Vizille, le château des présidents d’avant<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Château de Vizille, dans les Alpes françaises, en mai 2011.
Le Château de Vizille, dans les Alpes françaises, en mai 2011.
©JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Bonnes feuilles

Pierrick Geais publie "L'Élysée à la plage : Dans l'intimité de nos présidents en vacances" aux éditions du Rocher. De Brégançon à l'île Maurice, de la Bretagne au Congo, en passant par Hossegor ou le cap Nègre, Pierrick Geais nous fait revivre les étés des présidents de la Ve République. Si leurs vacances s'apparentent à une mise en scène de leur vie privée, elles exposent aussi leur vision du pouvoir. Extrait 1/2. 

Pierrick Geais

Pierrick Geais

Pierrick Geais est journaliste. Il a publié "L'Élysée à la plage : Dans l'intimité de nos présidents en vacances" aux éditions du Rocher en 2021.

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À une époque où le sénateur Bellanger était encore l’heureux propriétaire du fort de Brégançon. Avant De Gaulle, les présidents français prenaient leurs quartiers d’été dans un tout autre endroit, loin de la Méditerranée et de son soleil. C’est au château de Vizille, situé en Isère, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble, qu’ils posaient leurs valises pour la belle saison. Gaston Doumergue est le premier à s’y installer, en 1925. Plus habitué à Rambouillet, qui a pour avantages d’être à seulement quelques kilomètres de Paris et d’offrir un parc giboyeux, ce président célibataire veut changer d’air. Les services de l’Élysée lui proposent alors d’aller passer quelques jours d’août à Vizille, dans ce château de conte de fées, tout droit sorti d’un livre de Perrault, qui jouit d’un parc de 100 hectares tout de même. En pénétrant dans cette bâtisse monumentale, faite de tours et d’ailes asymétriques, le président ne peut qu’être impressionné. Déjà, parce que le château de Vizille est complètement démesuré, mais aussi parce qu’il renferme entre ses hauts murs plusieurs siècles d’Histoire. Le 21 juillet 1788, il a notamment accueilli l’assemblée qui a inauguré la Révolution française. « Ce jour-là, 187 membres du tiers état, 49 du clergé et 159 de la noblesse se réunissent dans la salle du jeu de paume du château […] On y réclame notamment la restauration du parlement et la réunion des États généraux », explique l’historien Fabien Oppermann. Vizille a d’abord été la demeure personnelle d’un ancien président, Jean Casimir-Perier, avant d’être racheté par l’État en 1923, à la demande de plusieurs députés qui voulaient sauver ce monument menacé d’un inéluctable effondrement.

Ce 2 août 1925, Gaston Doumergue, éternel vieux garçon (il ne se mariera que douze jours avant la fin de son septennat), n’arrive pas seul à Vizille. Une trentaine de collaborateurs et de domestiques l’accompagnent. Si la France n’est plus une monarchie, c’est bien toute une cour itinérante que le chef de l’État emmène avec lui dans ses déplacements. Sous la Troisième République, puis la Quatrième, les vacances présidentielles sont certes plus longues, mais ne marquent pas une véritable pause dans la vie politique. Le président n’y a pas un quotidien beaucoup plus différent de celui qu’il mène à l’Élysée. La région est belle, entourée de montagnes et arrosée par la Romanche, mais Doumergue s’y ennuie rapidement. Six jours seulement après son arrivée, il reprend un train pour Paris, « après avoir laissé 1 000 francs aux pauvres de Vizille et 2000 francs à ceux de Grenoble ». Le président promet à la population locale de revenir très bientôt, mais à une condition : que le château soit rafraîchi et modernisé, il le trouve en effet trop austère. De grands travaux sont immédiatement lancés – ils dureront deux  ans  –, pour autant, Doumergue n’y reviendra plus jamais. Son successeur, Paul Doumer n’aura, quant à lui, pas le temps d’en profiter, puisqu’il sera assassiné dix mois après son élection.

En 1936, Albert Lebrun rouvre grand les portes de Vizille. Il investit le château avec toute sa famille : femmes, enfants, petits-enfants… Marguerite Lebrun, Madame la présidente comme on dit alors, est émerveillée par la bâtisse et son parc peuplé de cygnes blancs. Le 2 août, en le découvrant, elle note dans son journal : « Il a très grand air, c’est un monde; sous-sols énormes, cinq étages, combles. » Elle s’amuse de faire de « l’alpinisme à domicile », devant gravir « 77 marches jusqu’au perron, 109 jusqu’à sa chambre, et même 135 jusqu’à l’appartement de sa belle-fille Bernadette logée à l’étage supérieur ». Mme Lebrun s’est installée dans la tour ronde, où elle se sent « comme à l’Élysée ». Chaque jour, elle ne se lasse pas d’arpenter de long en large la roseraie et les immenses jardins, devant tout de même parfois se contraindre à arrêter ses flâneries pour recevoir à déjeuner les notables du coin ou le curé du village. Les vacances ont en effet leur lot d’obligations. Dès son arrivée en gare de Grenoble, le président est reçu par des officiels. De même à Vizille, où il se voit accueilli par un discours du maire, les bras chargés de bouquets que viennent de lui remettre quelques fillettes. Durant ses congés, il doit également se plier à plusieurs inaugurations, de barrages ou de musées, et à des déjeuners, avec des conseillers régionaux et des sénateurs. « Vraiment, jusqu’au bout, tout aura été une féerie », s’enthousiasme de son côté Mme Lebrun, après presque un mois de villégiature à Vizille. Elle revient d’ailleurs deux étés plus tard, en 1938. Toute la famille y loge du 30 juillet au 29 août. Ce second séjour est aussi le dernier pour les Lebrun puisque, un an plus tard, la guerre éclate. Ironie du sort, le président, démis de ses fonctions à Vichy au profit du maréchal Pétain, trouve refuge chez sa fille et son gendre, dans leur villa de Vizille, à deux pas du château.

Si le glas de la Troisième République a certes sonné, la Quatrième naissante conserve Vizille comme lieu de villégiature présidentiel. En 1947, Vincent Auriol y passe quelques jours d’été et s’émerveille de la beauté du parc où il fait quelques miraculeuses parties de pêche. Mais la demeure est, quant à elle, délabrée, par faute d’entretien pendant plus de six ans, et Mme Auriol préfère aller à Rambouillet. À sa suite, René Coty, élu en 1954, investit Vizille, plus que tous ses prédécesseurs. Il considère ce château comme sa résidence secondaire et y séjourne pas moins de cinq fois en quatre ans, parfois même plus d’un mois d’affilée. À tel point qu’il y entreprend de grandes rénovations, dont l’installation de deux ascenseurs. De quoi s’éviter l’alpinisme dont parlait Mme Lebrun. En 1957, il fait également réaménager les chambres et les salles de bains. Vizille a désormais tout le confort d’un grand hôtel. Coty réserve cette résidence républicaine aux retrouvailles familiales, avec ses deux filles et ses dix petits-enfants. Quand il séjourne au château, il ne travaille donc pas ou peu. Les journées sont rythmées par des promenades, des jeux, des lectures ainsi que des projections de films. Le président y reçoit tout de même quelques officiels, à l’instar de l’empereur du Vietnam Bao Dai et de son épouse, l’impératrice Nam Phuong. Comme Brégançon, plus tard, Vizille mêle ainsi savamment vie privée et vie publique. L’ambiance y est toujours plus détendue qu’à l’Élysée, même quand il s’agit d’y accueillir des dignitaires.

Après Coty, De Gaulle, arrivé au pouvoir en 1959, aurait donc pu s’installer dans ce château remis à neuf, avec tout le dernier confort. Mais le Général a des goûts difficiles. Il n’aime d’ailleurs aucun palais de la République, mis à part le Grand Trianon, à Versailles, qu’il compte un temps habiter à la place de l’Élysée. Le premier président de la Cinquième République se détourne donc rapidement de cette résidence dauphinoise, dans laquelle il ne dormira qu’une nuit, le 6 octobre 1960, à l’occasion d’un déplacement en Isère. Le Général organise alors un dîner où sont conviés quelques ministres, préfets, généraux et personnalités locales. La soirée est charmante, mais pas assez pour que De Gaulle s’attache à Vizille. Il n’y reviendra plus, préférant passer ses étés chez lui, à Colombey-les-Deux-Églises.

Extrait du livre de Pierrick Geais, "L'Élysée à la plage : Dans l'intimité de nos présidents en vacances", aux éditions du Rocher.

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