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Y-a-t-il une idée pilote dans l’avion de l’opposition à Emmanuel Macron ?
©Reuters

Au royaume des aveugles...

Malgré sa victoire, Emmanuel Macron semble ne susciter qu’une adhésion limitée sur son nom et son projet. Pour autant, une opposition rassemblée autour d'un projet politique susceptible de convaincre les Français peine à voir le jour.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Dans quelle mesure cette situation pourrait libérer un espace pour opposition structurée ? Pourtant, droite et gauche ne se caractérisent-ils pas, au moins pour le moment et malgré un début de tentative de renouvellement, par un défaut de projet alternatif permettant de convaincre les Français ? 

Sylvain Boulouque La première chose c'est qu'Emmanuel Macron (même si son deuxième tour est tout de même un succès puisqu'il obtient deux tiers des suffrages exprimés) si l'on se réfère au premier tour n'est en réalité  élu qu'avec un peu moins de 25% des suffrages exprimés. Donc un peu moins d'un quart des électeurs, et en termes de voix on obtient moins de 20%. Donc il n'a pas du tout de majorité comme on pourrait le laisser penser. Ce n'est pas un président forcément bien aimé. D'autant que les ralliements qui se sont fait autour de lui sont pour la plupart sur la base d'une forte inquiétude vis-à-vis du Front National et non d'une adhésion à son projet. Les Républicains et Jean-Luc Mélenchon (de manière subliminal pour sa part) ont appelé à voter pour lui afin de faire barrage au FN. Donc un très fort score mais un président mal élu au final. 

Deuxième point concernant l'opposition structurée, c'est difficile de répondre pour le moment. Avec les législatives, on a quatre formes d'oppositions différentes (incarnés par Jean-Luc Mélenchon, Les Républicains, Le front National et la Parti Socialiste) et on se demande encore comment Emmanuel Macron va gouverner. On en sait pas quelle majorité ou quelle non-majorité il aura dans un mois. 

La droite et la gauche traditionnelle, si l'on excepte Jean-Luc Mélenchon qui a un projet d'opposition structuré, sont déconfis. Il y a une crise d'identité forte dans les deux camps qui fait qu'ils ne savent pas comment rebondir pour le moment. 

D'autant qu'Emmanuel Macron représente actuellement une force d'attraction pour un certain nombre de personnes, des représentants des partis. Ce qui fait que beaucoup quittent les partis traditionnels au profit du parti du nouveau président de la république. On ne sait pas encore quels dispositifs –ou sanctions-  les partis traditionnels vont prendre face à ces "ralliements". On est dans l'attente de confirmation. D'autant que les listes définitives ne sont pas déposées. 

Edouard Husson : Emmanuel Macron a magnifiquement joué le jeu des institutions de la Vè République. Il a refusé le jeu des partis, par exemple en ne tombant pas dans le piège de la primaire de la gauche, qui lui aurait été fatal. Il s'est présenté comme quelqu'un qui refusait la compromission avec des partis usés. C'était bien vu. Il peut à première vue se poser en rassembleur, du fait de son score au 2è tour. Deux obstacles se présentent immédiatement à lui: les institutions ont évolué depuis de Gaulle dans la mesure où le passage du septennat au quinquennat a fait coïncider (jusqu'à maintenant) élection présidentielle et élections législatives. Macron sera mis au défit, immédiatement, de trouver une majorité; et elle n'est pas gagnée d'avance.
Deuxième faiblesse de Macron: à la différence du Général de Gaulle, de Pompidou ou de Giscard, il n'est pas porteur d'une histoire personnelle dense dans un secteur d'action publique (ni privée d'alleurs). A la différence de Mitterrand, Chirac, Sarkozy ou Hollande, il ne peut pas se targuer d'une longue carrière politique. Sa seule chance, c'est la faiblesse encore plus marquée de toutes les forces politiques - sauf le néo-communisme de Mélenchon. Etant donné qu'il n'est pas sûr que les Insoumis transformeront le score présidentiel de Mélenchon en députés, Macron se trouve face à un paysage très éclaté. Le parti socialiste s'est désintégré au terme de la présidence de Hollande. Les Républicains sont revenus à un étiage "chiraquien" (autour de 20%). Quant au Front National , il a raté de très loin la barre des 40%  qui lui aurait permis de s'imposer comme la force d'opposition. Si je cherche un point commun à toutes ces faiblesses, j'identifie l'incapacité à s'adresser à l'ensemble de la société française. Hamon et Fillon ont disputé, sans succès, la "France d'en haut" à Emmanuel Macron. Marine Le Pen n'a pas su convaincre, dans l'entre-deux-tours, la "droite d'en haut" de la rejoindre pour conjuguer ses forces à la "droite d'en bas". 

Au-delà des réflexes de vote à droite ou à gauche, y-a-t il en France un parti ou un mouvement dont le projet serait véritablement capable de convaincre les électeurs au point de souhaiter imposer une majorité de cohabitation ou à minima d’installer une force d’opposition limitant sensiblement la marge de manœuvre d'Emmanuel Macron ?

Sylvain BoulouquePour l'instant ça n'en prend pas le chemin. Est-ce que les électeurs en décideront autrement ? Pour le moment je ne vois pas comment la situation peut évoluer. Sachant qu'en plus, les législatives ne sont pas des élections territorialisées. On a 577 élections locales donc il peut y avoir sur certains départements des évolutions. Mais on voit quand même qu'il y a des départements qui sont immobiles depuis très longtemps et qui risquent bien de le rester. 

La combinaison de ces différents éléments, à savoir la stabilité politique doublée des pesanteurs électorales, fait que l'on se retrouve dans une situation qui peut évoluer tout comme elle peut rester bloquée. 

On risque d'assister à un mode de fonctionnement proche de celui de la quatrième République avec un pouvoir présidentiel fort (alors que le but de la cinquième était justement de se débarrasser du règne des partis). Le doute plane.

Quelles sont les idées qui pourraient soutenir une opposition forte​ ?​ Ou​ en sont droite,​ gauche​ et Front national​ sur le plan des idées​ ? Qui est le mieux placé pour incarner cette opposition ?

Sylvain BoulouqueConcernant la gauche on a des idées qui tournent autour de deux ou trois pôles. Le développement des services publics : Quel que soit le courant de la gauche on retrouve cette entité-là. 

Deuxième idée forte c'est la question écologique qui (qu'il s'agisse de Jean-Luc Mélenchon ou de Benoît Hamon) est vraiment au cœur de toutes les composantes de la gauche aujourd'hui. 

Enfin la question de la redistribution : doit-elle passer par une imposition plus forte ou une redistribution différente celle que proposait Hamon avec le revenu universel. Il y a une recomposition de la gauche qui se fait autour de ces thèmes-là. Cette gauche la semble être minoritaire car toute tendance confondu on arrive à 30% des voix. 

Edouard HussonJe ne parlerai que des deux familles ennemies de la droite, qui me semblent avoir plus en commun qu'elles ne le croient. François Fillon et Marine Le Pen sont les deux grands perdants de cette élection. Leur échec, respectivement au premier et au second tour, prend son origine dans une attitude commune: le refus de développer un discours de droite assumé, discours à la fois de protection et de libération des forces créatrices du pays. François Fillon avait un boulevard devant lui, malgré l'affaire qu'on lui a collé sur le dos et malgré son obsession budgétaire: après 240 victimes du terrorisme en France, il  lui suffisait d'annoncer qu'il suspendrait les accords de Schengen jusqu'à nouvel ordre et rétablirait la surveillance aux frontières tout en lançant immédiatement une renégociation de l'accord de libre circulation européenne avec les partenaires de l'UE.
Il lui fallait présenter un plan et dire clairement qu'il assumait un possible échec de la négociation si ses partenaires manquaient de réalisme; il ouvrait alors la perspective d'un retour à la souveraineté française sur nos frontières. La gauche, les centristes auraient tempêté, l'auraient menacé de tous les châtiments, faisant par réaction  monter son image dans l'électorat de droite et au Front National. Nicolas Dupont-Aignan n'aurait pas dépassé 3%.  Fillon ayant pour lui la réputation d'expérience d'un ancien Premier Ministre, personne n'aurait eu peur de lui voir déclencher une épreuve de force avec les partenaires européens. Il aurait certainement atteint 25%, se qualifiant pour le second tour. Mais c'est de la fiction: quoi qu'ait dit Juppé sur lui, Fillon n'a pas osé porter le fer sur ce point car il partage avec le reste des Républicains la crainte d'apparaître "trop à droite" et "anti-européen".
Curieusement, Marine Le Pen a commis, à sa manière, la même erreur: elle a passé l'entre-deux-tours à courir après les électeurs de Mélenchon au lieu de chercher à faire basculer les électeurs de Fillon.  Tout se passe comme si ceux qui avaient la possibilité de rassembler au deuxième tour la droite avaient eu peur d'assumer ce rôle. Pourtant le Sarkozy des années 2002-2007 devrait rester une référence, par sa capacité à s'émanciper de l'ombre paralysante du Général de Gaulle et à rassembler "droite d'en haut" et "droite d'en bas", à concilier défense de l'identité et esprit d'entreprise, à réformer l'Education Nationale et à investir massivement dans l'enseignement supérieur et l'innovation.
Il faudrait à la fois s'inspirer de cette expérience et se demander sur quels obstacles elle a bûté à la fin. Un homme ou une femme politique voulant rassembler l'ensemble des droites pour gagner l'élection de 2022 ne pourra plus faire comme si l'Union Européenne et la zone euro étaient l'horizon indépassable de notre temps. Je reviens à Schengen: c'est le dysfonctionnement à la fois immédiat et utile politiquement à utiliser pour faire la pédagogie de la nécessaire réforme en profondeur de toutes les institutions européennes. Si la réforme de Schengen échoue, cela augure mal de la réforme de l'ensemble des institutions européennes. Surtout, s'emparer de la question des frontières, c'est ramener l'enjeu de la protection des Français au coeur du débat. C'est le thème idéal, actuellement, pour rassembler la droite et mettre le nouveau président sous pression. Mais qui saura s'en saisir? 

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