Y-a-t-il quelqu'un chez LR (et ailleurs) capable de définir ce que c'est qu'être de droite aujourd'hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Républicains droite avenir Bruno Retailleau Rachida Dati François Baroin
Les Républicains droite avenir Bruno Retailleau Rachida Dati François Baroin
©LOIC VENANCE / AFP

Echiquier politique

Les Républicains organisaient ce week-end leur université d'été au Port-Marly dans les Yvelines. Quel espace Les Républicains peuvent-ils investir pour se différencier de La République en marche avant l'élection présidentielle ? Le parti est-il condamné à regarder vers le passé pour retrouver son identité ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Les Républicains étaient réunis ce weekend au Port-Marly (Yvelines) pour leur université d'été. C’était le retour d’une formule un temps écartée, que dire de cette réunion ?

Christophe Boutin : Pour répondre à votre question, il convient d’abord de planter le décor. Lorsque les universités d'été sont apparues dans les partis politiques français, elles n'ont longtemps servi que de formation et de sélection des jeunes militants et cadres de ces partis. C'était aussi l'occasion pour les seconds couteaux, baptisés généralement « réformateurs », de secouer un peu le cocotier hiérarchique. Puis, comme c'était l'été et que les médias n'avaient pas grand-chose à se mettre sous la dent, ces derniers s'y sont peu à peu invité, conduisant les hiérarques du parti à accepter eux aussi de tremper de sueur leur chemise et de déjeuner entre deux adolescents boutonneux d'un plateau repas très inférieur à la cantine du Sénat ou de l'Assemblée nationale. La guerre des images avait commencé, dont l'un des points culminants fut sans doute l'université d'été organisée en 2005 par l’UMP, quand s'affrontaient le jogger Nicolas Sarkozy, en Ray Ban police et blouson bleu, et la naïade Dominique de Villepin en chemise rose.

Depuis une dizaine d'années, LR avait choisi de mettre en veilleuse ce qui n'était plus qu'un moment de démonstration publique de ses divisions. Chaque fédération départementale pouvait depuis organiser son « université », et chaque chef de courant - sinon de clan - sa petite fête personnelle. Mais cette année Christian Jacob avait décidé de renouer avec la manifestation unitaire, comme pour conjurer le sort quand, d'une part, les derniers scores électoraux de son parti avaient été particulièrement médiocres, et, d'autre part, que les derniers sondages montraient son décrochage complet d’avec la jeunesse. Prévue initialement à Nîmes, déplacée pour cause de crise sanitaire, elle s’est finalement tenue ce week-end à Port-Marly aux portes de Paris, au pied du « château de Monte-Cristo », ce symbole d’un revenant victorieux.

Pour autant, cette volonté de rassemblement général n'a pas empêché les initiatives particulières : François-Xavier Bellamy avait réuni ses amis mi-juillet pour un déjeuner ; la fédération départementale de Loire Atlantique avait organisé son université fin août ; fin août aussi Valérie Pécresse –venue en majesté à Port-Marly, mais dont on rappellera qu'elle a quitté l'année dernière les Républicains – plaçait la réunion de son propre parti, « Libre ! » ; Julien Aubert, qui organise traditionnellement début septembre la réunion de rentrée de son mouvement Oser la France la maintint à Lourmarin ; Guillaume Peltier organisera sa propre « fête de la violette » ; et Laurent Wauquiez, reproduisant les pèlerinages mitterrandiens à Solutré, escaladera avec ses amis le mont Mézenc… Quant au millier de jeunes annoncé par François Jacob, il n'a pas toujours été atteint parmi les spectateurs des tables rondes.

De manière symptomatique, puisque l'on évoque la venue de Valérie Pécresse, la thématique générale de cette université tournait autour de la notion de « réconciliation », avec quatre thématiques principales : réconcilier « croissance et écologie », « démocratie et autorité », « réussites et république » et « Europe et souveraineté ». Chacune donnait lieu, le vendredi, à un atelier, et le samedi à une table ronde avec sa vedette : François-Xavier Bellamy sur l'Europe et la souveraineté, Bruno Retailleau sur la démocratie et l’autorité de l'État, Damien Abad sur l’écologie, mais qui pouvait mieux s'exprimer sur la réussite républicaine qu’un François Baroin qui, au contraire des autres orateurs cités, était le seul intervenant de cette dernière « table ronde » ?

Une question était dans toutes les têtes : qui incarnera le parti pour l'élection présidentielle de 2022 ? Une question qui était dans les têtes, certes, mais pas au programme du weekend. Comment expliquer ce flottement à 20 mois de l'élection ? Avant de se choisir un candidat, LR n'a-t-il pas tout simplement des difficultés à définir sa place dans l'échiquier politique ?

Si le maire de Troyes était à ce point mis en évidence dans cette université d'été, c'est parce qu’elle pouvait être l'occasion pour lui de clarifier son choix quant à une éventuelle candidature à l'élection présidentielle de 2022. Baroin président ? La question a bien sûr été directement posée par un militant à l'éternel jeune homme qui, comme il fallait s'y attendre, a choisi de botter en touche, estimant qu’il n'était pas convenable de s'exprimer avant les prochains résultats des sénatoriales. On sait que, par ailleurs, il prépare un livre dans lequel il évoquera les conséquences de la crise sanitaire. Pour ses partisans, il aurait un agenda et souhaiterait s’y tenir ; pour ses détracteurs il se résigne pas encore à afficher qu’il n’ose pas être candidat. Évoquant la mort d'Antoine Rufenacht, Baroin déclarait : « C'était un chiraquien, il aimait la pression, et il faut le savoir : tous les chiraquiens aiment la pression ». Reste à savoir s'il évoquait le goût de l'ancien président de la République pour les demis avalés au comptoir avec une assiette de charcuterie, ou s'il s'agit bien d'une pression politique à laquelle un certain nombre de commentateurs doutent qu’il ait la capacité de résister. Né avec une cuillère politique dorée dans la bouche, porté par Jacques Chirac, François Baroin sait bien, après l'affaire Fillon, que dans la présidentielle on use de tous les moyens, même légaux… ce qui, reconnaissons-le, peut en refroidir plus d’un.

La question reste donc posée et concerne bien deux éléments. Le premier est le mode de désignation du candidat qui va incarner le programme de LR en 2022. Faut-il connaître ce candidat avant la fin de l'année, ou le voir apparaître après les élections départementales et régionales de 2021 ? Comment le désigner ? Les statuts de LR prévoient une primaire ouverte ou interne, et en changer supposerait la réunion d'un congrès du parti. Quand, pour Christian Jacob, la question des primaires devrait être envisagée après les régionales, d'autres, comme François-Xavier Bellamy, aimeraient que les choses soient clarifiées bien avant, et Bruno Retailleau, candidat déclaré à de telles primaires, aimerait que le choix de ce mode de sésignation soit fait à l'automne, les modalités d'organisation pouvant elles être précisées après les élections locales de 2021.

Le second élément, après l’incarnation dans un leader reconnu et accepté, est celle du programme et du positionnement politique. Or force est de constater que LR reste dans l’ornière qui a conduit le parti à sa descente aux enfers, cette caricaturale course poursuite derrière les modes sociétales menée par ses éléments centristes. D’où la déclaration de Gérard Larcher, selon lequel « l'espace politique de LR » est celui « de la droite et du centre ». D’où le retour sur le devant de la scène d’une Valérie Pécresse, qui a besoin du soutien de LR pour les prochaines élections régionales, mais qui, loin de se poser en suppliante, entend toujours imposer ses idées : pour elle la droite doit faire l'union avec le centre, être moderne et être écologiste.

L'écologie a ici valeur de symbole. Cette thématique, dont on a cru voir le poids politique lors des dernières élections, européennes et municipales, est la première après laquelle tentent de courir nos Républicains, mais en ne se rendant absolument pas compte pour la plupart que si cette dimension, effectivement, devrait leur être consubstantielle, cela passerait par une claire affirmation de conservatisme tant l'écologie réelle – à bien différencier de l’écologie politique que l’on connaît en France - est, par essence, conservatrice. C’était d’ailleurs peut-être un peu le sens du lien fait cette année à La Baule entre écologie et « enracinement dans les territoires », mais, dans ce cas, on constate à nouveau que LR marrie la carpe et le lapin en une synthèse qui a perdu quasiment toute crédibilité….

LR est concurrencé par LREM, chez qui plusieurs poids lourds du parti ont fait défection (Jean Castex et Roselyne Bachelot récemment). À tel point que selon un sondage Ifop publié ce dimanche dans le JDD, 53% des Français estiment qu'Emmanuel Macron incarne bien la droite. Quel espace la "droite LR" doit-elle et peut-elle investir pour se différencier de la "droite LREM" ?

C’est bien la première fois que Jean Castex est qualifié de poids lourd politique. Je ne savais pas qu’avoir présidé la communauté de communes Conflent Canigó avait une telle importance. Je ne doute pas de la qualité et de la force des réseaux qui le soutiennent, mais vous me permettrez d’attendre qu’il ait – ou non – acquis une stature nationale pour me prononcer sur ce point. La prise de Roselyne Bachelot est effectivement plus importante : c’est tout un monde d’humour télévisuel et radiophonique qui déboule avec elle. Mais plus sérieusement, ce qui est effectivement certain, au-delà de ces quelques personnes, c’est que l’on voit mal comment la ligne centriste de LR, chiraco-juppéiste sinon quasi raffarinienne, pourrait se différencier de celle de ses anciens membres devenus soutiens d’Emmanuel Macron. Quand par exemple, pour retrouver ses liens avec les jeunes, LR organise lors de son université d'été la réalisation par des graffeurs venus de Seine-Saint-Denis d'une fresque ayant pour thème la République, on mesure l'ampleur du problème et le décalage complet de ses organisateurs hors-sol d’avec la réalité vécue pourtant par une autre partie de la jeunesse, celle de la France périphérique, complètement ignorée.

Il n’est pas certain que dans ce cadre un tel choix centriste n’entraîne pas LR vers une candidature symbolique au premier tour et un ralliement au plus tard au second à un Emmanuel Macron qui devrait distancer sans problème son candidat et pourrait à nouveau affronter Marine Le Pen. N’y a-t-il aucun autre choix politique, aucune autre « troisième voie » à proposer pour éviter de rééditer en 2022 le vote de 2017, ce que semble souhaiter dans les sondages une part non négligeable des Français ? Ce n’est pas l’avis, par exemple, d’un Julien Aubert. La thématique de l'université d’été de son mouvement Oser la France, « 50 ans après le général, osons redresser la France ! » montre une dimension gaulliste sinon conservatrice qui se confirme quand on examine les thématiques des tables rondes : souveraineté, patriotisme économique, identité nationale ou communautarismes. Mais il semble décidément bien difficile de combiner les deux approches !

Dans ce même sondage, les Français estiment que Nicolas Sarkozy demeure le meilleur représentant de la droite. Le parti est-il condamné à regarder vers le passé pour retrouver son identité ?

Encore un des grands absents de cette université d’été, avec Xavier Bertrand, président des Hauts de France, qui a quitté LR en 2017, mais qui, dans l'ombre, attend de voir comment évolue le parti, et l'ancien président de LR, Laurent Wauquiez, qui depuis sa démission en juin 2019 se consacre à sa région, Auvergne-Rhône-Alpes, et attend le résultat des élections régionales de 2021 pour en savoir plus sur son éventuel positionnement national.

Manquait donc à cette université d'été un Nicolas Sarkozy dont on parle beaucoup, et dont certains, comme Éric Ciotti, envisagent même qu'il puisse être « une espérance ». Un Nicolas Sarkozy qui, comme Jacques Chirac, catalogué « brave type » à vie pour avoir tâté le cul des vaches en étant ministre de l’Agriculture, continue de bénéficier de son image de « dur » acquise au ministère de l’Intérieur. « J’ai tué le job » aurait-il déclaré, et, effectivement, un certain nombre de Français sont toujours persuadés qu’il ne se serait pas contenté de déclarations fracassantes mais aurait agi… Ajoutons qu’il n’est pas trop difficile de mieux incarner la droite que nombre des membres actuels de LR… Pour autant, les relations pour le moins ambiguës nouées entre l'ancien président de la République et son dernier successeur, Emmanuel Macron, soit directement, soit par le biais des nombreux sarkozystes ayant accepté de travailler avec la présidence actuelle, brouillent les pistes et laissent planer un doute sur l’intérêt qu’aurait LR à trop regarder dans le rétroviseur.

De son côté, le Rassemblement national a fait sa rentrée ce dimanche à Fréjus (Var). Marine Le Pen, dans un discours, a estimé que le RN a gagné "la bataille idéologique" (notamment avec le terme « d'ensauvagement » repris par le ministre de l'Intérieur) et a promis qu'elle lèvera "certaines ambiguïtés" quand des électeurs de la droite "croient que le programme économique du RN est le même" que celui de LFI. Elle s'attend à une "migration" des électeurs LR vers le RN du fait de la "proximité" entre LR et LREM. Le RN peut-il devenir le représentant de la droite "hors LREM" sans renier sa stratégie des dernières années, qui était de ratisser plus large, jusqu'à l'extrême gauche (Marine Le Pen a d'ailleurs défendu la retraite à 60 ans dans son discours) ?

Marine le Pen joue intelligemment sur deux choses. La première est le sentiment que les Français, de droite comme de gauche, sont aujourd’hui jetés à leur corps défendant dans un monde dont ils ne veulent pas, et ont la nostalgie du monde d’hier : un monde où l’on pouvait, par exemple, sortir dans un centre ville sans risquer un coup de couteau, où les dites rues n’étaient pas le lieu de déambulation de silhouettes appartenant à d’autres cultures, où la cohésion nationale avait créé un État providence qui n’était pas encore livré au pillage. La seconde est le décalage complet entre cette nouvelle réalité et la manière dont il en est rendu compte dans les médias mainstream et par les représentants des partis politiques « de gouvernement », mais aussi dans une extrême-gauche partie en vrille dans le communautarisme le plus échevelé, la novlangue du politiquement correct euphémisant ce que l’on ne peut cacher et nier.

Face à cela, utiliser les vrais termes, prononcer les mots qu’il convient pour décrire le réel, et parvenir à les imposer à ses opposants politiques tant ils sont en phase avec le ressenti des Français, c’est en effet gagner une bataille idéologique. Par ailleurs, se poser la question des possibilités de conserver un certain nombre d’acquis sociaux – dont l’âge de départ à la retraite - n’est pas en soi une hérésie : avant que de rogner sur ces derniers, encore faudrait-il savoir très précisément où part l’argent qui ne parvient plus à les financer. Reste que le RN a bien du mal semble-t-il, et pas seulement sur le plan économique, à concilier individualisme libéral et conservatisme, quand cette conciliation est indispensable pour casser l’OPA lancée par Emmanuel Macron sur des électeurs LR toujours méfiants envers les « partageux ». Il n’y aura pas de victoire contre le progressisme macronien sans réunir les déclassés nationaux venus de toute l’échelle sociale, des ouvriers et paysans aux hauts fonctionnaires, contre les premiers de cordée de l’oligarchie mondialiste et leurs commensaux béats d’admiration.

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