White flight : ces Blancs qui abandonnent massivement certains quartiers britanniques. Et en France ? Les statistiques n'existent pas...<!-- --> | Atlantico.fr
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Les processus de concentration et de ségrégation sont très anxiogènes pour les autochtones lorsqu’ils deviennent minoritaires et voient se transformer leur environnement.
Les processus de concentration et de ségrégation sont très anxiogènes pour les autochtones lorsqu’ils deviennent minoritaires et voient se transformer leur environnement.
©LOIC VENANCE / AFP

Jetés dehors

Le phénomène du "white flight" (la fuite des blancs) a été quantifié dans une étude britannique menée par le professeur Ted Cantle, spécialiste en cohésion des communautés. Faute de statistiques ethniques, de telles études sont difficiles à réaliser en France... ce qui n'efface pourtant pas la situation.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : Une récente étude britannique réalisée par l'universitaire Ted Cantle montre qu'en une dizaine d'années et dans certains quartiers, les populations issues des minorités ethniques étaient de plus en plus isolées, notamment avec le départ des populations "blanches". Ce type d’études est-il réalisable en France ?

Michèle Tribalat : Au Royaume-Uni, où l’on recueille depuis 1991 des données ethno-raciales dans les recensement tous les dix ans ou dans les pays du Nord de l’Europe qui collectent des informations sur l’origine (ascendance), il est possible de poursuivre des analyses approfondies sur la localisation de différents groupes ethniques (ethno-raciaux pour le RU). En France, des données sur l’ascendance (pays et nationalité de naissance des parents) ne sont collectées que dans les grandes enquêtes de l’Insee depuis une dizaine d’années et non dans les recensements. Il n’est pas possible de descendre à un niveau local assez fin pour l’ensemble de la population. C’est pourquoi nous avons, avec Bernard Aubry, développé une étude des concentrations ethniques et des voisinages pour les seuls moins de 18 ans, dont on arrive à repérer l’origine au foyer des parents dans les enquêtes annuelles de recensement. 

Qu'a-t-on pu observer pour ce qui concerne la France ? Ce phénomène peut-il se retrouver dans certains quartiers ou dans certaines villes françaises ? 

En France on a aussi observé une augmentation des concentrations ethniques  depuis la fin des années 1960. Mais, alors que la proportion de jeunes d’origine étrangère est restée relativement stable, en moyenne, dans les communes de moins de 10 000 habitants, elle s’est considérablement accrue dans les communes d’au moins 30 000 habitants où elle approche ou dépasse 35 %, en moyenne, en 2011. Elle était inférieure à 15 % en 1968. L’origine a également changé. À la fin des années 1960, ces jeunes étaient généralement des enfants nés de parents immigrés d’Europe du Sud. Ils sont aujourd’hui plutôt d’origine maghrébine ou subsaharienne. Ces phénomènes ne sont pas spécifiques des grandes agglomérations françaises des zones traditionnelles d’immigration comme celles de Paris, Lyon ou Marseille. On trouve désormais, dans les villes d’un grand quart Ouest, des concentrations importantes. C’est le cas à Blois, par exemple, où la proportion de jeunes d’origine étrangère est passée de 5 % en 1968 à 40 % en 2011. 

J’ai étudié l’évolution du peuplement entre 1968 et 1999 dans des communes où la concentration ethnique avait atteint ou dépassé 50 % en 1999 pour vérifier l’hypothèse du "White Flight". En fait, la mobilité est assez grande pour tout le monde et ce n’est pas tant par la fuite des natifs que par l’évitement que les concentrations se forment. Des logements sont libérés qui sont boudés par les natifs et occupés par des immigrants. 

Les concentrations s’accompagnent ou non, à l’intérieur d’une même commune d’une ségrégation plus ou moins marquée. C’est-à-dire que les populations d’origine étrangère, même si elles deviennent majoritaires sont anormalement concentrées ou non dans certains quartiers. Si l’on prend l’exemple de Mantes-la-Jolie et d’Aubervilliers où la proportion de jeunes d’origine non européenne dépasse 60 % (61 % à Mantes-la-Jolie ; 70 % à Aubervilliers), la ségrégation est plus forte à Mantes-la-Jolie où la proportion de jeunes d’origine non européenne dépasse 85 % dans certains iris (l’iris est l’unité territoriale de base du recensement) mais reste inférieure ou égale à 30 % dans d’autres. Au contraire, à Aubervilliers, les jeunes d’origine non européenne sont beaucoup mieux répartis sur l’ensemble du territoire. L’indicateur de dissimilarité qui donne une idée de la ségrégation est de 0,45 à Mantes-la-Jolie et de 0,16 à Aubervilliers. 

Quels problèmes ce phénomène peut-il soulever, tant pour les populations locales que pour les pouvoirs publics ?

La séparation entre les divers groupes ethniques apportés par l’immigration et la population autochtone est hautement problématique pour le processus d’intégration de ces groupes. C’est en se frottant aux populations autochtones que les nouveaux arrivants peuvent se faire une idée des modes de vie français et des efforts qu’ils doivent accomplir pour s’y adapter. C’est vrai dans la vie quotidienne comme à l’école. 

Les processus de concentration et de ségrégation sont très anxiogènes pour les autochtones lorsqu’ils deviennent minoritaires et voient se transformer leur environnement. La pression sociale nécessaire à la transformation des comportements et des modes de vie des nouveaux venus a tendance à changer de sens. 

Les concentrations ethniques s’accompagnent aussi d’une concentration de difficultés financières et sociales. Ainsi, à Clichy-sous-Bois, ville où la concentration ethnique est la plus élevée, plus la proportion de jeunes d’origine non européenne est élevée, plus la part de jeunes couverts par la CMU est importante -elle varie de 12 % à 44 % selon la concentration des iris en 2012 – et plus la part de ménages non imposés est importante – elle va de 32 % à 70 % en 2009. Les pouvoirs publics ne peuvent pas se substituer, quels que soient leurs moyens - et ils sont plutôt limités dans ces communes - au processus social  qui résulterait de la cohabitation avec des autochtones.

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