Union des droites : les militants et les électeurs la souhaitent-ils autant que le suggère la petite musique qui monte ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Sébastien Chenu (RN) et Erik Tegnér, début septembre à Paris.
Sébastien Chenu (RN) et Erik Tegnér, début septembre à Paris.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Pas si simple

La question de l'union des droites, entre notamment Les Républicains et le Rassemblement national, apparaît une nouvelle fois dans le débat politique français.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Atlantico : Que cela soit Robert Ménard, cité par Le Monde ("C'est un mensonge éhonté de dire qu'il y a un mur entre Laurent Wauquiez et Marine Le Pen. Mais ce n'est pas demain la veille qu'ils se retrouveront autour de la table. Alors on leur met une baïonnette dans les reins et on passe par la base") ou Erik Tegnér, candidat à la présidence des jeunes LR, qui souhaite une alliance entre LR et Marine Le Pen, la question de l'union des droites apparaît une nouvelle fois dans le débat politique français. Comment évaluer la probabilité de la réalisation d'une telle "union des droites" du point de vue des cadres du parti ? Peut-on constater une divergence entre la jeune garde des partis et les cadres plus "anciens" sur cette question ? 

Bruno Cautrès : Lorsqu’une formation politique, ses cadres, ses militants, s’interrogent sur les questions d’alliances politiques avec d’autres formations, c’est toujours que cette formation traverse des difficultés. La question des alliances politiques est une question que l’on se pose lorsque l’on a le sentiment que l’on ne parviendra pas (ou plus) à remporter les élections par soi-même et que l’on constate une disparité parmi les électeurs potentiels. La droite française est clairement dans une telle période de doutes et d’interrogations. Mais il y a deux facettes dans toute interrogation concernant les alliances politiques : s’agit-il d’une tactique ou s’agit-il d’une stratégie ? En d’autres termes, est-ce une considération sur le court terme ou sur le long terme ? Lorsque les gauches se sont engagées dans la perspective de l’union de la gauche, principalement la question de l’alliance entre socialistes et communistes, c’était un choix stratégique fondé sur une plateforme puis un « programme commun ». Les deux principaux acteurs de cette stratégie avaient bien entendu des considérations tactiques et des arrière-pensées sur le fait de dominer l’autre au sein de leur union ; mais ils avaient fait le constat de l’impossibilité de gagner pour l’un ou l’autre tout seul l’élection présidentielle. Ce fut un lent processus mais au fond ne fallut que de la fin des années 60 à 1981 pour réaliser cette combinaison gagnante.

Tout repose donc sur les questions stratégiques et la capacité des acteurs à élaborer des perspectives programmatiques susceptibles de donner du sens à une union qui sinon n’apparait vite que comme une tactique fragile. Je pense que les questions sont davantage de ce côté que du côté de différences entre une « jeune génération LR » et une « vieille garde » attachée à l’idée d’une étanchéité entre LR et RN. Sans doute qu’une partie des jeunes générations LR se demandent si la conséquence de l’élection d’Emmanuel Macron n’est pas de devoir pousser la « disruption » jusqu’au bout, tirant les conséquences de l’attraction macroniste qui pèse autour d’une partie du centre-droit. Quitte à avoir perdu « l’élection imperdable » de 2017, se disent-ils peut-être, autant tout casser et faire tomber les murs entre LR et RN, doit penser une partie d’entre eux. Mais la probabilité de voir cette « disruption » arriver est pour le moment faible : LR et RN sont en situation de compétition avant tout. LR est plutôt dans la perspective de voir les électeurs de centre-droit être déçus par Emmanuel Macron et revenir vers LR.

Sans doute que ces questions continueront de se poser dans les mois et années à venir car aucun système de partis ne se maintient parfaitement à l’identique sur de longues périodes. Par ailleurs, il y a la question du leadership : un retour de Marion Maréchal dans le jeu politique pourrait modifier la donne, mais les questions de fond et de stratégie continueraient de se poser quand même. Si une partie des « jeunes LR » souhaite l’alliance avec le RN, elle doit expliciter les politiques publiques et les grands domaines de l’action publique sur lesquels ils fonderaient cette alliance. Et c’est là que les difficultés s’annoncent…Pour que cela marche, il faudrait que le RN ait alors une stratégie de sortir de la formule du « welfarechavin » qui était incarnée par Florian Philippot et qui est toujours porté par Marine Le Pen et soit capable de séduire des électeurs de droite attachés au libéralisme économique mais aussi plus culturellement tolérants que les électeurs du FN. Le RN ferait alors le constat qu’ayant fait le plein des voix dans les catégories populaires, il ne pourrait se développer qu’en allant vers d’autres catégories sociales, par exemple des classes moyennes déclassées. De son côté LR devrait alors rétrécir son positionnement globalement pro-européen. Une équation vraiment pas simple…

Erwan Lestrohan : Cette question récurrente d’une « union des droites » a repris de l’intérêt ces derniers temps dans le contexte de recomposition de l’espace politique. Ne serait-ce qu’au cours des dernières séquences électorales, la progression de l’ex-Front national à un niveau inédit jusqu’en 2017 tout comme l’émergence de La République en Marche ont considérablement réduit l’espace politique de la droite « traditionnelle ». Sur un plan ne serait-ce que comptable, la dénutrition de la base des soutiens des Républicains, érodée sur sa droite par le RN et sur sa gauche par LaREM, a réduit le poids de ce parti dans l’espace électoral. Dans le même temps, le Rassemblement national et La République en Marche ! semblent à même de disposer d’un soutien électoral proche de celui des Républicains quand des forces politiques comme Debout la France et l’UDI disposent aussi de l’intérêt non-négligeable des sympathisants de la droite.

37% des Français se positionnent politiuqement à droite mais leurs préférences partisanes sont donc aujourd’hui très morcelées et ce morcellement est à l’origine du questionnement autour d’une union des droites. Aucune des différentes formations recueillant l’intérêt des sympathisants de la droite ne semble aujourd’hui en mesure de disposer d’un poids électoral suffisant pour dominer significativement les séquences électorales à venir. La mise en place de listes d’union permettrait de contourner le morcellement politique actuel de la droite mais il se heurte à deux obstacles : la nécessité d’identifier une base idéologique commune, minimale et rassembleuse, ainsi que l’absence de personnalité recueillant de façon majoritaire l’intérêt des Français se positionnant « très à droite » (9% des Français), de ceux « à droite » (14% des Français)  et des « plutôt à droite » (14% des Français). Sans compter un point majeur qui est l’acceptabilité d’une telle union, aussi bien pour les dirigeants des mouvements concernés que pour leurs sympathisants.

Selon un sondage BVA de ce mois de juillet 2008, 65% des Français se positionnant à droite pourraient voter pour une liste d’union de la droite aux élections européennes 2019, rassemblant des candidats Les Républicains, Debout la France et du Rassemblement national, tandis que seuls 32% d'entre eux soutiendraient des listes d'union "quelles que soient les élections". Comment évaluer le souhait des électeurs sur cette question ? 

Bruno Cautrès : Cette enquête de BVA est d’une très grande richesse pour comprendre les tenants et aboutissants du thème que vous évoquez, celui de la « l’union des droites » lors des élections européennes ou plus généralement lors des prochaines grandes échéances électorales. L’enquête s’est attachée à comprendre ce qui unit et ce qui différencie la famille des droites. Si, effectivement, le soutien à des rapprochements électoraux entre les différents partis de droite (LR, DLF et RN l’ex FN) est majoritaire (comme vous le rappelez 65% des personnes se déclarant de droite pourraient voter pour une liste d’union de ces partis lors des européennes de 2019) et semble donc accréditer la thèse d’une appartenance idéologique à la même famille, l’enquête montre également très bien les limites de cette hypothèse. Si l’on regarde de près les choses, on voit alors que l’hypothèse d’une « union des droites » est une hypothèse soutenue par certaines franges bien précises des électeurs de droite : il s’agit surtout des fractions les plus à droite ou les moins centristes. Les électeurs qui se déclarent « plutôt à droite » ne soutiennent pas majoritairement cette hypothèse de « union des droites »: seuls 39% d’entre eux le souhaitent contre 70% de ceux qui se classent « à droite » et 96% de ceux qui se classent « très à droite ». Cette asymétrie se retrouve d’ailleurs, et encore davantage marquée, lorsque l’on interroge ces électeurs de droite sur leur souhait de voir se généraliser à toutes les élections des candidatures communes LR-DFL et RN (ex-FN). Le soutien à cette hypothèse dispose d’une courte majorité chez les sympathisants du RN mais il est très minoritaire chez les sympathisants LR.

Au fond, on retrouve ici la « quadrature du cercle » dans laquelle cette hypothèse d’une « union des droites » se retrouve : les valeurs politiques des électeurs des droites ne sont pas homogènes : si des nuances existent dans leur soutien généralement élevé aux valeurs du travail, du patriotisme, de la famille, de l’autorité, des différences fondamentales existent sur les questions économiques et surtout sur la question de l’Europe. C’est d’ailleurs sans doute parce que la question européenne implique des choix économiques que les différences sur ces deux sujets restent fortes entre les familles des droites. Le paradoxe n’est donc qu’apparent entre le soutient majoritaire des droites à l’hypothèse d’une liste commune aux élections européennes et leur forte différence sur la question européenne : faire liste commune pour les différentes droites lors des européennes de 2019 répond surtout à une préoccupation tactique, faire mettre genoux à terre à Emmanuel Macron et à LREM.

Une dernière précision m’apparait importante : il y a toujours un coût à assumer ses choix stratégiques et ceux-ci ne peuvent pas que rapporter. Si la droite LR s’engageait dans un grand tournant stratégique de rapprochement avec le RN, elle perdrait intégralement ce qui lui reste de soutien chez le centre-droit. Le tout serait de savoir si une « union des droites » prendrait la forme d’une alliance (façon union de la gauche) ou d’un regroupement-fusion. LR aurait alors sûrement à méditer l’histoire des tensions que l’union de la gauche a traversée, vous savez l’époque les communistes disaient « l’union est un combat » et où Georges Marchais demandait à Liliane de « faire les valises »…

Erwan Lestrohan : Il ressort de notre sondage que l’intérêt pour des listes d’union semble en majorité porté par des logiques électoralistes et serait surtout ponctuel. Des listes d’union de la droite aux Européennes 2019 pourraient intéresser 65% des Français se positionnant à droite mais le soutien varie selon les positions : de 96% chez les Français « très à droite », il est de 70% chez les « à droite » et de 39% chez les « plutôt à droite ». De même, si en effet 32% des sympathisants de la droite soutiendraient des listes d’union quelles que soient les élections, le soutien à cette possibilité varie très fortement selon la position politique. Il varie de 60% chez les « très à droite » et 52% chez les sympathisants RN à seulement 35% chez les « à droite », 23% chez les sympathisants LR et 12% chez les « plutôt à droite ».

Deux points sont à souligner concernant ces résultats. Tout d’abord, ils indiquent le manque d’appétence majoritaire dans l’ensemble des composantes de la droite pour une généralisation du principe de listes d’unions et montre le caractère aujourd’hui peu crédible et peu productif sur le plan électoral qu’aurait cette configuration pour des élections municipales ou départementales. Ensuite, ils montrent que l’intérêt pour des listes d’union est particulièrement polarisé à la « droite de la droite » et on peut faire l’hypothèse qu’une centre de gravité très droitier de ces unions et la ligne programmatique qui en découlerait pourrait mettre à distance la droite plus modérée.

Atalntico : Entre le Rassemblement national, Debout la France, et les Les Républicains, quel parti aurait le plus à gagner, et celui qui aurait le plus à perdre d'une telle alliance ? Dans un configuration politique ou seule l'élection présidentielle compte, comment analyser une telle approche ? 

Erwan Lestrohan : Il est important de préciser que ce type d’union reste très hypothétique dans la mesure où cela supposerait le « mariage heureux » de courants aux divergences fortes. Des divergences d’intérêt concernant les leaders politiques, de Valérie Pécresse à Marion Maréchal en passant par Nicolas Dupont-Aignan, Bruno Retailleau, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez ou Marine Le, Pen. Des divergences sur le plan des valeurs : au-delà de valeurs-socles d’Autorité, de Mérite, de Liberté et de Patriotisme, les valeurs d’Egalité et de Laïcité voire de Solidarité génèrent plus de clivages. Des divergences politiques, les questions européennes (UE, euro), la place de l’économie libérale et le rapport à la mixité sociale voire à l’immigration sont aussi des sujets sur lesquels les différents courants de la droite entretiennent des différences qui apparaissent aujourd’hui difficiles à faire converger. Enfin des divergences sociodémographiques des électorats, les préférences politiques des Français se positionnant à droite variant très fortement selon leur âge, leur position économique et le type d’agglomération dans lequel ils résident.
Si pour autant de telles listes d’union devaient ponctuellement être mises en place, on peut faire l’hypothèse qu’elles seraient fortement ancrées à droite. Cette configuration ne les séduisant que très minoritairement dans notre sondage, les sympathisants de droite plus modérés porteraient vraisemblablement leur intérêt vers des mouvements plus proches de leurs convictions de centre-droit. En dehors de la forte polarisation à droite qu’aurait ce type d’union, il est difficile de déterminer quelle formation politique en bénéficierait le plus, cette question étant probablement liée à la ligne idéologique que retiendrait ce rassemblement ainsi qu’à la figure politique qui l’incarnerait.

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