Voilà comment le Danemark est devenu le seul pays occidental où la consommation d’anti-dépresseurs diminue <!-- --> | Atlantico.fr
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Une boîte d'antidépresseurs.
Une boîte d'antidépresseurs.
©JACK GUEZ / AFP

Modèle danois

La consommation d’antidépresseurs a augmenté de 37% dans 24 pays européens entre 2010 et 2020. Le Danemark est pourtant le seul pays où la consommation a diminué.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Atlantico : Entre 2010 et 2020, la consommation de pilules contre la dépression a augmenté de 37 % dans 24 pays européens. Le Danemark est le seul pays où la consommation a diminué, avec une baisse de 4 %. Comment expliquer ce constat ? Est-ce dû à une approche différente quant au traitement de la dépression ? 

Sauveur Boukris : La « dépression » peut se traduire de plusieurs manières. Il y a la maladie en soi, qui se manifeste souvent après un deuil : perte d’un emploi, d’un conjoint, d’un membre de sa famille… Les symptômes peuvent prendre différentes formes : lassitude, angoisses, perte d’énergie. Mais les conséquences peuvent être, dans les cas les plus extrêmes, bien pires.  

Il y a aussi ce que j’appelle un « mal-être dépressif ». Celui-ci est lié à l’environnement : social, professionnel, familial … Ce type de dépression est de plus en plus fréquent et cela pousse les médecins à prescrire des antidépresseurs, souvent à tort.  

Dans des pays comme le Danemark, où la qualité de vie sociale et professionnelle est l’une des meilleures au monde, il est logique que la consommation d'antidépresseurs soit moindre. À l’inverse, dans des pays où il y a plus d'inégalités et où les individus ne comprennent pas le sens de leur travail, le risque de mal-être est plus important. Dans ce cas, la prise d'antidépresseurs ne corrige pas le problème de fond, mais aide à mieux supporter les symptômes.  

Il y a effectivement au Danemark une approche différente quant au traitement de la dépression. Dans ce pays, le lien social est relativement fort et de nombreuses structures d’accueil permettent aux jeunes et aux moins jeunes d’être écoutés, ce qui permet d’éviter de nombreuses prescriptions. Je suis partisan de cette démarche, puisque je prône ce que j’appelle la sobriété médicamenteuse. De nos jours, et surtout en France, on prescrit trop d'antidépresseurs, trop d’antalgiques, trop d’antibiotiques. 

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Dans de nombreux pays nordiques, il faut se comporter selon certaines normes. Toute marginalité, toute excentricité est souvent mal perçue, ce qui entraîne un isolement, une mise à l’écart des individus. Chez de nombreux adolescents, et aussi chez les enfants, il existe souvent un état de spleen, de morosité. C’est un âge où on se pose des questions, ou on se cherche et où notre identité n’est pas fortement caractérisée. On passe donc par des humeurs très changeantes qui peuvent avoir des manifestations anxio-dépressives, ce qui pousse les médecins à la consommation d’anxiolytiques et d'antidépresseurs. Comme je l’expliquais précédemment, la dépression est une maladie de soi mais aussi une maladie de l’environnement. Les facteurs culturels sont très importants, et une société trop rigide avec des normes sociales strictes peut entraîner la marginalisation de certaines personnes qui se sentent différentes.  

Quels sont les risques liés à la prise d’anti-dépresseurs ? Sont-ils sous-estimés ?

Ils sont très fortement sous-estimés. La prise d’antidépresseurs est devenue banale, mais il existe un fort risque de dépendance et d’accoutumance. Ce sont des médicaments relativement efficaces et de nombreuses personnes, sentant les effets positifs, continuent la prise pendant des mois, voire des années, de peur de rechuter. On peut aussi constater une modification du comportement, ce qui peut créer chez ces individus un recul par rapport aux émotions. Il peut y avoir des comportements boulimiques, des résurgences d’anxiété … Ce sont des choses qui arrivent.  

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Le modèle danois est-il un exemple en la matière ? Faudrait-il s’en inspirer ?

C’est ce que je pense. Il faut retrouver dans les pays européens, et surtout en France, le goût de vivre. Il faut distinguer vie professionnelle, familiale et sociale. Quand on vit dans une société avec de grandes inégalités, si on travaille dans une ambiance basée sur la compétition où l’atteinte des objectifs, un plus faible nombre d’individus sera réellement épanoui. Tous ces facteurs créent la dépression. Pour traiter les problèmes à la racine, il faut intégrer ces éléments car cette maladie n’est pas qu’une fragilité personnelle mais une conséquence d’un mode de fonctionnement de la société.  

Enfin, les professionnels de santé doivent s’interroger plus longuement avant de prescrire divers médicaments, a fortiori des anti-dépresseurs. Comme au Danemark, il faudrait mieux communiquer à ce sujet, que ce soit entre professionnels ou avec les patients à risque. 

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