Vers une “coalition plurielle” autour d'Emmanuel Macron ? Un plan B entre angles morts et déni de démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président français Emmanuel Macron marche avant de voter lors du premier tour des élections législatives dans un bureau de vote au Touquet, dans le nord de la France, le 30 juin 2024.
Le président français Emmanuel Macron marche avant de voter lors du premier tour des élections législatives dans un bureau de vote au Touquet, dans le nord de la France, le 30 juin 2024.
©Yara Nardi / POOL / AFP

Tambouille

Après les résultats du premier tour des élections législatives, Gabriel Attal a appelé à la composition d’une assemblée plurielle qui serait composée de différents partis politiques, en vue de bâtir une coalition et pour faire barrage au RN.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Après les résultats du premier tour des élections législatives, Gabriel Attal a appelé à la composition d’une assemblée plurielle qui serait composée de différents partis politiques, en vue de bâtir une coalition et pour faire barrage au RN. Au regard des forces que souhaite attirer Gabriel Attal vers la majorité (LR, centristes, PS, écologistes), cette assemblée plurielle est-il le dernier avatar ou exemple de la dérive du macronisme ? Le parti présidentiel et les forces politiques qui souhaiteraient rejoindre cette assemblée plurielle seront-ils assez nombreux en termes de députés et pourront-ils réellement peser politiquement ?

Eric Deschavanne : Après l’improbable plan A (le « sursaut » contre les extrêmes) et afin d’éviter d’avoir à mettre en œuvre le plan C comme cohabitation (avec le RN), Emmanuel Macron tente un plan B : il invite les électeurs du bloc central à voter « utile » contre le RN, quitte à voter LFI en se bouchant le nez, ce afin de rendre possible un gouvernement de coalition. Cette perspective paraît tout de même assez peu réaliste, compte tenu du poids que devrait avoir le RN et LFI dans la nouvelle Assemblée nationale. Il faudrait pouvoir compter sur la participation des députés LR et sur le « soutien sans participation » de LFI, deux improbables conditions de possibilité.

Le pari consiste à réaliser sous l’effet d’une double contrainte - le devoir moral de « faire barrage au RN » et la nécessité de former un gouvernement au sein d’une Assemblée sans majorité - ce qui n’a pu l’être lorsque le président avait une Assemblée à sa main (durant le premier quinquennat), ni, après 2022, lorsque disposant d’une majorité relative, celui-ci était encore en position de force pour proposer une coalition : à savoir, mettre en œuvre une véritable politique du « en même temps », et de gauche et de droite, sur la base d’un compromis entre des formations politiques de gauche et de droite. On verra ce qu’il en est, mais on a toutes les raisons de douter de la réussite d’un tel pari.

Le politologue Jérôme Jaffré disait du macronisme en 2017 qu’il était « une pyramide qui repose sur la pointe ». Lorsque la pointe craque, la pyramide s’effondre. Depuis sa réélection, Emmanuel Macron a toujours un coup de retard. Il lui fallait avant les législatives de 2022, notamment pour tenir compte de la « droitisation » de son électorat, nommer un premier ministre de droite : il a choisi, avec le résultat que l’on sait, le repli sur la macronie d’origine et l’inflexion à gauche. Après les législatives de 2022, il disposait encore d’une « Assemblée plurielle » qui lui permettait de former un gouvernement de coalition, à la condition toutefois de renoncer à « l’hyperprésidence » : il n’a fait aucun geste en ce sens, précipitant ainsi le désastre électoral actuel. Il affirme aujourd’hui consentir à une coalition dans laquelle les macronistes continueraient de jouer un rôle central alors que se reconstitue la bipolarisation gauche/droite. On assiste à la chronique d’un échec annoncé !

En quoi cette Assemblée plurielle n’a-t-elle pas réellement de sens politiquement au regard de la différence des projets politiques ou des réformes défendues par chaque parti qui sont parfois diamétralement opposées ?

Emmanuel Macron et Gabriel Attal proposent en réalité un retour de la macronie d’où elle vient, dans le bercail de la gauche. Le thème du « Front républicain » est un thème de gauche, un slogan que ce qu’il reste de droite de gouvernement ne peut plus se permettre de reprendre à son compte sans se suicider politiquement.

Le NFP et les macronistes sont d’accord sur l’idée de former un gouvernement de coalition dans le cadre d’une « Assemblée plurielle », mais il y a un obstacle majeur : les sociaux-démocrates du PS se sont engagés dans une alliance avec LFI et les écologistes (largement aussi radicaux, dans leur registre, que les insoumis), sur un programme économiquement délirant et, comme l’a dit le président lui-même, « immigrationniste ». Les modérés du NFP se trouveraient donc après l’élection face à un dilemme : trahir leurs engagements électoraux pour permettre à la France d’être gouvernée, ou bien exiger des centristes qu’ils se rallient aux axes du programme du NFP, ce qui exclurait d’emblée toute possibilité de compromis avec le centre-droit et LR. Il n’y aura à l’évidence pas d’accord « de LFI à LR », et la perspective de la reconduite d’une union des centres après l’effondrement électoral du bloc central paraît lunaire.

Ce projet d’Assemblée plurielle ne va-t-il pas apporter un sentiment de grande confusion chez les électeurs dans une période complexe au regard de la crise politique qui pourrait survenir en cas d’absence de majorité absolue ? 

Emmanuel Macron participe à son corps défendant à une « clarification » politique, laquelle n’est toutefois pas conforme à celle qu’il appelait de ses vœux. Il a dissous le bloc central en deux actes. Par la dissolution, il s’est « auto-bayrouisé » : conformément à ce qu’on pouvait attendre, les centristes se trouvent à l’issue du premier tour relégués à la troisième place, la place du mort dans une élection majoritaire à deux tours. Par sa proposition d’Assemblée plurielle, il renonce en réalité à l’alliance avec la droite. La seule traduction concrète possible de cette proposition est la reconfiguration d’une « gauche plurielle » élargie au centre. Une union de Mélenchon à Macron n’est après tout pas impossible : aux États-Unis, on appelle ça le Parti démocrate. La formation d’un gouvernement de coalition « anti-RN » aurait inéluctablement pour effet le retour à la bipolarisation de la vie politique, puisque le RN aurait alors le monopole de l’opposition. Avec ou sans majorité, le RN sortira vainqueur de ces élections : il apparaîtra, face à la nouvelle union de la gauche élargie au centre, comme le nouveau grand parti de droite.

C’est à mes yeux le grand paradoxe de cette démarche par laquelle Emmanuel Macron tente de sauver le bloc central : En solidarisant le centre avec la gauche, en cherchant à former une coalition dont l’épicentre serait le centre-gauche (l’aile droite de l’ex-PS donc), il referme la parenthèse ouverte en 2017, la parenthèse de la tripartition politique. On en parle encore peu, mais d’après les projections qui sont faites aujourd’hui, ce sont les survivants de la droite modérée qui seront en situation de jouer les arbitres. Il leur faudra choisir entre deux majorités : compléter la majorité relative du RN, ou bien s’agréger à la « majorité plurielle » que le président appelle de ses vœux.

La grande question est de savoir où est l’intérêt du pays. A mon sens, le président a raison sur ce point, il est dans la mise en place d’une politique qui s’écarte des « extrêmes ». Reste à savoir quelles sont les conditions politiques d’une politique « raisonnable ». Il existe deux voies possibles, le « cercle de la raison » et « la domestication des barbares ». La solution du « cercle de la raison » consiste à exclure les extrêmes du pouvoir, au moyen soit de l’hégémonie du centre, soit d’une coalition des modérés de droite et de gauche. L’inconvénient de cette voie est que l’opposition est ainsi confiée aux extrêmes, lesquels, en conséquence, incarnent les possibilités d’alternance.

L’alternative, à laquelle les sociaux-démocrates du PS se sont résignés en formant la NUPES, puis le NFP, et à laquelle se refusent pour l’heure encore les LR à droite, consiste à jouer le jeu de l’union des gauches et de l’union des droites. De telles alliances ne sont pas sans inconvénients, mais elles présentent aussi des avantages : réintégrer dans le jeu démocratique des pans de la société qui se sentent aujourd’hui exclus, et engager les populistes, les forces politiques qui se font écho aux mécontentements populaires, à modérer leurs ardeurs en intégrant les contraintes du réel.

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