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Vladimir Poutine est censé quitter le pouvoir en 2024. Certains au Kremlin envisageraient un autre scénario
©Reuters

Passage de relais

Alors que Vladimir Poutine va rester au pouvoir jusqu'en 2024, la constitution russe lui interdit un énième mandat consécutif. Bien que Viatcheslav Volodine, le président de la Douma, ait évoqué une possible modification de la constitution, Poutine assure qu'il ne compte pas commencer un nouveau mandat.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Alors que Vladimir Poutine va rester au pouvoir jusqu'en 2024, la constitution russe lui interdit un énième mandat consécutif. Bien que Viatcheslav Volodine, le président de la Douma, ait évoqué une possible modification de la constitution, Poutine assure qu'il ne compte pas commencer un nouveau mandat. Cependant certains observateurs pointent la possibilité d'un scénario à la Kazakhe, où l'ex-Président Noursoultan Nazarbaïev a laissé sa place à un héritier qualifié de « fantoche », et officieusement continue d'avoir une grande influence sur le pays. Ce scénario est-il envisageable en Russie ? En quoi cela sera différent du mandat de Dmitri Medvedev ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : De prime abord, je soulignerais le caractère prématuré et purement hypothétique du débat quant à l’avenir politique de Vladimir Poutine. Peu avant l’échéance présidentielle de 2008, après deux mandats successifs de Vladimir Poutine, d’aucuns s’interrogeaient sur le futur de la Russie post-poutinienne, le contenu de sa politique étrangère, les points d’inflexion possibles. Ils expliquaient que le chef du Kremlin voulait insérer la Russie dans le monde occidental et, loin d’en faire une sorte de régime Potemkine, respecterait la lettre et l’esprit de la Constitution. Bref, Vladimir Poutine, une fois la Russie nouvelle mise sur orbite, était censé préparer sa retraite politique. Au fait des logiques profondes de l’homme et du système de pouvoir qu’il anime, d’autres envisageaient des scenarii plus ou moins sophistiqués : une révision constitutionnelle permettant à Vladimir Poutine d’obtenir un troisième mandat présidentiel ; une présidence de l’Union Russie-Biélorussie dotée de véritables pouvoirs qui le placeraient en surplomb et lui permettraient de superviser la direction politique et stratégique de la Russie. In fine, Vladimir Poutine a choisi la solution la plus simple et économe : un « roque » avec Dmitri Medvedev, celui-ci accédant à la présidence afin de préparer la réélection, quatre ans plus tard, de Vladimir Poutine. Dans l’intervalle, ce dernier dirigea le gouvernement tout en disposant de pouvoirs élargis par rapport à son successeur.

Ce précédent historique, depuis suivi par deux mandats présidentiels de six ans chacun (la Constitution a été révisée sur ce point), nous apprend qu’il faut s’attendre à tout. D’autant plus que depuis, toute référence au modèle occidental a disparu, Vladimir Poutine ayant affirmé qu’il existe une « voie russe » autonome et supérieure à celle des régimes constitutionnels-pluralistes d’Europe et d’Amérique du Nord. A bien des égards, cette « voie russe » à la mode Poutine est plus proche du despotisme asiatique mis en valeur par les courants eurasiens que du régime monarchique impérial russe à la veille de la Première Guerre mondiale. Dès lors, il importe de considérer avec attention la manœuvre à laquelle procède Noursoultan Nazarbaïev. Encore faut-il comprendre que ce « satrape », démissionnaire après trois décennies à la tête de son pays, ne jouit pas seulement de pouvoirs officieux. Rappelons d’abord qu’avant même son élection comme président du Kazakhstan, en 1991, Noursoultan Nazarbaïev avait été porté à la direction de cette république soviétique deux ans plus tôt, en tant que chef communiste. Par la suite, il a été élu et réélu avec des scores soviétiques, ses pouvoirs lui permettant de modeler les structures politiques, économiques et humaines de ce vaste « émirat » pétrogazier (cinq fois la superficie de la France pour dix-huit millions d’habitants). L’opposition officielle, i.e. celle qui est représentée au Parlement, est purement fonctionnelle (une apparence de pluralisme qui n’abuse personne).

Depuis 2010, la Constitution accorde à Noursoultan Nazarbaïev le titre de « père de la nation ». Ce qui apparaissait n’être qu’une « dignité », censée flatter l’ego de Noursoultan Nazarbaïev, pourrait désormais devenir une véritable fonction, au-dessus du nouveau président (Kassym-Jomart Tokaïev). Notre « satrape » conserve la présidence à vie du Conseil de sécurité du Kazakhstan ainsi que la direction du parti Nour Otan (le parti hégémonique fonctionne à la manière d’un parti unique, les autres n’étant que tolérés, afin de satisfaire à la loi de la variété requise). Selon la même logique, la fille du « père de la nation », Dariga Nazarbaïeva, a été placée à la présidence du Sénat. Il faut ici souligner que le nouveau président kazakh n’occupe cette fonction que par intérim : l’examen de la manœuvre en cours ne peut exclure un projet dynastique. Significativement, Kassym-Jomart Tokaïev a immédiatement changé le nom de la capitale du pays : Almata se nomme désormais « Sultan de lumière », ce qui est la traduction de Noursoultan. Mutatis mutandis, la fonction de « père de la nation »pourrait devenir quelque chose de comparable à celle de« Guide suprême » en Iran (l’Ayatollah Ali Khamenei), ce dernier surplombant le Président de la République islamique (Hassan Rohani). Certes, le régime kazakh n’est pas une cléricature politique, mais là n’est pas l’important. D’une part, le monde arabo-musulman a vu bien des régimes dits laïcs et séculiers se transformer sous la pression du phénomène religieux. D’autre part, la différence essentielle réside dans le caractère personnel et familial, voire héréditaire à l’avenir, du système de pouvoir au Kazakhstan.

Michael Eric Lambert : La constitution de la Fédération de Russie contraint l’actuel président, Vladimir Poutine, à ne pas se représenter lors des prochaines élections. Bien que contraignante en apparence, cette règle n’en reste pas moins facile à contourner comme ce fut le cas lors de l’alternance avec Medvedev en 2008-2012. En effet, il serait envisageable pour Vladimir Poutine d’occuper le poste de Premier ministre (“Président du Gouvernement”) en attendant de pouvoir se représenter pour deux nouveaux mandats.

Cette perspective n’en reste pas moins peu probable pour la simple raison que Vladimir Poutine semble prendre conscience de la difficulté exercer son poste en raison de son age (66 ans, né le 7 octobre 1952 à Leningrad).

Loin d’être un cas isolé, les leaders post-soviétiques, comme Nazarbaïev, affichent leur souhait de transition. Il est donc tout a fait envisageable de voir émerger un scenarii kazakh en Russie.

Par contraste avec Nazarbaïev, Poutine ne semble favorable à aucun candidat et a souhaité ne pas impliquer ses deux filles dans la vie politique du pays, marquant une rupture avec le Kazakhstan, la Biélorussie, ou encore l’Azerbaïdjan ou les dirigeants mettent en avant leurs enfants.

Il semble important de mentionner que le choix de promouvoir sa famille en politique n’est nullement propre à l’espace post-soviétique, et de rappeler qu’il s’applique également aux pays occidentaux comme le montre la récurrence de certaine noms en politique américaine et canadienne (Clinton, Bush, Trudeau), ce qui explique l’engouement occidental relatif à l’avenir de la famille Poutine en politique.

Au regard de ces paramètres, on pourrait donc assister à un choix des électeurs russes par défaut (Medvedev) aussi bien qu’à l’émergence d’un chaos politique lors des prochaines élections.

Reste à noter que d’ordinaire, à Moscou, une figure providentielle apparait souvent dans un contexte d’incertitude, à l’image de Poutine dont l’ascension fut fulgurante pendant les années 1990 passant d’officier du KGB au poste de Président de la Fédération.

Certains au Kremlin évoquent même une hypothétique annexion de la Biélorussie pour redorer la popularité de Poutine auprès des Russes, l'annexion de la Crimée en 2014 ayant eu cet effet.  Ce scénario est-il plausible ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Il n’est pas question d’une annexion, mais de la remise en scène d’un scénario politique évoqué dans les mois précédant l’élection présidentielle russe du 2 mars 2008 : la vitalisation de l’Union Russie-Biélorussie, présidée par un Vladimir Poutine en position d’éminence par rapport à son successeur. Nous avons vu plus haut qu’une autre voie avait été empruntée, le président russe (Vladimir Poutine) et son chef de gouvernement (Dmitri Medvedev) échangeant leurs fonctions respectives afin de préparer le retour du premier à la tête de l’Etat quatre ans plus tard. Un parfait exemple de cynisme politique qui à l’heur de plaire aux thuriféraires de la « Russie-Eurasie », en France et ailleurs (ceux-là mêmes qui divinisent le « Peuple » et expliquent que nous vivons en dictature). Toujours est-il que ce scénario politique invite à se pencher sur cette Union Russie-Biélorusse. En 1995, les deux pays ont constitué une Union douanière, prolongée par une Communauté Russie-Biélorussie l’année suivante, puis un traité d’Union (1997). Pourtant, les institutions prévues - un parlement unifié, une monnaie unique et un président commun - n’ont pas vu le jour, même s’il existe un Conseil suprême de l’Union russo-biélorusse. Au plan militaire, les deux pays sont liés via l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), mais leurs systèmes de défense ne sont que partiellement intégrés. La Biélorussie abrite deux bases de radars russes et Loukachenko a un temps proposé le déploiement de missiles Iskander, voire de S-300, en réponse à la défense antimissile de l’OTAN. En revanche, il a refusé l’intégration des défenses aériennes russes et biélorusses et le placement d’unités biélorusses sous le commandement de l’OTSC.

Au fil des ans et des crises politico-diplomatiques, la pression russe s’est appesantie (imposition d’une coopération militaire renforcée, jeu sur l’aide financière russe, utilisation du levier énergétique). Face à Vladimir Poutine et aux oligarques qui l’entourent, Alexandre Loukachenko, à la tête du Belarus (la Biélorussie) depuis un quart de siècle, entend maintenir une réelle autonomie politique. Ainsi a-t-il refusé de reconnaître la pseudo-indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, deux Etats-croupions satellisés par la Russie (Moscou a reconnu leur indépendance après la guerre russo-géorgienne, dite « des Cinq Jours », des 7-12 août 2018). A fortiori, Minsk n’a pas reconnu la validité juridique du rattachement manu militari de la Crimée à la Russie (mars 2014). Tout comme son homologue kazakh, il est extrêmement méfiant à l’égard des convoitises du Kremlin, du discours de Vladimir Poutine sur le « monde russe » et de la volonté du Kremlin de reconstituer une sorte de sphère néo-soviétique (la resatellisation d’une partie de l’ex-URSS, sans l’utopie communiste). Aussi Alexandre Loukachenko pratique-t-il une diplomatie oscillatoire entre Moscou et Bruxelles, sans pouvoir et vouloir s’engager sur la voie du « Partenariat oriental » et de l’association à l’Union européenne (il est évident que les critères politico-démocratiques ne sont pas remplis). Si le Bélarus est membre de l’Union eurasiatique mis en place par la Russie (2015), son chef a agi de concert avec Noursoultan Nazarbaïev pour en limiter la portée politique. Enfin, Alexandre Loukachenko préparerait une passation de pouvoir en faveur de son fils (l’ambition dynastique travaille nombre de régimes autoritaires patrimoniaux et dictatoriaux).

Au total, le scénario de l’Union Russie-Biélorusse comme planche de salut pour Vladimir Poutine, en 2024, ne va pas de soi. Alexandre Loukachenko se prêtera d’autant moins à une telle manœuvre, qu’il préparerait une passation de pouvoir en faveur de son fils. Pour ce qui est de l’annexion envisagée dans votre question, cela passerait par un conflit armé (« guerre hybride » ou autre) et le viol des frontières du Belarus, un Etat dont le régime est certes contestable, mais qui existe de plein droit sur le plan international. Une telle entreprise politico-guerrière aurait des implications gravissimes en Pologne, dans la Mitteleuropa (la partie de l’Europe entre Baltique, mers Noire et Adriatique) et dans toute la zone euro-atlantique. Si une telle perspective s’ouvrait à l’horizon, cela ne saurait être traité avec désinvolture, dans le registre « Trop fort Poutine ! ». Par ailleurs, la considération de ce « scénario » ne saurait distraire l’observateur des fragilités et de l’avenir du Kazakhstan, plus encore si la manœuvre politique de Noursoultan Nazarbaïev échouait. Ce dernier a utilisé le pouvoir sans partage dont il dispose afin de mener une « modernisation par le haut » ainsi qu’une diplomatie multi vectorielle. Les liens étroits avec Pékin (la question des Ouïghours et des Kazakhs victimes de la répression chinoise est ignorée) et l’ouverture diplomatique en direction des Occidentaux sont destinés à contrebalancer le poids de la Russie. Est redoutée l’instrumentalisation de la forte minorité russe de la partie septentrionale du Kazakhstan (entre le tiers et les deux cinquièmes de la population totale), voire un remaniement des frontières par voie armée. Peu après l’affaire de Crimée, Vladimir Poutine avait ironiquement félicité son homologue kazakh d’avoir su gouverner un Etat récent et artificiel, sans précédent historique au regard des frontières actuelles.

Michael Eric Lambert : À ce jour, il n’existe aucun intérêt ni aucun document officiel russe qui mentionne un éventuel rattachement de la Biélorussie à la Russie. Qui plus est, le cas de la Crimée est singulier dans la mesure ou les récents événements sont un retour sur les négociations au moment de la chute de l’Union soviétique.

La culture biélorusse se démarque de celle de la Russie, tant de par sa langue que de par ses traditions et son histoire complexe avec la Pologne et la Lituanie. Il n’y aurait ainsi aucun intérêt à rattacher les deux pays, d’autant plus que l’exclave de Kaliningrad assure la sécurité de la mer Baltique.

On note cependant un souhait de Vladimir Poutine de promouvoir l’Union Économique Eurasiatique dont il espérait qu’elle deviendrait, à son lancement en 2015, une Union eurasienne basée sur le modèle de l’Union européenne. Le Président russe aurait alors pu abandonner ses fonctions de Président de la Russie afin de se présenter comme Président de l’Union eurasiatique, une option qui ne semble pas parvenir à émerger et ce justement en raison de la singularité de la Biélorussie qui s’est refusée à envisager une union supranationale ou la Russie dominerait sur le plan politique.

Si Poutine en venait à ne pas désigner officiellement de successeur, les risques de divisions entre factions sont-ils importants ?  

Jean-Sylvestre Mongrenier : Ce n’est pas un risque, mais une réalité de tous les jours. Dans les démocraties libérales, la compétition entre partis politiques, groupes de pression et coalitions d’intérêts (électoraux et autres) est ouverte et assumée. L’idée consiste à canaliser ces conflits à travers les institutions, à poser une règle du jeu qui permette de les départager (le suffrage universel, tempéré par l’Etat de droit), afin d’éviter ce que les philosophes grecs du politique nommaient la « stasis » (la discorde au sein de la cité, voire la guerre civile). Au-delà de ce but négatif (éviter le pire), l’idée directrice vise à mettre la dynamique des ambitions et des conflits politiques au service du bien commun. Dans le cas d’un régime autoritaire patrimonial comme celui de la Russie (à tendance dictatoriale), quoiqu’en pensent les adulateurs des « hommes forts », il existe également une forme de politique politicienne - « la politica », distincte du politique compris dans son essence et son but supérieur : « lo politico » -, à base d’ambitions individuelles et d’intérêts matériels. Simplement, c’est une « politique du sérail » : les clans qui gravitent autour de Vladimir Poutine se disputent et s’affrontent à l’abri des regards, derrière les murailles du Kremlin. Du reste, le président russe a commencé sa carrière politique ainsi, son élection étant destinée à protéger les arrières de la « Famille » (le clan Eltsine). Avant de devenir le maître de cette politique du sérail, il en a été le produit et le bénéficiaire.

Il serait pourtant réducteur de voir dans le poutinisme un simple régime à caractère mafieux, animé par le seul esprit de profit et le partage des dépouilles, Vladimir Poutine assumant le rôle de « parrain ». Ce dernier ne constitue pas un « dictateur faible », écartelé entre les différents centres de pouvoir d’une polycratie russe, le discours unificateur du Kremlin sur la « voie russe », l’eurasisme, ayant pour fonction de dissimuler la réalité du système de pouvoir. Le régime russe repose sur une base sociologique (les « siloviki », issus des structures de sécurité, et l’héritage de la nomenklatura soviétique, reconvertie), une culture tchékiste du pouvoir, une vision du monde fruste (complotiste et obsidionale), mais robuste. Bref, il existe bien une classe dirigeante russe dont les contours dépassent les coalitions d’intérêts en rivalité ; un système de pouvoir qui a de la substance. Elle se caractérise par un style de gouvernement, la politique étant conçue comme une suite d’opérations spéciales (foi dans la manipulation, action à visage couvert, primauté de la surprise, volonté de terrasser celui qui est désigné comme ennemi, voire de le détruire). Tout cela pour dire que le « poutinisme » ne constitue pas une particularité s’expliquant par la personne de Vladimir Poutine (son idiosyncrasie). Inéluctablement, la question de la succession se posera et l’on peut penser qu’elle obsède d’ores et déjà la classe dirigeante russe. Cela n’ira pas sans conflits, ne serait-ce que parce que la politique s’enracine dans le conflit (Julien Freund : « Est politique ce qui est polémique »).

Le processus successoral impliquera la redistribution des postes, prébendes et rentes de situation entre les « clans », ce qui se traduira par des règlements de compte, une certaine instabilité dans les étages supérieurs de la « verticale du pouvoir » (institutions centrales et « corporations d’Etat »), tout comme au sein des « sujets » de la fédération russe (gouverneurs et dirigeants locaux). Toutefois, on peut penser que la culture tchékiste du pouvoir, les pratiques politiques usuelles ainsi que la vue-du-monde survivront à Vladimir Poutine parce qu’elles sont profondément enracinées dans la société et l’histoire russes, avant comme après la rupture de 1917. Aussi les dirigeants occidentaux auraient-ils tort de miser sur une libéralisation post-poutinienne et la montée au pouvoir d’un dirigeant « open minded », bien disposé à l’égard des voisins occidentaux de la Russie. D’autant plus qu’aux yeux de la classe dirigeante russe, la bascule des équilibres de richesse et de puissance vers l’Asie semble valider les intuitions géopolitiques de Vladimir Poutine. De même, le tangage et le relâchement des liens entre les nations occidentales, dans le cercle des libres nations. L’histoire de la Russie, appréhendée dans ses différents rythmes, l’étude des représentations géopolitiques de ce pays ainsi que sa posture stratégique et sa politique extérieure font songer à une sorte de « fatum ». La vague perspective d’un transfert de pouvoir à Moscou ne saurait donc justifier un quelconque relâchement de l’attention. Il faudra se préserver de l’illusion réformatrice et, tout en maintenant des canaux diplomatiques, ne pas baisser la garde.

Michael Eric Lambert : Aucunement. Le caractère autocratique de la Présidence russe s’explique de par la structure de la Fédération et son centralisme qui est la conséquence des difficultés géopolitiques environnantes. Le modèle soviétique de Lénine qui souhaitait faire la promotion d’une Russie avec une régionalisme fort correspondrait davantage à la réalité de l’espace eurasien (un modèle suisse en Russie) mais n’est pas parvenu a émerger aux XXème siècle.

Le problème de la Russie repose sur le centralisme de Moscou davantage que sur l’individu élu qui, in fine, se retrouve à adopter la ligne politique de ses prédécesseurs en parvenant aux mêmes conclusions. On constate dès lors que les leaders représentent une société mais n’en sont pas les auteurs.

Bien que souvent présenté sous un angle négatif dans les médias occidentaux Poutine incarne, malgré ses défauts, un exemple d’homme modeste qui est parvenu avec détermination et engagement à la fonction suprême, ce qui n’est pas le cas de Medvedev et d’une large majorité des personnes en politique russe contemporaine.

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, la transition de Poutine vers un successeur sera difficile pour les occidentaux plutôt que pour les russes et ce en raison du manque d’expérience d’hommes comme Medvedev qui n’ont jamais connu le dénuement et ne mettent pas l’identité au coeur de leur politique.

Pour clôturer cette interview, il semble important de mentionner la chaos ambiant qui sera celui de 2024, avec une Union européenne amoindrie (post-BREXIT) et une influence grandissante de la République Populaire de Chine en Europe Centrale et Orientale.

Tous ces éléments permettent d’envisager que le successeur de Poutine sera celui qui proposera le meilleur programme pour les relations sino-russes, seul paramètres qui puisse nous donner une indication pertinente sur le résultat des futures élections russes.

Une division entre factions en Russie semble donc peu pertinente pour la simple raison que la République Populaire de Chine ne le souhaite pas car cela irait à l’encontre des impératifs militaires et diplomatiques de Beijing, la Chine étant le seul pays à décider de l’avenir de la Russie en raison du déséquilibre commercial.

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