Wikipédia plombé par les biais idéologiques : la rude charge de son cofondateur désabusé<!-- --> | Atlantico.fr
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Wikipedia fait partie des sites les plus consultés à travers le monde.
Wikipedia fait partie des sites les plus consultés à travers le monde.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

SOS neutralité perdue

Larry Sanger, co-fondateur de Wikipédia, affirme ne plus avoir confiance dans le site qu’il a créé tant les biais idéologiques « anti-droite » y sont nombreux.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Larry Sanger, co-fondateur de Wikipédia, affirme ne plus avoir confiance dans le site qu’il a créé tant les biais idéologiques « anti-droite » y sont nombreux. Il ajoute que la plate-forme a perdu sa neutralité à partir de 2009. Comment l’objectif de Wikipedia a été détourné ? 

Drieu Godefridi : Wikipedia relève désormais d’une forme sophistiquée de propagande. Rien à voir, bien entendu, avec la Propagandastaffel ou la Pravda, c’est-à-dire la concoction puis la diffusion centralisée d’un seul message. Wikipédia est un vaste maillage auquel en théorie n’importe qui est susceptible d’apporter une contribution. C’est la démocratie, en théorie. En pratique, Wikipédia est une oligarchie stricte, qui n’admet la contribution ‘populaire’ qu’à la marge, c’est-à-dire sur les sujets sans importance, ou dont les faits ne sont pas discutés. Il s’agit d’un mécanisme particulièrement sophistiqué, et vénéneux, de propagande par ce qu’on l’on nommera la Gauche (et l’extrême gauche) bien-pensante occidentale (et non mondialiste comme on dit souvent, car la soi-disant mondialisation de la gauche est cantonnée à l’Occident.

Julien Pillot : Que l’on accorde du crédit ou non aux propos de Larry Sanger, force est de constater que Wikipédia est aujourd’hui l’un des 5 sites les plus consultés au monde, et probablement le plus grand recueil d’informations encyclopédiques libre d’accès. Cela en fait une caisse de résonance particulièrement puissante, qui ne peut qu’intéresser des personnes physiques ou morales à y exercer une influence économique, politique ou idéologique. Si, comme le prétend Larry Sanger, la plateforme subie ce genre de pression, c’est quelque part la rançon du succès… et comme d’autres plateformes telles que X (ex-Twitter) ou Facebook, elle devient un terrain que les activistes de tous bords ne peuvent ignorer.

La comparaison s’arrête là en cela que Wikipédia est un site à vocation encyclopédique et à donc, me semble-t-il, un devoir de vérité et de neutralité. Si, comme l’explique Larry Sanger, la neutralité n’est plus de mise, cela laisse à penser que la bataille idéologique en interne (pour la modération des contenus) et externe (pour la création et la mise à jour des contenus) se serait déséquilibrée en faveur des tenants d’une « pensée dominante » et d’un supposé « progressisme » qui écraseraient le débat en sélectionnant les sources et informations compatibles avec leurs thèses. Comme on peut le voir par ailleurs, il y a une part d’adhésion à ces idées, et une part d’auto-censure venant de personnes qui ne veulent pas risquer d’être exclues pour la seule faute d’oser le contradictoire. Sans oublier que certaines entreprises peuvent jouer de l’influence que leur offre Wikipédia pour tenter d’orienter les informations, à des fins commerciales ou politiques.

D’une certaine façon, cette situation n’est pas sans faire écho à la position d’Elon Musk qui, se présentant comme un « absolutiste de la liberté d’expression », avait dit vouloir racheter Twitter pour redonner un canal d’expression aux positions et opinions conservatrices qu’il présente comme malmenées, voire ostracisées, dans le paysage médiatique, social et intellectuel en Occident.

Quels biais peut-on observer sur la plateforme depuis 2009 ? 

Drieu Godefridi : Tout ce qui est de gauche est parole d’évangile, tout point de vue de droite est discutable. Ce qui garantit ce résultat est que Wikipédia paie des contributeurs pour maintenir l’ordre, d’une part, et d’autre part que les contributeurs ‘privés’ issus de la gauche ont tendance à chasser en meute, condamnant de fait tout point de vue de droite. Sur tous les sujets, sans la moindre exception. Par son ampleur, sa force de frappe et sa férocité à l’égard de tout de vue divergeant de la gauche éco-extrémiste, Wikipédia est l’un des instruments de propagande les plus efficaces du monde contemporain. 

Dans quelle mesure peut-on parler d’offensive idéologique ?

Drieu Godefridi : Wikipédia est une oligarchie. On ne parlera plus d’offensive, mais de victoire, en son sein et par ses structures. La Gauche exerce un pouvoir impitoyable et sans partage sur les contenus Wikipédia. C’est un fait.

Surtout, comment expliquer tous ces biais ? Est-ce intrinsèquement lié au mode de fonctionnement de la plateforme ?

Julien Pillot : On peut penser qu’il y a contribué. Il faut comprendre que Wikipédia est un projet à but non lucratif. Il se finance par les dons de généreux mécènes. Il n’est pas interdit de penser que les principaux donateurs puissent exercer quelque influence sur le contenu, ou sur la composition de l’équipe éditoriale ou de modération de Wikipédia. De l’autre, la rédaction des contenus est assuré par la communauté. Or, si tout le monde peut contribuer en théorie, dans la pratique il s’avère que certains rédacteurs sont des plus actifs, notamment sur des sujets pouvant alimenter la polémique sur le plan scientifique ou social. On peut s’en apercevoir en France avec le sujet des punaises de lit dont il s’agit de savoir si leur prolifération peut s’expliquer en partie par l’immigration. Depuis quelques jours, nous assistons à une énorme passe d’armes entre les tenants de la thèse et de l’antithèse, ce qui se traduit par une page dont la composition évolue très rapidement… tellement rapidement qu’elle en devient illisible et peu informative.

Bref, ce mode de gouvernance particulier fait que Wikipédia peut perdre sa neutralité sur certains sujets dès lors que les forces en présence, et les idéologies ou intérêts économiques sous-jacents, se trouvent déséquilibrés.

Drieu Godefridi : C’est lié à la façon extrêmement habile dont la plateforme vend comme démocratique un fonctionnement qui est essentiellement oligarchique. Outre les facteurs mentionnés - contributeurs payés, chasse en meute - il y a le fait que beaucoup de militants de gauche semblent disposés à consacrer un temps infini à Wikipédia, car ils savent que leur travail ne sera pas en vain. Alors qu’à droite, connaissant le biais de Wikipédia, le contributeur de base comprend rapidement que c’est peine perdue.

Dans quelle mesure les États généraux de l’information, qui dureront jusqu’à l’été 2024, auraient intérêt à se pencher sur la question de la perte de neutralité de Wikipédia ?

Drieu Godefridi : Wikipédia est un média privé. Je ne crois pas aux interférences étatiques arbitraires. Ce qu’il faut, ce sont des alternatives, comme il s’en développe et s’en développera. Avec la généralisation de l’intelligence artificielle, demain quantique, les jours du monopole de Wikipédia sont comptés.

Julien Pillot : Pour ce qui concerne Wikipédia, c’est une question de politique générale d’entreprise. Il suffirait que soit mise en place une charte de déontologie qui garantisse le pluralisme à la fois des source d’information et des courants de pensée pour changer la donne. Avec naturellement des actions préventives et restrictives à mener sur la communauté de rédacteurs et de modérateurs. A regarder de près ce qu’il se passe aux Etats-Unis où des entreprises telles que Disney ou Budweiser connaissent des difficultés pour être massivement boycottées par les conservateurs suite à des campagnes jugées trop ostensiblement « woke », je crois que de toutes façons il n’est pas intéressant pour une entreprise d’alimenter durablement un clivage social. Wikipédia ne fait pas exception. Attention toutefois : faire vivre le contradictoire ne doit pas rimer avec ouvrir grand les portes aux propos dénués de fondement scientifique, ou qui verseraient dans le révisionnisme ou le négationnisme. Wikipédia doit demeurer un site d’information, pas devenir une plateforme de polémique.

Pour ce qui concerne les États généraux de l’information, les choses sont différentes et les problématiques sont multiples. Certaines, comme la question du pluralisme, de la concentration, ou du financement des médias, mais aussi sur le devenir du métier de journaliste, la place de la déontologie, ou encore la protection de la confidentialité des sources, sont identifiées de longue date. Ces problématiques structurantes se doublent aujourd’hui de questions tour aussi essentielles autour de la désinformation de masse et de la censure qui, comme nous l’avons évoqué plus haut, prend parfois la forme d’une auto-censure. Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité que, d’une part, les organismes intéressés à alimenter des campagnes de désinformation de masse ont désormais accès à des outils d’une puissance de création (IA, deep fakes…) et de diffusion (réseaux sociaux, notamment) extrêmement puissants ; et que, d’autre part, la capacité de la population à déceler le vrai du faux est remise en question. Il revient au législateur comme au régulateur d’opérer une surveillance extrêmement étroite de ces phénomènes, car ne nous y trompons pas : les déstabilisations qui naissent des campagnes de désinformation massive sont indéniablement des menaces pour la démocratie.

Vous pouvez retrouver un article sur le sujet intitulé "Quand Wikipédia organise la censure idéologique : la belle histoire de Chouette Bougonne".

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