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Ce recruteur du Kremlin
qui fit vaciller l'Angleterre
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Le Roman de l'espionnage

Le XXe siècle fut le siècle de l'espionnage. Sorge, les "cinq de Cambridge", Farewell, le colonel Boris... Ces personnages de l'ombre, figures mythiques du renseignement, ont changé le cours de l'Histoire. Comme Arnold Deutsch, qui recruta des espions britanniques très utiles à l'URSS.

Vladimir Fédorovski

Vladimir Fédorovski

Vladimir Fédorovski est un ancien diplomate russe, porte-parole du mouvement des réformes démocratiques pendant la résistance au putsch de Moscou, d'août 1991. Il est aujourd'hui écrivain. Ses derniers ouvrages s'intitulent : Le Roman des espionnes ; Poutine, l’itinéraire secret et La Magie de Moscou, publiés aux Éditions du Rocher.

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Ce fut en Grande-Bretagne que se constitua un groupe légendaire – sans doute les indicateurs soviétiques les plus efficaces d’Occident : les « cinq de Cambridge ». Arnold Deutsch, leur principal recruteur, un Juif autrichien, se signala du reste comme l’un des plus illustres « grands illégaux » au service du Kremlin.

Son parcours universitaire était éblouissant. À vingt-quatre ans, il avait déjà reçu le titre de docteur de l’université de Vienne en s’imposant comme chimiste. Séduit par l’image révolutionnaire de l’État soviétique, il adhéra au parti communiste. Pour dissimuler cet engagement politique, il se présentait alors volontiers comme un religieux fervent, d’autant que son authentique intérêt pour la spiritualité ne l’avait jamais empêché de s’attacher avec enthousiasme aux principes marxistes.

Ses études achevées, il fut enrôlé comme « illégal » du Komintern. Ainsi le rencontra-t-on en Roumanie, en Grèce, en Palestine et en Syrie. Ses nombreux titres universitaires allaient dès lors servir de couverture à son activité dominante : l’espionnage.

Au début de l’année 1934, sur ordre du Kremlin, il s’installa à Londres. Ce brillant maître de conférences devint un familier des milieux universitaires les plus prestigieux. Afin de renforcer sa couverture, il suivit parallèlement des cours de troisième cycle en psychologie, tandis que sa femme achevait à Moscou une formation d’opérateur radio. D’ailleurs, elle ne tarda pas à le rejoindre dans la capitale britannique, où le couple assura promptement l’enrôlement de vingt agents et prit contact avec neuf autres.

Une stratégie simple et directe de recrutement fut la clé du succès de Deutsch. Les jeunes progressistes des grandes écoles, notamment à Oxford et à Cambridge, mobilisaient toute son attention. C’était en effet, comme nous l’avons vu, un cadre idéal pour approcher les futurs agents. Cinq jeunes diplômés de Cambridge –Anthony Blunt, Guy Burgess, John Cairncross, Donald MacLean et Kim Philby – formèrent ainsi le groupe le plus célèbre des recrues du Kremlin, qui parvint très vite à infiltrer les plus hautes sphères de l’administration britannique, à entrer au Foreign Office ou dans les services de renseignements.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Moscou les appelait « the Five », mais plus tard, après la sortie du western TheMagnificent Seven (les Sept Mercenaires), les agents soviétiques de Cambridge furent rebaptisés « the magnificent Five ».

Ce succès sans précédent s’explique par le fait que le profil de leur recruteur répondait parfaitement aux attentes des « cinq ». Deutsch était un professionnel de l’espionnage et aucun détail n’échappait à son regard perçant. Il lui arrivait souvent, par exemple, de feindre de quitter un lieu pour s’assurer que sa voiture n’était pas suivie et de rentrer ensuite en empruntant les transports en commun et en changeant plusieurs fois d’itinéraire. Tel un James Bond avant l’heure, il cachait les microfilms de documents secrets dans des brosses à cheveux, des nécessaires de voyage ou des ustensiles domestiques. La plupart de ses rapports destinés au Kremlin étaient écrits à l’encre sympathique.

Outre ces questions techniques, l’aspect psychologique revêtait pour Deutsch une importance primordiale. Il savait pertinemment que, pour les « cinq de Cambridge », la dimension sexuelle de leur vie était aussi essentielle que n’importe quelle analyse politique. En rebelles exaltés, ces jeunes Britanniques affichaient ostensiblement leur rejet des mœurs strictes héritées de la tradition victorienne. Burgess et Blunt étaient homosexuels ; MacLean, bisexuel ; Cairncross et Philby, hétérosexuels disons passionnés.

Un demi-siècle plus tard, Philby racontera, avec un lyrisme tout à fait inhabituel pour un agent secret, sa première rencontre avec son recruteur :

« C’était un homme merveilleux. Absolument merveilleux. La première chose qu’on remarquait chez lui, c’était ses yeux. Il vous regardait comme s’il n’y avait rien de plus important au monde que d’être là avec vous et de vous parler… »

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Extraits du Roman de l'espionnage, de Vladimir Fédorovsk, Éditions du Rocher (août 2011).

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