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Y-a-t-il un mode de scrutin qui puisse permettre l’émergence d’une vraie citoyenneté européenne ?
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Révision

Le chef de l'État envisage un retour aux listes nationales pour les européennes qui se dérouleront en mai 2019. Une option qui pourrait permettre aux citoyens de mieux connaître leurs eurodéputés.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuel Macron veut un retour aux listes nationales pour les élections européennes de 2019, ce qui ne manque pas de lui attirer des critiques dont celles de Brice Hortefeux. Mais est-ce qu'une simplification du mode de scrutin ne serait pas à même de clarifier le débat européen et les enjeux du scrutin ?

Christophe Bouillaud : Oui, bien sûr, le retour à une circonscription nationale, comme avant 2004, permettrait de redonner de la visibilité au débat, puisqu’il se focaliserait sans doute sur la tête de liste nationale de chaque force en présence et sur la vision européenne de chacune de ses têtes de liste. Cela redonnerait aussi sa chance d’avoir des élus européens aux petites formations politiques, anciennes ou nouvelles, puisqu’il serait difficile d’établir en France un seuil de barrage élevé (plus de 5%), alors même que notre principal partenaire, l’Allemagne, n’a plus depuis 2014 pour cette élection européenne de seuil au nom même de la parfaite représentation de l’électorat d’Outre-Rhin dans toutes ses nuances. 

Par ailleurs, les grandes  circonscriptions régionales instituées en 2004 pour rapprocher les électeurs des élus n’ont jamais fonctionné en ce sens : qui connait aujourd’hui « ses » députés européens ? Par contre, cette régionalisation ratée a sans doute contribué à éloigner encore plus les électeurs de l’élection européenne. Le retour à des listes nationales constitue sans doute un moyen de remonter le taux de participation à cette élection, et donc de lui conférer une plus grande légitimité.  

Au contraire Brice Hortefeux a  mis en garde Gérard Collomb, car les élections de mi-mandat font craindre un vote sanction vis-à-vis de la politique de Macron complètement déconnecté des enjeux européens. Cette crainte est-elle justifiée ?

Il me semble que la remarque de Brice Hortefeux est à la fois vraie et fausse. Il est vrai que, partout en Europe, les élections européennes peuvent constituer un moment de sanction électorale pour le pouvoir national en place. C’est d’autant plus net que l’on s’éloigne de la dernière élection gagnante de ce pouvoir en place – donc, avec deux ans de pouvoir, le pouvoir d’Emmanuel Macron peut être sanctionné. Il est faux, par contre, de dire qu’une telle sanction, ou une éventuelle approbation d’ailleurs, sera déconnectée des enjeux européens. Les Français ont bien perçu tout de même qu’Emmanuel Macron s’est engagé clairement à réformer l’Union européenne pour faire en sorte qu’elle les protège. C’est sans doute l’une des raisons de sa victoire de 2017. On verra donc bien en 2019 si les électeurs qui se déplaceront approuveront ou sanctionneront ce qui aura été fait d’ici là en matière européenne à cette fin par Emmanuel Macron. De toute façon, il n’y a plus guère de différence entre la performance européenne d’un gouvernant et sa performance nationale, surtout pour un Emmanuel Macron qui  se positionne à la fois comme gouvernant de la France et sauveur de l’Union européenne. Il n’y aura pas de déconnection. 

La remarque de Brice Hortefeux me parait par ailleurs bizarre venant de la part d’un opposant à Emmanuel Macron : après tout, quelle importance si le parti de ce dernier (LREM) connait une déroute en 2019 à cause du changement de mode de scrutin ? Il se pourrait que cette remarque tienne plus aux difficultés de positionnement des Républicains si l’élection européenne de 2019s’affirme comme une élection où il faut vraiment choisir son camp sur l’Europe, et si l’on ne peut pas en plus calmer le jeu avec des campagnes régionalisées. Les Républicains sont en effet divisés sur ce point, et ils auront sans doute du mal à mener une campagne cohérente. Cela voit d’ailleurs déjà dans les contorsions de Laurent Wauquiez sur ce point du rapport à l’Europe. Il faut dire qu’un changement de mode de scrutin permettrait aussi la renaissance de la droite souverainiste, stricto sensu, avec DLF de Nicolas Dupont-Aignan et sans doute Les Patriotes de Florian Philippot, qui pourraient avoir des élus.

Est-ce qu'il y aurait une autre alternative pour faire vivre le débat et qui permettrait d'enfin créer une Europe politique selon vous?

Il y a bien sûr la proposition d’Emmanuel Macron de profiter du départ des Britanniques en mars 2019 en principe pour réattribuer leurs 78 sièges au Parlement européen à l’organisation d’un scrutin de liste transnational sur les 27 Etats restants. C’est une vieille proposition des fédéralistes européens datant des années 1990 qui trouverait là une opportunité d’application. Elle obligerait à mener des campagnes assez similaires partout en Europe, avec sans doute le candidat de chaque grand parti européen à la Présidence de la Commission comme tête de liste. Malheureusement pour Emmanuel Macron, certains pays, comme la Pologne, et probablement la Hongrie, ne voudront jamais entendre parler d’une telle innovation où l’on créerait un « électorat paneuropéen », et, du coup, l’on préférera sans doute renégocier la répartition des sièges laissés vacant par le Royaume-Uni entre les pays, sans toucher en plus les grands équilibres entre pays. Logiquement, la France devrait y gagner des élus, si le Parlement européen reste à 750 membres, puisque, comme tout grand pays, elle est y sous-représentée au regard de sa population électorale. 

Ce double scrutin de liste le même jour – un vote dans une proportionnelle nationale, un vote dans une proportionnelle européenne – peut aussi comporter un risque de votes disjoints : que se passerait-il si les électeurs, ces gens un peu facétieux, votaient massivement pour un parti européiste d’un côté (scrutin transnational) et pour un parti eurosceptique de l’autre (scrutin national) ? C’est peu probable, mais je ne sais pas s’il faut tester ce risque en vrai, car l’élection européenne a été jusqu’ici l’élection par excellence où l’électeur se sent le plus libre de son choix et donc le plus libre d’innover et de prendre des risques, puisqu’il sous-estime systématiquement le poids réel en matière de politiques publiques des élus européens. Par ailleurs, une possible alternative  – certes  totalement utopique à ce stade – serait de transposer le mode de scrutin en vigueur en Allemagne à l’échelle de l’Union, puisqu’il préserve à la fois la représentation proportionnelle des volontés populaires et qu’il fait élire des élus liés à des lieux précis via les mandats directs.

Par contre, même sans cette innovation proposée par Emmanuel Macron de listes transnationales, il sera difficile de ne pas entendre parler en 2019 de ces mêmes candidats à la Présidence de la Commission auquel je viens de faire allusion. Le remplacement de J. C. Juncker par une personnalité plus dynamique et sans doute plus jeune va constituer un enjeu susceptible d’attirer l’attention du grand public. C’est donc sans doute à travers la personnalisation du débat qu’il me parait le plus facile de faire vivre une Europe politique sans devoir passer nécessairement par des réformes institutionnelles. Il ne reste plus qu’à trouver les personnes adéquates… 

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