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Vladimir Poutine lors d'une visioconférence depuis le Kremlin.
Vladimir Poutine lors d'une visioconférence depuis le Kremlin.
©Alexey DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Guerre en Ukraine

Quelles que soient les évolutions militaires –elles seront fondamentales et saluons le courage de l’armée et du peuple ukrainien– Poutine perdra.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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Il a perdu la bataille du narratif ; sa diplomatie est en perte de vitesse ; il perdra sa propre opinion publique.

Il voulait faire croire à une lutte « contre le néo-nazisme et le génocide ». Le monde entier constate une guerre d’agressionet sans aucune justification crédible autre qu’un néo-impérialisme russe, contre une démocratie européenne. Le monde entier retient déjà les images d’immeubles civils, d’écoles et d’hôpitaux bombardés. On retiendra les images d’un président courageux défendant sa capitale au petit matin blême, et l’attitude exemplaire d’une population mobilisée et se mobilisant. On retiendra les distributions nocturnes d’armes, le panache des gardes de l’île aux serpents et le sang-froid du brave civil ukrainien proposant à des tankistes russes en panne de les remorquer jusqu’en Russie. Les opinions européennes et américaines sont quasi unanimes, maintenant, dans un soutien à l’Ukraine, soutien parfois teinté d’amertume et de regrets pour sa tardiveté et sa lenteur. Les tendances se sont renversées, les arguments d’ordre historique et géopolitiques avancés par Moscou sont devenus totalement inaudibles, car confrontés aux faits. En France même, et dans un contexte pré électoral, des politiques que l’on avait connus plus proches du maître du Kremlin s’en démarquent. Le narratif est perdu, à tout jamais. 

La diplomatie russe est en perte de vitesse. Elle est à bout de souffle, revancharde, ronchonnante, rabachante, maladroite et contre-productive. Tous ses thèmes éculés sont avancés sans conviction. Un modèle Gromyko mâtiné de Molotov s’épuise dans des diatribes d’un autre temps. En comparaison, même la diplomatie soviétique semble plus imaginative et active, notamment dans le domaine de la maîtrise des armements et de l’architecture de sécurité. Certes reste la méthode, qui n’a jamais été très subtile : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable ». Le MID nous a asséné pendant trois mois un concept « d’indivisibilité de la sécurité », pour rechercher maintenant l’insécurité et la divisionde l’Ukraine et l’Europe. La diplomatie russe est à la traîne du militaire, sans originalité ni inventivité. Elle a cependant réussi un tour de force : renforcer à la fois l’unité de l’OTAN et de l’Union européenne (avec la Hongrie), alors qu’elle visait précisément le contraire. Ses semonces et menaces impériales et impérieuses ont rapproché encore davantage la Finlande et la Suède de l’OTAN. Même la Chine commence à se désolidariser, à tout le moins on s’abstenant sur un projet de résolution condamnant la Russie. En juste 24 heures, la Russie a été suspendue du Conseil de l’Europe, l’Union européenne a adopté un paquet de sanctions sans précédent avec une gel d’avoirs de banques retirées de SWIFT, l’OTAN a décidé d’un déploiement de ses forces à ses frontières orientales, etla Russie a dû exercer seule son droit de veto pour éviter d’être condamnéeaux Nations unies. Rarement la diplomatie russe n’aura été aussi discréditée et isolée.

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Tôt ou tard, Poutine va aussi perdre son opinion, une opinion russe interrogative sur « l’encerclement de l’OTAN » et sans adhésion profonde au dessein impérial et aux projets militaires de son maître actuel contre des frères et cousins (83 % des Russes ont une appréciation positive des Ukrainiens selon le Levada Center). Des frémissements significatifs se font déjà sentir : une pétition rassemblant en 24 heures 700.000 signatures, des voix dissidentes et anonymes s’exprimant au MID, 200 journalistes se prononçant contre la guerre, dont la remarquable journaliste de Kommersant Elena Chernenko proscrite du MID de ce fait, une première de Novaya Gazeta en ukrainien et en russe « la Russie bombarde l’Ukraine », une pétition de 664 scientifiques, un chercheur respecté de l’IMEMO Sergey Utkin, des joueurs de tennis et la propre fille du porte-parole de la Présidence Peskovprenant publiquement leurs distances… Sans compter, dans un contexte policier renforcé, quelques premières manifestations courageuses chaque soirée dans les grandes métropoles, où ont déjà été arrêtées plus de 3000 personnes.

Ces mouvements sont encore balbutiants, et prenons garde à ne pas les surestimer. Pas à ce stade de mouvement massif anti-guerre, ni de grandes manifestations des années 2011, faute de leaders (aujourd’hui tués ou emprisonnés) et de libertés. Selon un sondage Levada de décembre, 50 % de la population russe pensait encore que les USA et leurs alliés étaient responsables de la dégradation de la situation avec l’Ukraine. Pour reprendre la remarquable analyse de la sociologue Anna Colin Lebedev, « l’effet TV », (totalement contrôlée par le pouvoir) l’emporte encore largement sur « l’effet frigo » (retour des corps de soldats russes et mouvement des mères de soldats). Ce dernier pourrait cependant se faire sentir vite, joint à « l’effet portefeuille » des sanctions. D’ores et déjà, les opérations militaires auraient fait en 48 heures 3000 victimes russes, selon le ministère ukrainien de la défense, ou à peu près 2000 selon le ministère britannique de la Défense. Si ce dernier chiffre était confirmé, ce serait déjà plus que l’ensemble des militaires américains tués au combat en Afghanistan. 

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Ces trois mouvements -perte du narratif, de la diplomatie et de l’opinion russes- sont à cristalliser, encourager et à conforter. Les interventions récentes de Boris Johnson et Jean-Yves Le Drian en russe à destination de l’opinion russe sont de bons précédents. Il convient aussi d’éviter écueils et contre-productivité, en faisant attention aux notions russes « d’agent de l’étranger »,aux effets pervers des sanctions sur la population, et à la crédibilité des inéluctables opérations militaires psychologiques (« New Age Psy-Ops »). A cet égard, les fermes de trolls et les capacités de propagande russes restent intactes, comme bien noté par le dernier conseil de défense français. Une diplomatie publique et digitale bien calibrée, ciblée et coordonnée aux niveaux nationaux comme européens, est àmême de soutenir les opinions russes.

Antoine Cibirskiest Diplomate européen, auteur de « la Grande Europa » (Cahiers de l’Herne sur Romain Gary) et de « Paradoxesdes populismes européens »

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