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Wauquiez, Buisson, Maréchal Le Pen : qui pense vraiment quoi au sein des nouvelles droites ?
©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Jeu des 7 différences

Marion Maréchal Le Pen a livré un discours très remarqué devant les conservateurs à Washington. Un discours propre à ringardiser les autres figures de droite ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Fustigeant ici l’Union européenne « tueuse de nations millénaires », décrivant là une « France, fille aînée de l’Eglise catholique, en train de devenir la petite nièce de l’islam », celle qui incarnait la ligne identitaire du parti d’extrême droite, avant son départ, a fait un discours plus que remarqué de part et d’autre de l’Atlantique. Entre son passé au sein du Front National et ses déclarations, comment décrire la ligne politique de Marion Maréchal le Pen ?

Edouard Husson : Je ne sais pas si le terme « identitaire » est approprié. Marion Maréchal-Le Pen se distingue de son grand-père et de sa tante en ce qu’elle ne cultive pas le « ni droite ni gauche » qui la mettrait du côté des populistes. Elle insiste sur son enracinement à droite, très à droite, en effet. Son cocktail allie catholicisme, patriotisme ert conservatisme. Là où son grand-père se définissait, en 2002, comme « économiquement de droite, socialement de gauche et nationalement de France »; et là où sa tante a cherché, toute la campagne des présidentielles, à se donner une image « républicaine », Marion Maréchal-Le Pen essaie de s’enraciner au point de rencontre entre l’aile droite des Républicains et la partie du Front National qui se veut exclusivement de droite. Elle est de droite dans la mesure où la nation semble lui importer plus que la République, la France être pour elle d’abord enracinée dans le catholicisme et la défense des valeurs familiales ne laisser aucune place aux tergiversations qui avaient caractérisé la réaction de Marine face à « La Manif Pour Tous ». Ce qui est peut-être le plus nouveau dans l’événement de Washington, c’est une référence aussi appuyée au « conservatisme ». Au moment où les gouvernements américain et britannique mettent en cause des décennies de « libéralisme », politique, économique et social et se réaffirment comme porteurs d’un consensus « conservateur », Marion Maréchal-Le Pen a choisi d’enfourcher ce cheval. Le demi-siècle qui vient sera, effectivement aussi « conservateur » que celui qui vient de s’écouler a été « libéral ». Evidemment il y aura de multiples variantes de conservatisme et Marion Maréchal-Le Pen est bien plus à droite que Theresa May - qui reste libérale dans le domaine des moeurs - et ne partage pas le populisme de Donald Trump - la part qu’elle fait à un christianisme conservateur fait plutôt penser à la situation de Mike Pence sur l’échiquier politique américain. 

En quoi la vision de MMLP est-elle différente de la ligne politique de Laurent Wauquiez ? Ou de la ligne Buisson ?

Patrick Buisson se définit lui aussi comme « conservateur ». Il a essayé de théoriser la  fin du libéralisme et le retour du conservatisme. Wauquiez, lui, ne se réfère pas à ce clivage mais il a senti depuis longtemps la mutation de l’électorat des Républicains (ancienne UMP). Il me semble, cependant, que ce qui caractérise Buisson comme Wauquiez c’est un refus de mettre en cause l’euro. Patrick Buisson avait proposé à Nicoilas Sarkozy de maintenir le pacte monétaire européen tout en affirmant une politique de droite en matière de sécurité, d’immigration. Depuis la défaite de la droite aux présidentielles de 2012 et 2017, Buisson a pris en compte l’émergence de la « Manif Pour Tous » mais aussi eu tendance à renforcer un enracinement péguyste ou bernanosien - le refus d’un monde dominé par l’argent - ce qui, paradoxalement, l’amène à ne pas mettre en cause l’euro - il y a chez lui un très maurrassien « politique d’abord ». Wauquiez, en « bébé Sarko » qu’il a été, recherche une nouvelle synthèse entre européisme et populisme. Marion Maréchal-Le Pen, elle, fait un choix différent. Elle dénonce l’Union Européenne donc, sans la nommer, l’Allemagne. Et elle entre dans une logique transatlantique. C’est inattendu mais une conséquence logique de la présence de Trump à la Maison Blanche. Elle a fait l’éloge d’un président américain qu’elle perçoit comme souverainiste et attaché à l’enracinement chrétien des Etats-Unis. Encore une fois, c’est peut-être plus Mike Pence qu’elle devrait désigner comme son cousin idéologique - mais il est moins visible et connu que Trump. Le plus surprenant est le fait qu’elle soit allée prononcer son  discours en anglais. Ce faisant, elle se distingue franchement de sa tante ou de Patrick Buisson, très repliés sur l’Hexagone, et de la franchouillardise épaisse de Laurent Wauquiez. 

Quel potentiel a encore cette frange de l'extrême-droite très conservatrice mais libérale représentée par Marion Maréchal-Le Pen aujourd'hui en France ? Quel espace pourrait-elle occuper à droite au côté des Patriotes ou d'un LR très droitier ?

Le contraste entre la vulgarité bien grasse du président des Républicains devant des étudiants d’école de commerce et l’escapade washingtonienne et anglophone de Marion Maréchal-Le Pen à quelques jours d’intervalle présage de recompositions beaucoup plus profondes à la droite de l’échiquier politique. Au fond, on pourrait passer des heures à disserter sur les contrastes idéologiques entre Marine et Marion, entre Dupont-Aignan et Wauquiez. La différence de positionnement politique entre les quatre est infime. Laurent Wauquiez n’assume pas, à la différence des autres, le positionnement très à droite auquel il aspire pourtant et il compense ses prudences européistes par des poses de caïd. Mais au fond il ne cherche pas autre chose que les trois autres.

Simplement, Marion Maréchal-Le Pen semble avoir quelque chose de « macronien », qui manque aux trois autres: en dix minutes d’un discours prononcé en anglais, elle vient de ringardiser ses concurrents. On peut le formuler autrement; c’est la première fois que l’on peut dire sérieusement qu’Emmanuel Macron devrait se méfier. Il avait frappé les esprits, il y a quelques mois en faisant uin discours en anglais sur le thème « Make Our Planet Great Again ». Marion Maréchal-Le Pen lui jette le gant en n’ayant pas peur, alors qu’elle est le nouveau visage de l’ultra-droite, de parler anglais pour exalter la souveraineté nationale: « Make America Great Again. Make Britain Great Again. Make France Great Again! », ce qui pourrait se traduire par « Conservateurs de tous les pays unisserz-vous! ». Elle pourrait rallier à sa personne non seulement les déçus de Marine mais aussi les orphelins de François Fillon. Il resterait alors peu de place entre elle et Emmanuel Macron pour Les Républicains, que Wauquiez survive politiquement ou non. Et, il faut y insister: là où son grand-père se donnait des frissons en fréquentant Saddam Hussein; là où sa tante cherche la proximité avec Poutine; Marion affirme une proximité avec le conservatisme et le populisme .....anglo-saxons. Elle incarne certes un conservatisme dur mais elle ne laisse aucune ambiguïté sur la rupture qu’elle représente avec toute fascination pour les régimes autoritaires. Quand elle exalte le sacrifice de soldats français, c’est pour vanter l’alliance entre la monarchie française et la république américaine naissante dans la Guerre d’Amérique. C’est la première fois depuis longtemps que le centre et la gauche devraient faire plus que de se limiter à des incantations contre le retour d’une droite dure. Nul ne sait si Trump durera mais, si tel était le cas, il trouverait dans Marion Maréchal-Le Pen un relais redoutable dans la « vieille Europe ».  Marine Le Pen et beaucoup de souverainistes français (Asselineau par exemple) pensent pouvoir dénoncer à la fois Washington et Berlin. Marion, elle, saisit l’occasion d’un tournant conservateur à Washington pour passer alliance avec Washington contre Berlin. Le centre et la gauche commetront-ils l’erreur habituelle à laquelle ils nous ont habitué au moins depuis les années 1930: confondre la détestation de l’adversaire et sa sous-estimation? 

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