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Unfriended : le film qui en dit long sur le fonctionnement des réseaux sociaux (et qui va vous faire avoir peur d’Internet)
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Harcèlement numérique

Une lycéenne se suicide après qu'une vidéo compromettante sur elle ait été publiée sur Internet. Un an plus tard, six de ses amis se connectent, un soir, sur Skype. Mais une septième personne, inconnue, se connecte également. Cet intrus se montre très vite sous un visage inquiétant et menace les six amis de tuer le premier qui se déconnectera.

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur à l'ISC Paris et co-fondatrice de la Chaire Digital BusinessSes domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…)

Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme,  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan et J'arrête d'être hyperconnecté ! : 21 jours pour réussir sa détox digitale chez Eyrolles.

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Atlantico : Le film Unfriended, à mi-chemin entre l'horreur et le paranormal, démarre à partir d'un événement aussi tragique que désormais banal : Laura Barns, une jolie lycéenne très populaire auprès de ses camarades, voit sa vie devenir un cauchemar le jour où une vidéo la montrant ivre-morte est diffusée sur les réseaux sociaux, la poussant finalement à se suicider (une vidéo sur Youtube montre cette scène également). Jusqu'à quel point ce scénario est-il révélateur d'un phénomène réel ? Quels sont les mécanismes qui amènent une personne dont la réputation est salie sur internet à commettre le suicide ?

Catherine Lejealle : Il est en effet intéressant de voir comment les œuvres de fiction cinématographique se sont très rapidement emparées de phénomènes de société liés à la révolution digitale : du premier « 3615 : code Père Noël » en 1990 puis  « Vous avez un message »  en 1998 à Unfriended, nous sommes notamment passés par LOL et SMS et Sex Tape. Ces œuvres ont un effet didactique vertueux car elles montrent l’impact aussi bien les bienfaits que les méfaits des nouvelles technologies dans notre quotidien. Avec Sex Tape, le jeune couple voyait ses vidéos érotiques synchronisées avec toutes les tablettes notamment celle de la nounou. Les dangers de la synchro qui se fait automatiquement à notre insu sont ainsi mis en scène et présentés de façon ludique.

A ce titre de prévention et d’information, le filmUnfriended mérite qu’on s’y intéresse. Le spectateur est parfaitement conscient que la fiction n’est pas une étude qui quantifie un phénomène mais un cas d’usage qui peut détruire une vie. On comprend que notre e-réputation ne dépend pas uniquement des contenus qu’on diffuse mais aussi de ceux que les autres mettent en ligne, qu’ils soient réels ou mensongers. Il manque les contenus ou informations que les dispositifs diffusent sur notre activité tels que l’heure de dernière connexion, et qui insistent sur l’activité au détriment de la permanence de notre identité. Ils nous incitent à poster des contenus comme si la valeur est dans la récence.

Le film analyse les mécanismes qui conduisent au suicide : l’engrenage qui se met en place avec la résonance mondiale et l’immédiateté d’internet. Une fois lancée, la machine s’emballe et peu importe que l’information soit vraie ou fausse. Si ce phénomène de bouc émissaire ou de calomnie a toujours existé, c’est son intensité et sa rapidité qui est nouvelle, liée aux caractéristiques d’internet que nous venons de rappeler.

Qu'est-ce que cela nous apprend sur la démocratisation du harcèlement, et sur l'âme humaine ? Sommes-nous tous de potentiels Laura Barns ?

Le digital favorise la mise en relation, la partage, la communication autour des likes et autres manifestations d’accord (ou de désaccord)avec une communauté. Internet permet le buycott mais aussi le boycott. Il peut favoriser aussi le bad buzz. Comme une entreprise victime d’un bad buzz, qu’il s’agisse d’une souris dans un paquet de céréales ou de gaz toxique dans une boisson, l’individu peut désormais être victime d’une telle campagne. Récemment on a vu l’annonce du décès d’un dirigeant d’entreprise connu… qui s’est avéré une mauvaise information. On voit le feu de paille que peut représenter Internet pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur étant du côté de la mise en relation pour covoiture, partager un repas (lefover) trop généreux, se retrouver entre voisins pour faire une partie de jeux (via OVS ou meetup)… Chacun a acquis gratuitement et à portée de main la possibilité de donner son avis, voter et éliminer … c’est d’ailleurs une tendance largement encouragée à la fois dans les jeux TV qui reposent sur ce principe et par les marques qui demandent après achat un commentaire sur le produit ou la livraison. Comment imaginer qu’une fois les réflexes pris, ils s’arrêtent aussi facilement ?

Un an après le suicide de Laura Barns, six de ses anciens camarades de classe, impopulaires à l'époque, et qui avaient fortement contribué à "enfoncer" la lycéenne, se retrouvent pour une discussion groupée sur Skype. Un invité mystère s'ajoute avec le compte de Laura, et commence à les menacer de mort. Sans nous en rendre compte, avons-nous déjà pu faire partie des harceleurs du web ?

Là encore ce n’est pas nouveau et là encore le cinéma nous offre de beaux exemples d’analyse de pouvoir, de sentiment d’exister et d’être fort dès lors qu’on rejoint un groupe dominant puissant. Je citerai « La vida loca » sur la Mara au San Salvador et Hoolligans (2006). Dans ces deux cas, un jeune orphelin ou loin de ses parents rejoint un groupe (soit la mafia soit les hooligans) et via des rites d’initiation, il y trouve un sentiment d’exister. Aller dans le sens de la force n’est pas nouveau mais Internet permet de multiplier les engagements pour différentes causes sans forcément les connaitre et à peu de frais. Cela ne coûte rien et permet de se protéger, la violence touche les autres. On peut encore penser à la série Big Bang Theory où les 4 physiciens réputés distillent au fil des épisodes des anecdotes sur les stigmatisations et harcèlement qu’ils ont subi à l’école …Sheldon en tête.

Concrètement, où en est aujourd'hui le droit à l'oubli ? Celui-ci permettrait-il d'éviter de telles situations ?

Face à ces questions de traces numériques et d’identité numérique, la Cour Européenne de justice est l’auteur d’une proposition de règlement sortie le 13 mai 2014, permettant un  équilibre entrele droit à l’information et la liberté d’expression. Saisie par un Espagnol qui avait eu des retards de paiement dans ses impôts, et la situation réglée, voyait toujours cette information le suivre, la cour a tranché sur le droit à l’oubli, c’est-à-dire la possibilité au bout d’un certain temps de se refaire une virginité. Dès le 30 mai le principal moteur de recherche européen à savoir google mettait en ligne un formulaire de demande d’effacement du chemin d’accès à l’information..car si l’information ne peut jamais être effacée, le lien peut l’être. Mais seule une petite partie des demandes a obtenu gain de cause et encore, uniquement sur les accès européens si bien  que l’information est encore accessible depuis des extensions hors Europe. Le groupe des 29 CNIL européenne y travaille mais en attendant, des cas comme Laura peuvent arriver et le meilleur moyen de les prévenir est de montrer ce genre de dérives via des films. Sans relais d’info, cela n’arrive pas donc éduquons–nous à ne pas relayer trop rapidement ou à ne pas donner son avis trop facilement. Et surtout gardons en tête que le digital n’est  que ce qu’on en fait. 

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