Urgences : cette tempête parfaite qui fond sur la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Les services d'urgences souffrent à travers le pays.
Les services d'urgences souffrent à travers le pays.
©MARTIN BUREAU / AFP

Diagnostic

Confrontés à un manque de lits et de personnel, près de 130 services d'urgences répartis dans une soixantaine de départements font face à d'importantes difficultés, les forçant à limiter leurs activités. La France va connaître une pénurie de soignants pour plusieurs années. Les solutions connues ne peuvent apporter des améliorations que très progressivement.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Faute d'avoir adapté le système public de soins aux défis de la modernité nous en sommes à pallier les dysfonctionnements services par services, hôpital par hôpital, personnel par personnel. Une stratégie chaotique qui tient du colmatage temporaire. Ces temps-ci ce sont les urgences qui attirent l’attention médiatique car de nombreux services sont fermés dans les hôpitaux publics. Il peut s'agir de fermetures partielles, complètes ou bien de fonctionnement en mode “dégradé” comme on peut le lire dans les communiqués ou récemment “adapté” c’est à dire fermés partiellement sans le dire, un sommet de la novlangue ARS (Agence Régionale de Santé). Ces dysfonctionnements sont exploités politiquement de manière plus ou moins sincère ce qui n’aide pas à comprendre. La réalité est pourtant facilement observable. Ce qui doit être expliqué aux Français c’est que nous entrons pour plusieurs années dans une pénurie de soignants. Les solutions connues ne peuvent apporter des améliorations que très progressivement. Dans le contexte actuel il ne peut s’agir de solutions basées sur des embauches car les candidats n’existent pas. Les politiciens qui promettent d’embaucher des milliers ou des dizaines de milliers de soignants se moquent des citoyens. Il est singulier que la lecture de la presse européenne dans les pays où des difficultés similaires se font jour avec peut être moins d’acuité ne laisse pas de doute: les propositions démagogiques sont écartées de manière rationnelle par l’évidence des nombres et des flux. Nombre d’années de formation, nombre de places en formation, flux entrant en première années de médecine et en première année d’études d’infirmières, flux sortant pour l’exercice clinique ou une activité administrative, flux sortant dans le cadre de la grande démission ou des départs vers le privé ou l’étranger… Dans notre pays, une partie de la classe politique se singularise par le déni de cette réalité.

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LE CONSTAT

Il est difficile à établir quantitativement car le reporting est très imprécis dans le système hospitalier. Les ARS ont des données qui ne sont pas ouvertes. Soit elles n’en sont pas certaines, soit elles ont reçu l’ordre de ne pas les divulguer. Disons le en passant nous avons besoin d'un système de statistiques en temps réel performant et ouvert. Dans le domaine de la santé c’est impératif et la pandémie nous l’a rappelé. C’est pourquoi il faut reconnaitre qu’un progrès a été fait avec les data pathologies qui viennent d’être mises en ligne. Rappelons que ce projet est très ancien et avait fait l’objet d’une mission auprès du premier ministre François Fillon. Pour résumer, la mission avait décidé de se saborder devant le refus de la Sécu de coopérer. J’ai examiné avec intérêt ce premier jeu de données. Toutefois je n’ai pas pu tracer les passages aux urgences par pathologies dans les données mises en ligne mais nul doute que sur cette lancée nous allons pouvoir rapidement en disposer. Pour revenir strictement aux urgences, ce qui est certain c’est que plusieurs dizaines d’hôpitaux et dans une moindre mesure des établissements privés ont des difficultés à faire fonctionner leur service d'urgences 24 heures sur 24. C’est inédit. Sur “les 620 services que compte le pays, au moins 120 ont fermé partiellement” apprend-on à la faveur d’une interview du conseiller santé du président de la république. Mais bien sûr pas une seule carte de géolocalisation sur le site du ministère ou des ARS. Comme l’été est là, la migration des populations va déplacer la demande sur les lieux de villégiature qui n’ont en général pas de dispositif dimensionné pour y faire face. Cette situation dure depuis des décennies. Tous les praticiens le savent l’été on ferme des salles d’opération, des plages d’imagerie depuis des décennies et ce indistinctement. C’est adapté dans les territoires où la population en période estivale diminue, c’est dangereux dans les autres. Les réunions de crise à ce sujet n’aboutissent pas car les directions veulent aménager et les syndicats embaucher. Personne en raison des rigidités du statut d’administration des hôpitaux ne propose d’inciter financièrement. Aujourd’hui c’est simple, non seulement il n’y a pas de candidats à l’embauche mais il y a des démissions. Il va falloir changer de culture des deux côtés. Ce qui est difficile. Ces faits impactent très défavorablement les services d’urgence. Mais il faut ajouter d’autres difficultés:

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- La Covid-19 a retardé considérablement les soins programmés et le retard n’a pas été rattrapé. Il y a donc une forte demande pour les mois d'été à venir.

- Le personnel soignant et en particulier celui des services intensivistes est affecté par les deux dernières années physiquement et psychologiquement.

- La grande démission qui s’observe aussi dans les autres secteurs économiques  rend le recrutement de personnel temporaire très difficile.

LE DIAGNOSTIC

Même si cela ne fait pas l’affaire des partisans, on peut constater que cette situation est née il y a plusieurs décennies. Dans les années 1970 la médecine de recours est basée sur le bon sens. On appelle le médecin quand c’est sérieux. On va aux urgences quand c’est grave. L’accès aux soins n’est pas entravé, il est arbitré par les patients eux-mêmes, leur entourage, les soignants libéraux infirmières et médecin en famille. Il y a du bon sens dans ce recours. Pour certains politiciens c’est insupportable. Ils inventent avec  une préoccupation électoraliste “l’accès aux soins pour tous” qui deviendra la “démocratie sanitaire”.  L’état, la sécu vont encourager un accès aux urgences non régulé par un médecin ou une infirmière.  Progressivement cette politique va créer les conditions économiques et matérielles de l'accès à un médecin sans rapport avec l’urgence de la situation. Le système va glisser d’un motif sérieux de venue aux urgences vers une consommation de services à n’importe quelle heure, où je veux et quand je le décide. Cette politique démagogique substitue un “droit à” à une prescription médicale. La “démocratie sanitaire” qui n’est en fait qu’une démagogie créant l’illusion que les ressources sont infinies va en fait détériorer l’accès aux soins. Les conséquences sont graves:

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- Dans le même temps, les patients présentant une vraie urgence médicale ou chirurgicale pâtissent de ce nouveau flux concurrentiel. Les délais d’attente augmentent, des patients affaiblis ou très malades vont être écartés par des braillards violents dans des salles d’attente chaotiques etc.

- Le travail des soignants, infirmières et médecins va devenir plus compliqué car le nombre de personnes qui n’ont rien à faire dans la structure épuise la vigilance, l’empathie et le sens clinique des personnels.

- La ressource de soin étant par définition limitée les patients non urgents privent les 20% de patients graves des moyens pourtant abondants des services mais aussi des examens complémentaires notamment l’imagerie.

- Toute tentative de tri, d’orientation ou de retour à domicile est brocardée comme un refus de soins et les médecins cèdent découragés par le manque de soutien de l’administration et la crainte de poursuites. C’est la médecine défensive.

Pourtant beaucoup de services d’urgences fonctionnent normalement sans cour des miracles et sans brancards aléatoirement rangés dans un open space bruyant où gisent des patients pouvant relever de tout niveau d’urgence. Pourtant les infirmières et les aides soignantes sont d’un dévouement et d’une bienveillance quasi-inépuisable devant, il faut le dire, une minorité très agissante pouvant être violente et habituellement impunie. Pourtant les équipes, qui sollicitent des avis des médecins de l’établissement et organisent les premiers soins, sont diligentes et agissent de manière très efficace. Comme toujours certains tiennent la barre de leurs services d’autres non. Comme toujours c’est d’abord grâce aux infirmières qui déploient un incroyable savoir-faire et une énergie inouïe dont le patient ne saisit souvent que l’empathie mais sans laquelle rien n’est possible. Jusqu’à cette pandémie ces soignants ont tout donné somme toute pour des salaires et des conditions de travail, je le répète, difficiles dans les services intensivistes. L’administration n’a pas vu venir la vague d’épuisement, de découragement, de démission bref le point de non retour.

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L’ECONOMIE DU SYSTEME INFLATIONNISTE DES "VENUES/PASSAGES" AUX URGENCES

Bien évidemment ce système ne s’est développé de manière inappropriée que parce qu’il est lucratif pour les hôpitaux et pour les médecins.

Les hôpitaux

Tout d’abord il y a la question des forfaits qui créent des effets de seuil. Le système de financement des urgences apparaît par nature inflationniste. Le forfait annuel des urgences (FAU) est en effet calculé par tranches d'activité, qui ne correspondent pas nécessairement aux tranches de personnel nécessaire; il peut ainsi arriver qu'une diminution d'activité entraîne une baisse de la FAU sans que l'établissement ne puisse pour autant réduire ses coûts de personnel, dans la mesure où l'activité du service nécessite par ailleurs son maintien. Sans entrer dans trop de détails il est aussi manifeste que des établissements ayant une faible activité programmée ont pu trouver là une manne. Les soins mineurs les plus banals pratiqués dans une structure dimensionnée pour des malades graves coûtent très cher à l’assureur mais constituent un bénéfice significatif pour l’établissement. Ainsi le coût moyen d’un passage serait de 227 euros. Comme d'habitude il est impossible de vérifier ces coûts en vie réelle car la facturation est le résultat de différents tarifs créant un modèle de type administratif c'est-à -dire superposant des “mesures” empilées sans aucune logique économique. De surcroît cette moyenne de coût est lâchée par la sécu sans l’écart type ni les données brutes qui permettraient d’analyser finement et de comprendre. Il n’y a rien de plus trompeur qu’une moyenne de coût dans 1300 hôpitaux publics et la sécu le sait. Pour autant, si la typologie des patients est celle de pathologies légères, le bénéfice est réel pour l'établissement sans compter l’activité générée par l’hospitalisation. D’où la course poursuite de toujours plus de venues pour aller chercher ces patients qui n’ont pas une pathologie urgente ou grave. Mais il y a une deuxième dépendance c’est celle vis à vis de l’activité générée en aval des urgences. D’où la tendance à hospitaliser plutôt qu’à envisager des solutions ambulatoires notamment quand le patient doit faire des examens plus ou moins complexes qui vont demander du temps. Ce sont les fameux lits d’aval dont les urgentistes déplorent l’absence. Or c’est la plus mauvaise solution en termes d' iatrogénie et de qualité de vie. Le patient est mieux chez lui, avec des rendez-vous programmés dans les jours qui viennent plutôt qu’à l’hôpital à attendre. Tout ce qui va lui être prodigué comme soins dans un service non intensiviste peut être réalisé par une infirmière libérale. En réalité, les urgences sont une double bonne affaire financière pour les hôpitaux, d’abord si les patients sont majoritairement légers et  ensuite de manière indirecte, car c’est une porte d'entrée vers les services d'hospitalisations. Certains établissements à faible activité programmée sont dépendants des urgences en tant que moyens de recrutement des patients, dans une proportion pouvant atteindre 60 % des patients hospitalisés. Récemment des modifications ont été apportées par le gouvernement dans la tarification qui a été “simplifiée” ce qui est un euphémisme tant il reste à faire pour que l’économie du système soit transparente et ce quelque soit le secteur, public, associatif ou commercial. Ensuite et de manière plus incitative des dispositions visant à éviter l’hospitalisation d’aval inutile ont été édictées, il faut en évaluer l’efficacité.

Les urgentistes

De leur côté, par le jeu des 35 heures, des RTT et des heures de nuit, pendant un temps, des médecins ont trouvé un intérêt à concentrer leur présence et ensuite à occuper un autre emploi. D’autres ont vu leur rôle politique dans l’établissement s'accroître au fur et à mesure des recrutements de médecins et en ont fait un véritable fond de commerce. Cet engouement s’épuise. Nous abordons la phase descendante de cet emballement. La grande démission fait son œuvre et ces externalités négatives sont dénoncées depuis 2014. En cause l’épuisement des personnels. La demande infinie provoquée par la gratuité, la violence des personnes, l’incohérence des prises en charge, la difficulté managériale de la continuité des soins avec des salariés à 35 heures dans de telles activités produisent une désaffection. Les personnels concernés sont surtout les IDE. Dans les services intensivistes, les infirmières doivent assurer leur mission et passer beaucoup de temps de non soin dans le reporting des activités. Comme la charge de travail clinique est élevée ces contraintes sont très lourdes car les technologies numériques sont assez peu performantes et consomment énormément du temps pour une utilité assez faible en terme de qualité des soins. C’est le puits profond de la médecine défensive et de la traçabilité déclarative. C’est aussi le cas des médecins urgentistes qui passent beaucoup de temps à joindre d’autres collègues lesquels se déplacent aux urgences alors qu’ils pourraient là aussi faire une téléconsultation interne (combien de médecins sont joints sur leur mobile parce que c’est la seule solution à condition qu’ils aient communiqué leur numéro). À quoi sert donc le réseau téléphonique interne? 

Des honoraires et des tarifs mieux adaptés à l’économie du risque de la technicité et de la pénibilité des urgences

Avant 2005 et depuis 1972 les "urgences" étaient considérées par rapport à un horodatage (après 20 h, avant 8 h, dimanche  et fériés) selon la Nomenclature Générale des Actes Professionnels. Quand le modificateur "U" a été proposé, il a fallu 12 mois pour valider la définition actuelle dans la Classification Communes des Actes Médicaux . La toute puissante administration du de la sécu faisait valoir que c’était compliqué à simuler en matière de coût. Singulièrement quand pendant les négociations conventionnelles une question de ce type se posait la réponse des gestionnaires du risque arrivait après une suspension de séance de quelques minutes. Les moyens d’éviter les distorsions de rémunération existent:

1/ revenir sur les forfaits et adopter un financement plus fin de T2A réelle.

2/ établir des reversements d’activité entre les structures de premier appel et de redirection et les structures bénéficiaires des patients réorientés

3/ Laisser les hôpitaux plus libres de gérer leurs ressources humaines. Mode dérogatoire, flexibilité en fonction de la cyclicité de l’activité (entre 24 heures et 6 heures du mâtin) et d’autres situations comme la période estivale. 


Sortir par le haut de ces difficultés en analysant les causes réelles.


La question de savoir si les urgences des établissements publics et privés pallient l’absence d’offre en médecine libérale est invoquée comme la cause majeure de la submersion.
Il faut ici décrire la vie réelle.
Avant les années 1980 et encore avant les années 2000, peu de patients consultaient leur médecin de famille sans motif ou avec un motif non urgent après 20h. Car le médecin appelé au téléphone évaluait le patient et dans la majorité des cas lui fixait un rendez-vous ou inscrivait une visite à domicile dans le délai le plus approprié. Beaucoup de médecins de famille fonctionnent encore de cette façon.


Il se trouve que cela ne convient pas à certains patients. Il y a là une question de culture et un mésusage.

Le fait culturel c’est que de nombreux pays ayant un système de soins au moins aussi performant que le nôtre sur les fondamentaux (résultats de la prévention maternelle et infantile, des traitements des cancers, des traitements des maladies cardiovasculaires etc) n’ont jamais eu des médecins de famille qui se déplacent à domicile. Il donc est difficile, en France, de faire la transition vers un environnement différent où il faut s'adapter à une ressource plus rare en organisant mieux l’utilisation des plages de consultation programmée. Les plateformes sont un progrès mais sans responsabilité financière pour les rendez vous réservés (un rendez vous réservé non honoré est prépayé mais pas remboursé ) ce système atteint ses limites. Autre obstacle, une consultation trouvée sur une plateforme est difficile à réaliser sans dossier médical électronique. Un patient qui consulte un médecin qui ne le connaît pas va demander une très longue consultation sans l’histoire clinique détaillée et sourcée. Comme les consultations en France ne sont pas honorées en fonction de la complexité et de la durée, le système se bloque.

Le mésusage c’est d’aller aux urgences alors que la situation ne l’exige pas au motif que “je ne peux pas joindre mon médecin”. Le dysfonctionnement c’est d’y être admis. C’est donc une double responsabilité. Il existe des moyens d’y pallier. L’orientation du patient avant qu’il ne se déplace lors de l’appel téléphonique initial, l’orientation du patient s’il est quand même venu aux urgences ou bien s’il n’a pas téléphoné, une réponse claire au patient qui exige de voir un médecin sans motif urgent, ces réponses jusque là mises sous le tapis sont du ressort du chef de service des urgences, de l’administration et aussi du législateur qui doit enfin clarifier la mission. Il est trop facile de céder démagogiquement à ces mésusages. Aucune admission ne doit être faite sous la pression parfois violente de personnes qui abusent de la disponibilité d’un service d’urgence qui est une ressource rare, coûteuse et indispensable pour sauver les vies réellement en danger.



Dans un contexte de pénurie, il faut que chacun choisisse sa responsabilité et s’interdise la démagogie.

- Revenons sur les causes structurelles, les 35 heures sont particulièrement inadaptées aux activités de soins et encore moins aux soins intensivistes. Ne cachons pas le mistigri sous le tapis il réapparaît régulièrement et l’entêtement des politiciens est inexcusable. Il faut libérer le temps de travail sur le mode du volontariat.

- Comme pour l’énergie ou d’autres pénuries nous devons passer par une adaptation de la demande. Dans le système de soins, avant d’exiger une offre illimitée et gratuite pour tout “soins” alors que notre dépense est très élevée, il faut accéder aux soins avec modération et bon sens. Il faut renforcer la qualité pour les soins qui sauvent des vies ou des fonctions essentielles.

-  Les “soins” inutiles sont trop nombreux. Mais surtout aucun soin n’est neutre , venir aux urgences alors que ce n’est pas nécessaire peut être source de complications: pratique d’examens inutiles y compris avec irradiation en raison de l'absence de dossier médical électronique, surprescriptions médicamenteuses, contamination lors d’épisodes épidémiques, épuisement psychologique lors d’attentes prolongées…

J’ai détaillé le diagnostic des dysfonctionnements aux urgences hospitalières. Le traitement est centré sur quelques mesures qui doivent être adaptées à chaque contexte en utilisant la subsidiarité et en faisant jouer à plein l’autonomie de gestion. Comment agir dans le contexte politique actuel? Peut être par ordonnances compte tenu de la gravité du sujet des services d’urgences. Si ce choix est retenu, quel serait le contenu de ces ordonnances?

COMPARER AVEC LES AUTRES PAYS POUR AVANCER

En 2008, une étude comparative de l’OMS a permis de dresser un état des lieux.

La sécurité intra-hospitalière négligée en France

La première des obligations d’un directeur d’hôpital est d’assurer la sécurité des patients et des soignants dans l’établissement au sens large. Nous en sommes très loin. Et singulièrement aux Urgences. Il ne faut donc pas s’étonner que les salariés exposés (il ne s’agit pas de l’administration, ni des métiers techniques qui sont dans leur bureau et n’ont pas de contacts avec les agités et les violents) démissionnent ou recherchent des postes où le risque d’agression physique est moindre voire nul. Cela fait 20 ans au moins que cet état de fait est dénoncé. Cela fait 20 ans au moins que l’administration n’arrive pas à supprimer ou à réduire ce danger. Comme souvent, les gouvernements successifs ont essayé la loi. Par exemple la soi disant peine aggravée pour agression d’une personne exerçant un service public : “Est punie des mêmes peines la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférée à l'encontre d'un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs, d'un enseignant ou de tout membre des personnels travaillant dans les établissements d'enseignement scolaire ou de toute autre personne chargée d'une mission de service public ainsi que d'un professionnel de santé, dans l'exercice de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur.” Il ne semble pas que les agressions aient diminué mais qui a les statistiques? Dans l’étude NEXT de 2008, parmi les infirmières, 22 % ont déclaré avoir été fréquemment exposées à des événements violents de la part de patients ou de proches.

Les prévalences de violence les plus élevées ont été observées dans les unités psychiatriques, gériatriques et d'urgence. Les infirmières qui ont déclaré avoir été exposées à la violence ont des niveaux plus élevés d'épuisement professionnel et ont signalé plus d'intentions de quitter les soins infirmiers ou de changer d'employeur. Toujours dans cette étude, c'est en France que le taux déclaratif d’exposition à la violence est le plus élevé, 39% (Figure N°1).

Figure N°1 Ligne 4 les résultats en France.

Les autres pays de l’étude ont dans ce domaine plus de réussite (Figure N°2) .

Figure N°2

Il faut s’inspirer des solutions qui sont assez simples, la sécurité est assurée par un service autonome dimensionné ou bien par la police et la moindre violence verbale conduit à l’éviction. Compte tenu des risques de blessures et des lenteurs de la justice, il faut en effet prévenir cette criminalité en amont. Il faut choisir de préserver les patients, le personnel, pour assurer la mission plutôt que de laisser se développer la violence dans une chaîne ininterrompue d’irresponsabilité qui entrave le fonctionnement du service. Dans ce contexte est apparue une autre menace qui concerne aussi les services d’urgence, celle de personnels et de patients radicalisés à l'intérieur de l’hôpital. La désinvolture ou le déni dont les administrations font preuve sur ces questions desservent les conditions de travail et de recrutement.

La vidéo téléconsultation (TC) sous estimée par les soignants et les établissements

Historiquement c’est la sécu qui a freiné le développement de la TC. La covid a débloqué ces freins et les plateformes privées de prise de rendez vous ont connu leur moment historique… Les GIE santé des ARS qui ont mis des années à se mettre en place ont échoué. Une leçon à méditer. La tendance à l’utilisation de la TC avec vidéo pour orienter les soins médicaux est un immense progrès, ce n’est pas une mode cela va s’amplifier. Plusieurs études pointent cette forte demande mais une offre réduite par résistance des soignants ou des assureurs. Il y a donc des études à mener pour apporter des données sur l’amélioration des soins et une plus grande sécurité du système dès lors que les différents soignants sont facilement en contact à distance. L’épidémie de Covid-19 a démontré l’importance de téléconsulter pour éviter les contaminations. La pénurie de personnel soignant rend plus aiguë l’optimisation de l’utilisation des ressources, notamment en urgence. C’est impossible sans la TC.

Les infirmières cliniciennes : une absence incompréhensible en France

Nous avons une conception des soins infirmiers qui demeure handicapante pour tous les soignants et pour les patients. Malgré des articles scientifiques, les études sur la pratique des infirmières cliniciennes, la contribution exceptionnelle de nos cousins Québécois et une loi Française sur le rôle propre, nous ne sortons pas de cette conception ancienne où le médecin reste l’ordonnateur de tout soin.  En pratique les IDE n’ont pas les prérogatives et les responsabilités qu’elles méritent d’assumer et qui permettent d’élever la qualité des soins. Ce qui s’est bien passé avec les infirmières anesthésistes est possible pour les infirmières cliniciennes. D’ores et déjà les infirmières libérales, les infirmières des départements interventionnels des hôpitaux et de certains services d’urgence assument ces responsabilités mais il faut aller plus loin. Il faut créer une spécialisation et une validation d’acquis pour ceux et celles qui ont une bonne expérience et payer les infirmères cliniciennes pour que le système de soins bénéficie de leur expertise. Il n’est pas nécessaire d’allonger les études pour ce faire. C'est-à -dire créer une plateforme de communication entre les soignants qui sont au contact du patient ou qu’il soit. 

Il faut déléguer massivement

Le rapport Berland « Le transfert de tâches et de compétences : coopération des professionnels de santé » a été publié le 1er octobre 2003. L’analyse des différentes expérimentations en 2006. Depuis, aucun progrès réel n’a résulté de ces travaux d’une grande qualité.  D’ores et déjà il faut déployer des infirmières au lieu des médecins dans le secours primaire. La majorité des pays le font avec de très hauts standards de qualité. Ensuite il faut libérer du temps médical pour le diagnostic complexe et renvoyer les situations comme la petite traumatologie, les infections banales aux autres soignants, infirmières libérales, pharmaciens, kinésithérapeutes. Ils le feront très bien et j’ose le dire probablement plus près des recommandations scientifiques ce qui est la base de la qualité des soins

UTILISER OPTIMALEMENT TOUTES NOS RESSOURCES

Orientation des patients après appel téléphonique, secours par les pompiers ou le SAMU

Je ne ferai pas ici la traditionnelle analyse des partisans, d’un côté les médecins et responsables hospitaliers hospitalo-centrés plaident pour un tout à l'hôpital et les gestionnaires du privé (associatif ou commercial) se plaignent d’être tenus à l’écart par la régulation du SAMU. Il faut dépasser ces débats inutiles. Et pour le faire de manière dépassionnée il faut recourir à des systèmes intelligents: l’avis du patient quand il peut le formuler et la disponibilité réelle des places dans une unité appropriée au risque grâce à une plateforme en temps réel. Une place est un investissement, en matériel et surtout en personnel. Surcharger un établissement en laissant d’autres établissements avec des places libres c’est ce qui se passe régulièrement. Nous gaspillons énormément de ressources de ce fait.

Le secteur privé commercial est insuffisamment intégré dans la gestion des places


Le rôle du privé commercial est à souligner*

123 services d’urgence dans des hôpitaux privés. Environ 3 millions de patients sont pris en charge.Taux d’hospitalisation moyen 15%. Typologie adaptée aux ressources de l’établissement mais aussi aux biais d’adressage ou d’orientation. Les médecins urgentistes exerçant en libéral ont des capacités d’adaptation plus élevées car le salariat à 35 heures dans ce type d’activité est très difficilement gérable.

*(NB je n’ai pas reçu les renseignements nécessaires pour intégrer le privé associatif au moment de terminer cet article)


Comme le secteur public, le privé est confronté à une pénurie de personnel soignant. 10% des postes d’infirmières et d’infirmiers sont vacants dans ces établissements. Comme pour les autres établissements cette pénurie a des raisons structurelles - des infirmières et des infirmiers en formation arrêtent leur cursus, des quotas de formation trop restrictifs empêchent de recruter suffisamment d’élèves en début de formation - et des raisons conjoncturelles car deux années de crise sanitaire ont provoqué une forme d’usure qui génère de l'absentéisme et même des départs.

Un tiers des nouveaux diplômés infirmières et infirmiers abandonnent la profession dans les cinq ans. C'est un cercle vicieux puisque quand des personnes manquent, celles qui restent ont une charge de travail plus lourde, avec des horaires importants et subissent donc plus de fatigue et un risque d’épuisement. Une quarantaine de services d’urgences dans les établissements de santé privés ont ainsi été contraints de procéder à des fermetures ponctuelles depuis le début de l’année. Le même nombre de services pourrait être amené à d’autres fermetures cet été en raison des difficultés de recrutement. C’est considérable. Les coopérations mises en œuvre pendant la pandémie doivent être poursuivies et développées pour déboucher sur une intégration totale lors de l’orientation des urgences. Cela se fera par des moyens de subsidiarité comme des plateformes d’orientation en temps réel plutôt  que par la loi, les oukases des ARS ou d’autres moyens top to bottom. 

Le système de soins a besoin de transversalité, de subsidiarité, de coopération  et d’expérimentation: la réalité actuelle est inverse

La France a adopté une nouvelle loi en 2019, basée sur le plan gouvernemental "Ma santé 2022" qui vise à élargir la santé en ligne dans le pays. Parmi ses plans, la France veut améliorer l'interopérabilité; déployer les dossiers de santé électroniques (DSE) à l'échelle nationale pour qu'ils deviennent la pierre angulaire des plateformes de cybersanté ; tirer parti de l'utilisation de l'Intelligence Artificielle (IA) dans le domaine de la santé ; établir un centre de données pour les ensembles de données sur les soins de santé ; et investir davantage dans l'introduction récente de la télémédecine par le système de santé publique. C’est bien, mais là aussi les intentions se heurtent de front au système actuel. En effet tout est vertical, il n’y a aucune concurrence et pourtant les moyens financiers et humains sont très élevés. Dans ce plan, le DSE est le pilier indispensable. J’en entends parler depuis des décennies. À cause de la ligue des empêcheurs de solutions le DSE n’existe pas. Il est étonnant que cet échec ne déclenche que de nouvelles législations mais aucun résultat. La récente et énième campagne visant à créer pour chaque assuré un espace santé, à le prévenir par email et à lui demander de le remplir est une mauvaise plaisanterie. Le DSE doit être nourri chronologiquement par le flux des actes et séjours du patient dans le système de soins de manière automatique. Dans tous les autres cas il ne sera pas fiable et les médecins à raison reviendront à la consultation à l’ancienne avec des anamnèses longues et imprécises mais plus pertinentes qu’un DSE incrémenté par le patient avec des omissions, des biais et même des affabulations. 

Pourtant l'usage de la télémédecine bat des records dans le pays, signant une demande élevée des patients. Il est regrettable que cela s’arrête à l’entrée du système de soins, les Français ont compris que pour avoir un rendez-vous de consultation une plateforme est beaucoup plus efficace que des contacts téléphoniques multiples. Ils le savent depuis longtemps car le transport aérien remplit optimalement ses avions et calcule ses prix avec cet outil. Pourtant une fois franchi la porte des établissements de soins c’est l’effondrement numérique. Les caciques leur ont répété jusqu’à l’endoctrinement que c’était pour leur bien. Ils découvrent que c’est au contraire un handicap qui résulte pour beaucoup de l’incapacité du système de soins à s’adapter. Le passeport vaccinal numérique a bien fonctionné démontrant la possibilité d’améliorer la qualité des soins par les technologies numériques au grand dam des dénonciateurs de la société de surveillance. Comme à chaque saut technologique la peur est exploitable, elle l’a été avec l’arrivée du stéthoscope, du microscope, des vaccins et du compteur Linky.

On a brassé de l’air avec des lois ronflantes sans résultat mesurable. Il faut maintenant délivrer des solutions tout de suite sinon des vies seront perdues. 

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