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La récente réorganisation interne du régime iranien témoigne également de cette nouvelle priorité accordée à la diplomatie.
La récente réorganisation interne du régime iranien témoigne également de cette nouvelle priorité accordée à la diplomatie.
©ATTA KENARE / AFP

Signaux positifs

Après cinq ans d’un divorce qui a rendu le Moyen-Orient plus instable, l’espoir d’une solution diplomatique entre l’Iran et l’Occident serait-il enfin en vue ?

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Après cinq ans d’un divorce qui a rendu le Moyen-Orient plus instable, l’espoir d’une solution diplomatique entre l’Iran et l’Occident serait-il enfin en vue ? En août 2022, Téhéran et Washington n’avaient jamais été aussi proches d’une résurrection du Joint Comprehensive Plan of Action. Efforts réduits à néant par les derniers désaccords irrésolus, mais surtout par la violente répression du régime iranien à l’encontre des manifestations qui ont secoué l’Iran durant trois mois, et par le soutien militaire accordé à la Russie en Ukraine.

Pourtant, Robert Malley, envoyé spécial américain pour l’Iran, a de nouveau exprimé son objectif de trouver une solution diplomatique durable au dossier du nucléaire iranien. Après plusieurs mois d’hésitations, l’administration Biden semble avoir changé son fusil d’épaule, face à la poursuite du programme nucléaire iranien et au risque d’escalade militaire entre l’Iran et Israël. Le secrétaire d’État Jake Sullivan admet aujourd’hui que le retrait unilatéral de l’accord engagé par les Etats-Unis en mai 2018 était une grave erreur, puisqu’il a entraîné la caducité de fait du traité sans aucune proposition alternative. Washington semble aujourd’hui à la recherche d’une telle solution.

En tout état de cause, le format « 5+1 » qui réunissait les Européens, les Etats-Unis, la Chine et la Russie lors des négociations ayant abouties à l’accord de 2015, ne sera plus d’actualité. Comprenant les difficultés inhérentes à un format extensif, Washington semble vouloir désormais demeurer dans un tête-à-tête diplomatique avec Téhéran, avec pour seule médiation « celle d’un pays tiers », vraisemablement Oman. Le conseiller de Joe Biden sur le Moyen-Orient s’était déjà rendu à Mascate début mai pour s’entretenir avec les autorités omanaises « des efforts que l’Iran serait susceptible de faire pour encadrer son programme nucléaire, et ce qu’il souhaiterait en échange ».

La récente visite d’État du sultan d’Oman et d’une large délégation ministérielle en Iran porte à croire que le petit royaume poursuit donc activement son traditionnel rôle d’honnête courtier entre les deux pays, comme il l’a déjà fait à maintes reprises par le passé. De fait, deux jours avant la visite de Haïthan ben Tariq à Téhéran, les autorités omanaises annonçaient la libération de trois prisonniers détenus en Iran (un ressortissant danois et deux Autrichiens) avec l’aide de la Belgique. Cette opération était un préalable indispensable au dégel des actifs iraniens estimés à 7 milliards de dollars et détenus en Corée du Sud, et Oman semble avoir activement négocié entre l’Iran et les Etats-Unis pour sa réussite. Le fait que cette première étape ait été franchie avec succès est donc un indicateur très positif d’une reprise du dialogue avec Washington. 

D’autres signes de détente se sont également manifestés ces dernières semaines. L’AIEA a ainsi estimé que l’Iran avait fourni des éléments de réponse suffisamment convaincants pour clôturer deux enquêtes sur la présence de particules nucléaires sur trois sites non déclarés, sujet qui empoisonnait les relations entre les deux parties depuis 2021. Ainsi, le dossier du site de Marivan, à quelques 500 km au sud de Téhéran, « est considéré comme étant réglé à ce stade », d’après un rapport confidentiel de l’AIEA. De même, sur la question de l’uranium enrichi à 83,7 % détecté sur le site souterrain de Fordow, l’agence atomique a estimé que les informations fournies par l’Iran, qui avait invoqué des fluctuations involontaires au cours du processus d’enrichissement, étaient compatibles avec ses propres observations. Malgré la poursuite de son enrichissement d’uranium, l’Iran s’attache donc à reprendre une coopération basée sur la confiance avec l’AIEA, notamment en réinstallant les caméras de surveillance de l’agence sur ses sites sensibles, comme il l’avait promis en mars dernier.

Ces signaux confirment l’efficacité de la dynamique positive conduite par l’Iran depuis le début de l’année 2023. Suivant une stratégie discrète, mais réfléchie et séquencée, Téhéran s’est activement engagé dans un processus de normalisation avec le monde arabe, dont la première et surprenante avancée a été la reprise des relations avec l’Arabie Saoudite, après une rupture de près de 7 ans. La levée de cet obstacle diplomatique de taille devrait aujourd’hui permettre à l’Iran d’engager un rapprochement semblable avec l’Egypte, avec laquelle les relations sont brouillées depuis 1979 – en raison de l’accueil réservé par Le Caire au Shah Reza Pahlavi en exil, de la normalisation des relations entre Israël et l’Egypte, enfin pour des raisons de rivalité idéologique après le succès de la Révolution islamique.

La récente réorganisation interne du régime iranien témoigne également de cette nouvelle priorité accordée à la diplomatie. A cet égard, l’éviction d’Ali Shamkhani, qui fut à la tête du Conseil suprême de la Sécurité nationale d’Iran durant 10 ans, a suscité de nombreuses interrogations. On lui doit en effet l’élaboration du Joint Comprehensive Plan of Action en 2015, et plus récemment, la reprise du dialogue avec l’Arabie Saoudite sous l’égide de la Chine. Mais des accusations de corruption à son encontre et ses possibles ambitions politiques lors des prochaines élections législatives en Iran, qui auront lieu en mars 2024, ont eu raison de sa carrière politique. Alors qu’Ali Shamkhani est réputé être l’un des membres les plus corrompus du régime iranien, et surtout accusé d’avoir tiré un important profit financier des sanctions américaines et d’un enterrement du JCPoA, son remplacement par un haut-gradé des Gardiens de la Révolution tend à démontrer que le Guide Suprême souhaite raviver le canal diplomatique avec les Etats-Unis et obtenir enfin une levée des sanctions qui bloquent toujours l’économie iranienne. Convaincu que la relance du programme nucléaire iranien à partir de 2020 a constitué un moyen de pression efficace, Ali Khamenei a salué la « flexibilité » stratégique de l’Iran, où les efforts diplomatiques ne seraient, selon lui, pas incompatibles avec le maintien des principes intangibles de la République islamique.

Si les vives tensions domestiques en Iran et le rapprochement russo-iranien ont considérablement ralenti l’avancée des négociations entre Téhéran et Washington, la question de la prolifération nucléaire n’en demeure pas moins vivace et menaçante pour l’équilibre du Moyen-Orient. Aujourd’hui, les priorités de l’administration Biden ont de nouveau changé. A défaut d’obtenir un nouvel accord contraignant, l’étude d’un encadrement alternatif susceptible de satisfaire les deux parties est un effort qu’on ne peut que saluer. Même si une normalisation en bonne et due forme entre l’Iran et les Etats-Unis est un idéal encore difficile à atteindre, la voie diplomatique semble aujourd’hui plus favorisée que celle de la dissuasion par la force : un choix de l’apaisement qui ne peut que profiter à l’équilibre régional et mondial.

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