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Velléités de rachat de Yahoo! par le Dailymail : et si on assistait enfin à un rééquilibrage du rapport de forces entre géants du web et entreprises traditionnelles ?
©Reuters

David et Goliath

Le possible rachat d'un fleuron du web par un média traditionnel donne tort aux prophéties qui prévoyaient le remplacement des entreprises traditionnelles par leurs concurrentes numériques : réactives, ces premières se diversifient, profitent du ralentissement inévitable de la croissance des secondes pour organiser un nouvel écosystème économique orienté vers la synergie et le coopération.

Christopher Dembik

Christopher Dembik

Avec une double formation française et polonaise, Christopher Dembik est diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Institut d’Economie de l’Académie des Sciences polonaise. Il a vécu cinq ans à l’étranger, en Pologne et en Israël, où il a travaillé pour la Mission Economique de l’Ambassade de France et pour une start-up financière. Il est responsable de la recherche économique pour le Groupe Saxo Bank. 

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Atlantico : La société mère du quotidien britannique The Dailymail a récemment confirmé mener des discussions avec des fonds d'investissement pour racheter Yahoo!. Cette démarche s'inscrit dans une stratégie de diversification de ses activités. Assiste-t-on à un rééquilibrage entre les médias traditionnels et les géants du web tels que Yahoo! qui diffusent leur contenu ?

  1. Christopher Dembik : On a longtemps cru que les médias traditionnels étaient finis du fait de la concurrence des nouveaux acteurs du web. La démarche du Dailymail, qu’elle aboutisse ou pas, montre que nous avions tort. Les médias traditionnels ont une capacité d’adaptation importante et ont compris la nécessité de proposer une offre en adéquation avec l’ère de l’Internet et de diversifier leurs activités. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont toujours un problème de rentabilité qu’il faudra résoudre.

  2. Ils n’ont pas trouvé de business model viable à long terme, mais cela vaut aussi pour les médias numériques. Payer l’information, même de qualité, n’est pas la bonne voie à suivre. Cela ne fonctionne généralement pas. La diversification, proposer de nouveaux services, est certainement la meilleure solution. Entre-temps, très souvent, les médias, qui bénéficient également de financements publics, font le choix de s’adosser à des grands groupes de l’économie traditionnelle. La France est un bel exemple en la matière. Le modèle du tout-gratuit a des limites évidentes et celles-ci s’appliquent aussi bien aux médias traditionnels qu’aux médias du web. C’est un point commun fondamental pour comprendre la dynamique en cours au sein des médias.

Depuis les années 1990, Internet permet à de jeunes entreprises de concurrencer des entreprises ou des marchés traditionnels, non sans réaction de la part de ces derniers (librairies indépendants concurrencées par Amazon, taxis et Uber pop...). D'un point de vue général, quelle évolution des rapports entre secteurs traditionnels et géants du web peut-on observer ?

On a tort de mettre en opposition la nouvelle économie, celle de la troisième et de la quatrième révolution industrielle, et l’économie traditionnelle alors qu’elles sont complémentaires. Il y a effectivement eu concurrence entre ces deux pans au cours des dernières années mais tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que les deux vont à l’avenir coexister, coopérer et fusionner.

En la matière, le meilleur exemple est certainement celui du secteur bancaire. On évoque souvent le fait que les fintech [combinaison des termes "finance" et "technologie", l'expression fintech désigne les entreprises innovantes qui utilisent la technologie pour repenser les services financiers et bancaires : banque en ligne, paiement mobile, financement participatif NDLR] vont ubériser les banques de réseau, qu’elles vont finir par les remplacer.

Il n’y a rien de plus erroné ! Premièrement, les banques ont suffisamment de cash pour faire face, même dans un contexte dégradé du fait du renforcement de la réglementation. Deuxièmement, que ce soit du côté des banques ou des fintech, tous ont compris qu’ils vont devoir coopérer. Le scénario d’une disparition de l’un au profit de l’autre est plus qu’improbable. On a pu lire ici et là que Facebook pourrait un jour offrir tous les services d’une banque.

C'est complètement aberrant car un acteur du web n’a certainement aucun intérêt stratégique à se plier à la législation stricte qui encadre l’activité bancaire. En outre, n’oublions pas que les banques ne sont pas passives face à l’essor des nouvelles technologies. Elles peuvent racheter des start-up ou développer en interne l’innovation, bien que ce soit compliqué en raison d’importantes rigidités. A cet égard, il y a de belles success story comme celle des caisses régionales de la Banque Populaire qui accompagnent les start-up au niveau local, adaptent leur offre au nouvel environnement numérique et s’adaptent aux besoins des clients avec des agences "intelligentes". Il est également possible que les banques se recentrent sur certaines activités plus rentables et que d’autres soient laissées aux fintech.

Le processus de destruction créatrice, comme il a pu être mis en lumière par l’économiste Joseph Schumpeter, n’implique pas systématiquement la disparition des acteurs traditionnels. Il y a mutation, fusion afin de créer un nouvel écosystème économique. C’est justement ce à quoi on assiste.

Quelle incidence ce nouveau chapitre peut-il laisser deviner en termes d'innovations ou d'expérience utilisateur ? Va-t-on assister à un tassement des investissements dans les start-up par exemple ?

Nous n’avons certainement jamais connu un cycle d’innovations aussi rapide, et rien ne semble en mesure de l’arrêter. Il y a une volonté d’adaptation réelle aux besoins des utilisateurs, on parle de maximiser l’expérience utilisateur, qui est pris en compte aussi bien par les acteurs traditionnels que par les acteurs nouveaux. Facilité, rapidité, personnalisation sont les maître mots de cette démarche. C’est unanimement positif. Ce processus ne devrait pas être stoppé par le tassement inévitable, à l’avenir, des investissements dans les start-up.Il y a eu un flux d’argent sans précédent depuis quelques années - en particulier des sociétés de capital-risque - canalisé vers les start-up, ce qui a permis l’émergence d’une myriade d’acteurs présents sur le même créneau, la même niche.

Pour qu’il y ait rentabilité, il faudra à terme qu’un processus de fusion-acquisition se mette en marche au niveau des start-up, avec l’appui éventuel d’acteurs traditionnels. Mais c’est encore trop tôt. Nous sommes encore en pleine ébullition. Les start-up se créent à tour de bras, souvent aidées par l’Etat, comme en France avec l’aide de la BPI. Le contexte économique, marqué par les taux bas qui facilitent l’accès à l’emprunt, et le fort taux de chômage qui peut inciter à l’entrepreneuriat, sont aussi des points qui jouent en faveur du développement des start-ups.

Il ne faut pas, enfin, se voiler la face : à ce jour, il est difficile de faire un bilan économique objectif de l’impact du numérique en termes de créations de richesse et d’emploi. Les start-up qui voient le jour ne semblent pas (encore) en mesure d’être un outil de lutte contre le chômage de masse. De plus, il y a eu des excès, il s’agit en l’occurrence des start-up valorisées plusieurs millions de dollars en bourse et qui affichent une faible rentabilité. Il y aura des faillites. Lorsqu’une nouvelle économie émerge, elle créé toujours des bulles qui finiront tôt ou tard par éclater. La même chose se produira pour l’économie numérique.

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