégager une rentabilité tout en affrontant un concurrent dont ce ne serait pas la préoccupation première. Comment exiger des tarifs publicitaires plus élevés que ceux de YouTube, alors que ceux-ci ne suffisent pas à couvrir ses coûts ? Cela ressemblerait fort à de la concurrence déloyale. La seule solution, a priori, serait de ne pas attaquer frontalement YouTube, mais de cibler des usages spécifiques (comme WAT.tv pour la téléréalité ou Vimeo pour les créatifs), ou de déployer un modèle économique différent (comme l'abonnement et les contenus spécifiques pour Netflix).

Ce qui est certain, c'est que la nature même du Net renforce les positions dominantes et affaiblit les positions marginales. Les acteurs les plus gros ont nature à le devenir encore plus, alors que les plus petits sont soit inféodés, soit exclus. Le Web fonctionne un peu comme un système solaire : quelques planètes autour desquelles gravitent des satellites. Chacune de ces planètes forme un écosystème. Les principaux sont Google, Apple, Facebook et Amazon. D'autres cherchent à le devenir, comme Microsoft ou Yahoo!, mais dans tous les cas, ceux qui ne contrôlent pas un écosystème sont condamnés à être marginalisés.

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