Union des droites : vers un tremblement de terre en Allemagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande Friedrich Merz serre la main de Mario Czaja après une conférence de presse au siège de la CDU, le 12 juillet 2023.
Le chef de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) allemande Friedrich Merz serre la main de Mario Czaja après une conférence de presse au siège de la CDU, le 12 juillet 2023.
©John MACDOUGALL / AFP

CDU - AfD

Le patron de la CDU, Friedrich Merz, semblait prêt à une alliance avec le parti AfD au niveau local, avant de se rétracter après de vives critiques.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Le président du parti et du groupe conservateur CDU/CSU au Bundestag, Friedrich Merz, a déclaré dimanche que son parti était « bien sûr » prêt à collaborer avec l'AfD à l’échelle communale. Bien qu’il soit revenu sur sa position suite à la pression du parti, comment interpréter cette volonté de rapprochement ? 

Rodrigo Ballester : C’est la version allemande de ce que vous appelez « l’union des droites » en France, un débat qui a lieu dans de nombreux pays d’Europe depuis longtemps et qui sera au cœur de la campagne électorale des européennes. Cette union entre partis de droite est aujourd’hui une réalité de gouvernement en Italie, en Suède, en Finlande, en Espagne dans certaines régions. 

Comment interpréter cette volonté de rapprochement ? Tout d’abord, comme une tactique électorale d’une logique méridienne. Avec l’AfD à 20 % dans certains sondages, il est normal que la CDU s’en rapproche pour séduire une partie de leur électorat et qu’ils envisagent des coalitions pour accéder au pouvoir. Deuxièmement, ceci démontre également la volonté de Merz de s’affranchir de l’hégémonie culturelle actuelle et des deux poids/deux mesures qui octroie une sorte d’immunité médiatique et politique à n’importe quelle gauche, alors que les droites devraient rester en permanence sous le régime du « cordon sanitaire ».

Notons au passage le caractère infâme et absolument avilissant de ce terme qui est pourtant devenu monnaie courante. Utiliser ce terme relève d’une pulsion anti-démocratique. En outre, quand les « pestiférés », les « toxiques » sont à vingt pour cent  dans les sondages, il est sommes toutes normal qu’un politicien se pose la question d’une possible alliance, au moins au niveau local. Mais permettez-moi d’insister sur l’hypocrisie éhontée de certains commentateurs qui voient systématiquement la paille dans l’œil d’une certaine droite tout en omettant les poutres dans l’œil d’une certaine gauche. Alors que l’extrême gauche est en roue libre et n’hésite pas à étaler son sectarisme woke, ses délires intersectionnels et sa violence « antifa », cette immunité du « camp du bien »  n’est plus tenable, ni pour des électeurs remontés ni pour certains élus. Dont Merz, apparemment.

Est-ce que l’AfD est un parti populiste comme ailleurs en Europe ou un vrai parti d’extrême droite anti démocratique ?

L’AfD est un parti populiste qui a une double personnalité. Lors de sa création, il a été fondé par des professeurs d’économie, des universitaires qui étaient hostiles à l’Union européenne et à la monnaie commune. Mais le parti compte aussi de vraies personnalités d’extrême droite. L’AfD a des éléments en son sein qui peuvent être véritablement qualifiés d’extrême droite et qui sont beaucoup plus radicales que les personnalités politiques françaises qualifiées d'extrême droite en France comme Julien Odoul du Rassemblement national. Les fondateurs du parti Alternative für Deutschland s’étaient réunis à l'origine dans le cadre de l’hostilité envers la monnaie unique, l'euro.

Doit-on s’attendre à un tremblement de terre en Allemagne ? Dans quelle mesure observe-t-on actuellement une rupture historique ?

Au niveau médiatique et politique, très probablement, nul doute que certains accuseront Merz des pires transgressions et de blanchir l’extrême droite. Au niveau réel et surtout dans le cadre d’alliances locales, beaucoup moins. Déjà, les déclarations de Merz, et même son apparent revirement ont pour but de sonder le terrain et les réactions, attendons de voir si ces coalitions prendront forme ou pas. Et n’oublions pas que la politique communale est plus concrète et plus technique, elle concerne moins les grandes questions de société et elle fait souvent l’objet de consensus très larges entre groupes politiques.  En fin de comptes, réaménager un cimetière municipal ou ouvrir de nouvelles pistes cyclables avec l’AfD c’est autre chose que de concerter une politique migratoire. 

En Allemagne, une coalition au niveau gouvernemental serait en effet un changement historique, mais ce n’est absolument pas le cas pour l’instant. Les coalitions ponctuelles au niveau local serviront-elles à normaliser une entente qui pourrait un jour se reproduire au niveau fédéral ? Difficile à dire. Mais n’oublions pas que cette tendance a le vent en poupe en Europe et que ces changements s’opèrent dans une normalité démocratique en contradiction avec des cris d’orfraie tout aussi strients mais qui intimident de moins en moins. L’exemple le plus éclatant est le gouvernement Meloni : pendant des mois, voire des années, de nombreuses voix ont crié au loup fasciste et à la peste brune. Un an plus tard, qu’en est-il ? Rien, absolument rien.

Alors, certes, comparaison n’est pas raison et l’Allemagne et l’AfD sont des cas particuliers, mais la rupture historique c’est également de s’affranchir des réflexes de Pavlov idéologiques qui faussent le jeu démocratique et aggravent les problèmes en dénigrant et excluant une grande partie des électeurs et leurs préoccupations.

Cet enjeu sera-t-il une question centrale de la politique européenne dans les années à venir ? La fin du cordon sanitaire qui sépare les conservateurs et l’extrême droite en Allemagne va-t-elle s’étendre à d’autres pays européens ? 

Comme je le disais, l’union de droites est une réalité au niveau gouvernemental en Italie, Suède et en Finlande, des pays qui ont fait sauter, en toute normalité, le verrou politique et médiatique de ce fameux cordon qui donnait un avantage électoral considérable à la gauche, à qui ces « élégances » politiques ne s’appliquent pas.

Mais il existe des contre-exemples, comme le démontre le résultat très inattendu des élections en Espagne. Alors que tous les sondages donnaient la droite largement gagnante et que cette dernière avait laminé la gauche six semaines plus tôt, Pedro Sánchez et sa coalition de gauche et d’extrême gauche a contre tout pronostic résisté et va très probablement être reconduite à la surprise générale. Pour quelle raison ? Principalement, la diabolisation de Vox, parti conservateur et souverainiste, qui a fait l’objet d’un acharnement médiatique sans précédent tant des journaux de gauche (rien de surprenant) mais également de droite et du Parti Populaire avec lequel il a pourtant des alliances régionales. En gros, le réflexe de Pavlov du retour du « franquisme » (complètement absurde), alimenté par l’immense majorité de la presse et même par un centre-droit qui reste complexé par l’hégémonie culturelle de la gauche, a fait basculer les élections !  Curieuse inversion des rôles alors que la coalition de Sanchez (baptisée Frankenstein par la vieille génération socialiste), qui compte dans ses rangs Podemos (qui n’a rien à envier à La France Insoumise), des indépendantistes repris de justice et même des anciens terroristes ne semble pas émouvoir ceux qui voient en Vox une menace existentielle alors qu’elle est totalement imaginaire.

Finalement, notons que la question du « cordon sanitaire » sera également au cœur de la campagne des élections européennes l’année prochaine, sous le signe du combat annoncé entre « patriotes » (dont la présence devrait augmenter) et « globalistes » (qui devraient reculer). Que fera par exemple le Parti Populaire Européen, osera-t-il proposer une coalition aux partis conservateurs et souverainistes, ou continuera-t-il son chemin au sein d’une alliance avec socialistes, libéraux, verts et communistes, comme il le fait depuis de nombreuses années ? Faire sauter ce « cordon sanitaire » au Parlement européen, pour le coup, ce serait historique. 

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