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Le résultat des élections présidentielles américaines de 2024 pourrait-il être contesté ?
Le résultat des élections présidentielles américaines de 2024 pourrait-il être contesté ?
©ANDREW CABALLERO-REYNOLDS, JOSEPH PREZIOSO / AFP

Démocratie américaine

L’élection américaine de 2020 a été l’une des plus contestées. Donald Trump a entretenu l'idée que la victoire de Joe Biden avait été volée. Quel est le risque que ce type de contestation se reproduise ?

Olivier Piton

Olivier Piton

Olivier Piton est avocat spécialisé en droit public français, européen et américain. Il a collaboré auprès de trois ambassadeurs de France aux Etats-Unis sur les questions liées aux affaires publiques et aux relations gouvernementales. Il a créé et dirigé la cellule de stratégie d’influence de l’ambassade de France à Washington DC de 2005 à 2010. Il est le président de la Commission des Lois à l’Assemblée des Français de l’Etranger. Il est l'auteur de La nouvelle révolution américaine : la présidentielle américaine à la lumière de l'histoire (Plon, mai 2016).

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Frédéric Robert

Frédéric Robert

Frédéric Robert est Maître de Conférences en civilisation américaine à la Faculté des Langues de l’Université Jean Moulin (Lyon III).

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Atlantico : L’élection 2020 a été l’une des plus contestées de l’histoire américaine. Trump a passé beaucoup de temps à entretenir l’idée que la victoire de Biden avait été volée. Quel est le risque que ce type de contestation se reproduise ?

Olivier Piton : Ce risque est énorme. Aucun des problèmes soulevés en 2020 n'a véritablement été résolu en 2024. Je ne parle surtout pas de fraude puisqu'à chaque fois qu'il y a eu une action en justice qui a été intentée, elle a été déboutée. Donc il n'y a pas de fraude avérée légalement. Mais s'il n'y a pas de fraude, cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas un certain nombre de dysfonctionnements qui peuvent parfaitement se reproduire à l'occasion des élections de 2024. A titre de comparaison par rapport au système américain, en France lorsque vous allez voter, il y a une unicité de lieu, vous allez voter dans une urne traditionnelle dans un bureau de vote. Aux Etats-Unis, ce n'est pas forcément le cas. Des urnes sont itinérantes et il est possible d’aller voter dans des urnes qui se trouvent au coin de la rue. 

En France, l’élection dure une journée. Personne ne vote avant et après. Ce n'est pas le cas aux États-Unis. Il y a un certain nombre d'États dans lesquels il est possible de voter plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant l'élection elle-même. Cela pose un problème d'égalité devant l'information et sur la perception qu’il est possible d’avoir sur les candidats. 

Il est obligatoire en France de déclarer votre identité lorsque vous allez voter. Aux Etats-Unis, cela n'est pas forcément le cas au motif de ne pas créer de stigmatisation et de discrimination. Dans un certain nombre d'états, il n’est pas obligatoire de donner son identité et son domicile. 

En démocratie, il y a deux lois d'airain qui sont indispensables pour que le système fonctionne. Le premier point crucial est que la majorité qui est élue ne doit pas en profiter pour asservir la minorité, sinon cela s'appelle une dictature. La deuxième loi est que le perdant accepte le principe de sa défaite. 

Aux Etats-Unis, les lois électorales sont des lois locales. Chaque état a sa propre législation électorale. La confiance dans le système électoral est extraordinairement faible pour un pays démocratique. Tous les observateurs et les commentateurs sont restés focalisés sur 2020 et l'élection présidentielle, mais il y a aussi eu des élections locales de gouverneurs, des sénateurs, de la Chambre des représentants qui ont aussi fait l'objet de contestation.

En 2024, aucun des problèmes rencontrés lors des précédents scrutins n'a été réglé, aucun de ces possibles dysfonctionnements n'a été résolu. Si jamais les deux candidats sont au coude à coude et qu’il y a l'un des candidats qui refuse sa défaite, cela s’apparente aux mêmes conditions qu’en 2020.

Frédéric Robert : Cela ne devrait pas se reproduire.  

Chaque parti va employer une armée d’avocats et de scrutateurs pour s’assurer que le processus électoral sera bien respecté. Tout va être cadré surtout dans les « swing states » qui seront rapidement connus et qui décideront immanquablement du sort du scrutin du 5 novembre. En outre, les élections de 2020 avaient connu un nombre important de votes par correspondance à cause de la COVID-19, ce qui ne sera pas le cas cette année.

En 2021, d’après le Bureau du Recensement américain (Census Bureau), en 2020, 43% des votants américains avaient accompli leur devoir soit par courrier, soit bien avant la date du scrutin pour 23% d’entre eux, soit 69.4% en tout (en 2016, ce pourcentage était de l’ordre de 40.1%), ce que le Bureau appelle des votes « non-traditionnels »). 37% des pro-Trump votèrent physiquement en 2020 contre 17% des pro-Biden…

Dans tous les cas, le perdant se sentira lésé et mettra en avant des dysfonctionnements dont il a été victime, à tort ou à raison, et les problèmes qu’il a pu rencontrer pendant toute la campagne (la désinformation, la déstabilisation…)

Quelles ont été les mesures et les procédures qui ont été prises par les Etats pour tenter de limiter ce risque ?

Olivier Piton : Les machines pour voter aux Etats-Unis permettent de voter pas uniquement pour le président des États-Unis. Les citoyens votent aussi dans leur Etat en général pour le gouverneur et pour un certain nombre de représentants parlementaires jusqu'au shérif. La liste le jour du vote est très longue et la machine pose problème.

Chaque Etat ayant sa propre loi électorale, chaque majorité cherche à prendre l'avantage par le découpage électoral des comtés, mais également par les mises à disposition de situations de vote qui peuvent apparemment leur être le plus favorables. Dans les États démocrates, il n'y a aucune restriction sur l’identité à fournir notamment. Les démocrates comptent davantage sur le vote des minorités. Il y a beaucoup plus de restrictions dans les Etats républicains pour des raisons exactement inverses.

En 2000, le contentieux entre Al Gore et George W. Bush avait marqué les esprits. Si vous comptez le nombre d'élections entre 2000 et 2024, Il y a eu sept élections présidentielles. Avec un litige en 2000, en 2020 et potentiellement en 2024, il y aura eu trois élections sur sept qui posent problème dans l’histoire récente. Cela représente un énorme problème pour le système démocratique. N'importe quel système démocratique ne peut pas survivre durablement à une telle perte de confiance dans le système électoral lui-même.

Quelle confiance les Américains ont dans leur système électoral ? 

Olivier Piton : Le niveau de confiance est faible. Depuis 2020, une part de l'électorat républicain, à plus de 60 %, considère que Donald Trump n'a pas perdu l'élection de 2020 et qu'il a été volé. Le système judiciaire américain, selon l'électorat de Donald Trump, est partie prenante et ultra politisée dans le but de nuire au principal candidat de l'opposition. La justice aux États-Unis est infiniment plus politisée en France puisque vous avez deux types de juges et des juges qui sont élus. Les procureurs sont nommés par le pouvoir pour investiguer et pour mener une enquête à charge. Des magistrats nommés par le pouvoir en place ont enquêté à charge sur Donald Trump pour l'empêcher de se présenter. Si on parlait de la Chine, de la Russie ou de n'importe quel pays dit de la démocratie libérale, tout le monde ferait des bonds. Comme on parle des Etats-Unis, cela ne pose pas de problème. Surtout que Donald Trump a une image déplorable en particulier en Europe occidentale. L’électorat de Trump considère que la justice est politisée.

Frédéric Robert : La confiance de plus en plus faible. Environ 48% des Américains estiment qu’un candidat perdant mettra tout en œuvre pour renverser un résultat de scrutin, ce qui est inquiétant. D’après un sondage de 2021 effectué juste après la prise du Capitole, environ 59% des Américains s’estimaient confiants envers leur système électoral. En 2022, un autre sondage montrait qu’ils n’étaient plus que 42%... On serait descendu actuellement aux alentours des 20%...

Début 2021, environ 90% des Démocrates estimaient que le résultat des élections reflétait bien la décision du peuple, ce qui peut se comprendre… Ils n’étaient plus que 57% en 2022.

Chez les Républicains, seuls 13% avaient confiance en leur système électoral en 2022 (ce qui peut se comprendre là aussi) et près de 60% n’avaient aucune confiance en lui (sondage ABC/Ipsos). Selon le même sondage plutôt alarmiste, seulement 20% des Américains considéraient que leur système électoral était intègre en 2022.

Comment sont vues les procédures judiciaires qui visent Trump par ses supporters ?

Olivier Piton : La base des soutiens de Donald Trump est solidifiée par le sentiment d'une profonde injustice du fait que, selon eux, l'Etat, la majorité démocrate et l'administration Biden au pouvoir agissent pour tenter de disqualifier judiciairement Donald Trump. Cela nourrit la perte de confiance en la justice. Le processus électoral contribue à la défiance qui crée le clivage, alimente les tensions et engendre la haine. Ce sentiment de haine pourrait aboutir à des possibles troubles à l'ordre public. 

Frédéric Robert : Les Trumpistes purs et durs considèrent ces procédures judiciaires comme du harcèlement fomenté par le camp démocrate.

·  Affaire Stormy Daniels (date du procès mars 2024 dans l’État de New York).

·  Les documents classifiés (procès en mai 2024).

·  La prise du Capitole du 6 janvier 2021 (procès en mars 2024).

·  Ingérence électorale (l’État de Géorgie dans lequel Trump avait essayé de faire invalider les résultats ; l’affaire compte 13 chefs d’accusation) probablement pendant l’été 2024.

À l’inverse, les Républicains s’étonnent du laxisme de la Justice envers les Démocrates :

·  L’affaire des e-mails d’Hillary Clinton en 2016.

·  L’affaire Hunter Biden et la célèbre perte de son ordinateur portable au contenu compromettant pour lui et sa famille.

·  Les liens personnels et financiers entre les Biden et l’Ukraine

·  La découverte de documents top-secret que Biden avait gardés dans sa résidence du Delaware alors qu’il n’était que Vice-Président… (seul le Président peut éventuellement le faire).

Ces affaires n’ont pas la même couverture médiatique que les affaires de Trump car selon les Républicains, la presse « mainstream » est pro-démocrate ; il en va de même pour la Justice.

L’élection de 2024 fait-elle peser un danger sur la démocratie américaine ?

Frédéric Robert : Non ! Il est trop facile de brandir la démocratie comme un épouvantail !

« Je gagne, je protège la démocratie, je perds, la démocratie est en danger ! »…

C’est du chantage affectif à la démocratie !

Elle est souvent mise en avant par les candidats afin d’effrayer les foules et de s’attirer les suffrages, se posant ainsi en garant des principes démocratiques ancestraux à des fins électoralistes personnelles.

Dès les résultats de SuperTuesday tombés, Biden a déclaré que Trump était une « menace pour la démocratie » !... Il l’a déjà fait à maintes reprises…

C’est de bonne guerre ! Quant à lui, Trump estime que Biden « détruit la démocratie » !...

La démocratie américaine sera toujours bien en place le 6 novembre 2024 puis le 20 janvier 2025 après l’investiture du vainqueur.

Olivier Piton : Si jamais le candidat perdant refuse de reconnaître sa défaite, il est tout à fait possible qu’il y ait du chaos dans le pays. Les Etats-Unis sont plus divisés que jamais. Les citoyens déménagent pour aller vivre dans des Etats dont ils partagent les valeurs. Les libéraux, les démocrates se retrouvent dans les États comme la Californie, l’Etat de New York, la Nouvelle-Angleterre. Les conservateurs se retrouvent en Floride, au Texas et au centre du pays. Le chaos est tout à fait possible si jamais, en 2024, la contestation du perdant est avérée et qu’il refuse sa défaite, sachant qu'aucune des conditions qui ont permis les troubles de 2020 n'ont été réglées.

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