Vivian Maier : le temps retrouvé, ou « l’ontologie précaire »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le musée du Luxembourg consacre une exposition inédite consacrée à la photographe franco-américaine Vivian Maier.
Le musée du Luxembourg consacre une exposition inédite consacrée à la photographe franco-américaine Vivian Maier.
©Rmn-GP

Atlantico Litterati

Au Musée du Luxembourg se tiendra le 15 septembre prochain une exposition inédite consacrée à la photographe franco-américaine Vivian Maier, l’une des grandes artistes de l’image du XXème siècle. Un must.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

L’une des photographes les plus importantes du XXème siècle s’appelle Viviane Maier (1926-2009). Comme la new-yorkaise Diane Arbus(1923 -1971) Vivian Maier est une photographe de rue, mais son style n’a pas grand-chose à voir avec celui d’Arbus, qui produit souvent un choc visuel, un effet de surprise, quand Maier, au contraire, se sert de son Leica comme d’un stylo. Il y a de la littérature dans sa photo. Vivian Maier semblant en outre posséder un imaginaire européanisé (sa mère est française, son père autrichien) au contraire de Diane Arbus, artiste totalement américaine. Consciemment ou pas, Vivian Maier est en outre mue par un ressenti proustien du temps. C’est une voleuse d’’instant qui nargue le néant, quand le philosophe André Lalande définit l'instant telle cette « durée très courte que la conscience saisit comme un tout ».Vivian Maier, par la subtilité de son imaginaire, parvient sans effort apparent à arracher un certain laps de temps à l’oubli. Vous ne la connaissez pas très bien ? C’ est normal :Viviane Maier n’est pas très connue, du moins en France. La découverte de son œuvre est récente. Elle date de 2009, dans les jours qui ont suivi son décès à Chicago (voir les détails ci-dessous).

Stéphane Chaudier - professeur de littérature à l’université de Lille- rappelle que Roland Barthes, dans son livre la « Chambre Claire » (Point/Seuil) définit l’art photographique comme une « ontologie de la précarité ». En effet la photo nous fait percevoir la précarité des sujets, nous inclus. Il y a dans la photographie quelque chose qui, à peine créé, est déjà révolu, appartenant au passé, avec ce côté « jamais plus » de ce qui, existant à l’instant T, a été volé au néant. D’où le côté forcément mélancolique de l’art photographique, en particulier dans le domaine du portrait et de l’autoportrait, images consacrant le sujet dans sa fragilité spatiotemporelle. La photographie de rue est, de ce point de vue, le lieu d’une précarité exemplaire : la rue est un théâtre mouvant, dont les protagonistes -les passants, misérables ou fortunés, célèbres ou anonymes - étant des passants ne font que passer. Figurants immortalisés par le photographe de rue, ils eussent été souffrants, plus riches ou plus démunis demain, prisonniers, malades, morts pour certains d’entre eux, qui sait , sans l’artiste qui les a créés pour notre plaisir, leur attribuant ipso facto cette noblesse du sujet. Il y a de la beauté dans la précarité des paysages urbains et toutes ces déclinaisons de la condition humaine. C’est ce qu’a compris et toujours voulu « conserver » dans le sens premier qu’a ce mot Vivian Maier. Une « ontologie de la précarité «  : l’on ne saurait mieux définir l’œuvre de Vivian Maier. Pionnière « au double visage » (d’un côté simple gouvernante, de l’autre, grande photographe Vivian Maier est dite « généreuse » par certains, et «méchante» par d’autres. Ce qui est certain, c’est le génie de cette femme discrète, secrète : un personnage de roman.« Au cœur même des thématiques explorées par Vivian Maier, il y aun enjeu d’importance qui semble structurer toute son œuvre. C’est celui de la quête de sa propre identité à travers ses autoportraits. Ils sont nombreux et se déclinent sous de multiples variations et typologies, et deviennent un langage dans le langage. Une forme de mise en abîme du dédoublement ».Vivian Maier, solitaire et solidaire, est une femme aux deux visages, dotée d’une identité floue, mystérieuse, jamais tout à fait elle-même au fond, comme si pour préserver son inspiration, cet élan vital, l’artiste qu’elle était en secret avait toujours dû porter un masque invisible . Vivian Maier ne se confiait à personne, et, par exemple n’évoquait jamais (en particulier auprès de ses employeurs, qui la tenait pourtant en grande estime) ce qui fondait sa vie : sa passion pour la photographie, ses déambulations dans les rues de New York ou de Chicago,  avec recherche de sujets et prises de vues. Certains voient parfois en ses instantanés un choix politique. C’est mal connaître les maîtres de l’image. Les artistes ne sont pas des militants. Ils ont ce qu’un grand expert appelle « The Eye », ce radar que tout le monde n’a pas. Géants de la vision, ils visualisent tout.Nourrice et gouvernante des beaux quartiers de New York et de Chicago, Vivian Maier vivait modestement sans chercher le moins du monde le réconfort de l’amitié, ou celui de ces relations à tout le moins cordiales qui eussent été nécessaires à d’autres femmes. Des femmes isolées comme Maier le fut sa vie durant, dans sa prison d’employée de maison de la « high middle class » américaine, avec ces bourgeoises qui portaient des fourrures sur Park Avenue et des colliers de perles au « Russian Tea Room » . Vivian Maier gardait leurs enfants (mais ne fut jamais mère), exerçant son art pour ainsi dire en douce. L’artiste des rues de Manhattan ou du Lake Shore Drive de Chicago travaillait la plupart du temps en noir et blanc (elle se mit un temps seulement à la couleur puis revint au noir et blanc). L’observateur distingue tout de suite son sens graphique. Elle sait, en autodidacte instantanément douée, le cadrage, l’emplacement, les courtes focales, la proximité ou la distance, elle a comme le dit si bien l’expert en la matière « The Eye ».« Comme Albert Einstein qui était assistant de laboratoire pour avoir le temps de mener à bien ses recherches en parallèle de son travail, Vivian Maier exploite sa profession au profit de sa passion. En 1956, elle transforme sa salle-de-bain en chambre noire et commence à développer ses pellicules dont les 120 000 négatifs seront retrouvés en 2007. Œuvrant essentiellement en noir et blanc, elle passe à la couleur avec un Kodak Ektachrome 35mm puis utilise un Leica IIIc.Vivian Maier abandonne la photographie dans les années 1990 pour raisons financières. Elle est contrainte de vendre son matériel pour subvenir à ses besoins. Ses biens ainsi que toutes ses photos et pellicules encore non-développées sont placés dans un garde-meubles que John Maloof découvre en 2007, lors de sa vente aux enchères pour loyer impayé. Vivian Maier décède en avril 2009 suite à une chute » En avril 2009, John Maloof découvre dans un carton l’enveloppe d’un labo-photos portant le nom de Vivian Maier. Il apprend par un avis de décès paru dans le Chicago Tribune qu’elle est morte à l’âge de 83 ans. (cf. Wikipedia). « Vivian Maier « empoignait la vie qui était partout où elle portait son regard. Elle la saisissait par petites séquences, elle l’observait, elle la suivait. Elle l’attendait aux passages où elle hésitait, elle la rattrapait là où elle courait et où que ce soit, elle la trouvait partout aussi grande, aussi puissante et entraînante » « La singularité de son regard sur le monde : -paysages français (elle vécut souvent en France), rues de New York et de Chicago frappe les esprits. Sa mort dans la pauvreté chagrinera ceux qui vont découvrir cette singularité au Musée du Luxembourg. Qu’ils soient rassurés. Vivian Maier chérissait l’instant, ce « fragment d’éternité »qui fait la photo. Faisant confiance au temps, elle préférait l’art à la vie. Voici que le temps proustien lui rend la politesse.Vivian Maier nous a quittés mais sa gloire ne fait que commencer.

Vivian Maier, exposition organisée par « LRMN/Grand Palais » au Musée du Luxembourg 75006 PARIS(du 16 septembre au 8 janvier 2022) VIVIAN MAIER



A partir du mercredi 15 septembre 2021 au 16 janvier 2022. L’exposition Vivian Maier permet au public d’accéder pour la première fois à des archives inédites de la photographe, découvertes en 2007 : photographies vintages que Vivian Maier a pu tirer, films super 8 jamais montrés, enregistrements audio… L’exposition permet ainsi de saisir l’ampleur de cette œuvre, et de la replacer dans l’histoire de la photographie. Exposition organisée par la Rmn - Grand Palaiset « diChroma photography », en collaboration avec
la Collection John Maloof, Chicago et la Howard
Greenberg Gallery, NY.

Commissariat de l’exposition : Anne Morin

Lire et voir aussi :

À LA RECHERCHE DE VIVIAN MAIER, un film de John Maloof et Charlie Siskel

Vivian Maier: A Photographer Found, John Maloof · 2014

« Vivian Maier presents the most comprehensive collection and largest selection of the photographer’s work—created during the 1950s through the 1970s in New York, Chicago, and on her travels around the country (John Maloof/ HarpersandCollins/2014)

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