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Union européenne : l’intérêt général otage des bien-pensants ?
©ARIS OIKONOMOU / AFP

Commission européenne

La Commission européenne semble céder de plus en plus face à l'émotion médiatique.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Jean Monnet s’est-il retourné dans sa tombe en voyant la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, recevoir en grande pompe l’activiste Greta Thunberg, laquelle a raillé dans son style inimitable par sa brutalité infantile les efforts actuels et à venir de l’Union européenne en matière de lutte contre le réchauffement climatique ? La question mérite d’être posée tant la mansuétude exprimée par la Présidente de la Commission européenne à l’égard de la jeune activiste suédoise ravale la Commission européenne – mais le Parlement européen n’est hélas pas en reste - à l’exact inverse de la façon dont les Pères de l’Europe l’ont pensée : le lieu de l’intérêt général européen, bâti à l’image du Commissariat au Plan que Jean Monnet a présidé, fondé sur une administration technicienne puissante, de très haute compétence, sérieuse, averse à l’émotion médiatique.

Disons-le tout net : il y a longtemps que la Commission européenne n’est plus l’organe technocratique respecté et surpuissant imaginé par Jean Monnet. Sa capacité à impulser seule la production normative européenne, le fameux « monopole de l’initiative législative » en jargon européen, si critiqué, y compris par la Présidente de la Commission qui n’a pas hésité à le remettre en question c’est-à-dire à rien de moins que jouer contre son camp, est battu en brèche. Une telle évolution n’est pas forcément négative. Au fond, la Commission européenne n’a pas nécessairement raison surtout, et il est naturel qu’elle prenne en compte l’opinion exprimée par la société civile (ONG), et plus encore, qu’elle recueille l’avis d’entreprises dont les business model sont fondés non sur l’émotion mais en raison, c’est-à-dire sur la science et la technique.

Il reste que cette évolution vers une Commission qui tienne plus en compte l’opinion des parties prenantes, les « stakeholders », n’est pas ce qui se passe aujourd’hui. La réalité est que la Commission devient l’otage des communicants et des ONG. Ceci handicape le processus normatif européen de plusieurs manières.

D’abord, l’émotion remplace l’analyse au fond. Pour disposer d’une analyse approfondie sur laquelle bâtir des normes juridiques et des politiques publiques solides, la Commission doit se donner le moyen de recueillir l’expression de toutes les sensibilités. Dans le domaine de la politique des pêches, par exemple, il n’est pas de Politique commune des pêches (PCP) qui puisse faire l’économie de prendre en considération les arguments des « amis du poisson » (les pays du Nord favorables à la restriction de la pêche) mais aussi les « amis du pêcheur » (les pays du Sud plus soucieux de l’état du secteur de la pêche), pour in fine trancher. 

Ensuite, alors que l’UE clame qu’elle veut réduire le déficit démocratique, c’est bien la démocratie est blessée. Si l’ensemble des stakeholders n’est pas écouté, sans discrimination, alors l’on assiste à une « capture » bien connue de la décision publique, par tel ou tel qui crie plus fort ou plus habilement que les autres. Ceci est d’autant plus dommageable que beaucoup d’ONG qui se font les hérauts de la planète, contrairement aux États et aux entreprises qui, eux, rendent des comptes (à leurs électeurs, aux actionnaires), ne sont comptables de rien devant quiconque, et agissent sans contre-pouvoirs. C’est bien ce à quoi l’on assiste progressivement. Ainsi, dans le domaine énergétique, il est impossible, ou extrêmement difficile, à une entreprise comme EDF qui a quelques mérites en matière de nucléaire civil – dont même le GIEC reconnaît qu’il fait partie de la « solution » au problème du réchauffement climatique - à faire valoir son point de vue. Toujours en matière énergétique, l’opprobre est systématiquement jeté sur les grandes « majors » pétrolières (Total, Exxon), alors même que ces acteurs ont évidemment une connaissance intime des énergies fossiles qu’il serait plus opportun à l’Union européenne d’utiliser plutôt que de faire comme si nous étions capables de nous passer du jour au lendemain de ces énergies. Et que dire, dans le domaine numérique, des GAFAM, ravalées au rang de méchant de la fable, mais qui sont, de fait, des acteurs essentiels de la vie et de l’économie européenne, et qui participent à quantité de programmes européens. On pourrait continuer. 

C’est dire, en définitive, combien l’UE et la Commission européenne, tout à leur légitime désir de mieux écouter la société civile et de mieux prendre en compte l’opinion des experts, ne doivent pas céder à la facilité médiatique. Le Green Deal doit être l’occasion d’écouter tout le monde, sans discrimination. Une telle posture n’interdit pas de prendre des décisions fortes. C’est le contraire qui est vrai : seule une connaissance approfondie des sujets qu’elle traite, laquelle passe par l’écoute d’avis contradictoires, peu permettre à l’Europe de prendre des décisions véritablement audacieuses, car fondées sur une analyse en raison, et non en émotion.

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