Une génération de jeunes pugnaces malgré une société française qui ne les voit que victimes ou dangereux <!-- --> | Atlantico.fr
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Non, les jeunes ne sont pas tous des voyous, des victimes ou des assistés.
Non, les jeunes ne sont pas tous des voyous, des victimes ou des assistés.
©Reuters

Tanguy, c'est fini

Le taux de chômage des jeunes atteint 22,1% en Europe. Le Parlement européen vient donc d'adopter une résolution qui demande à l'Union européenne de faire davantage d'efforts pour lutter contre ce phénomène. Dans le même temps, la moitié des Français de 18-24 ans ont envie de créer leur entreprise, selon un sondage annuel de l'Ifop. Souvent représentés comme des "Tanguy", ils veulent au contraire se montrer entreprenants. Reste à leur en donner les moyens.

Cécile Van de Velde

Cécile Van de Velde

Cécile Van de Velde est sociologue de la jeunesse, des générations et des âges de vie. Ses recherches portent sur les modes d'entrée dans la vie adulte les politiques publiques, les parcours de vie et relations entre générations en France et en Europe. 

Elle a publié en 2008 Devenir adulte : Sociologie comparée de la jeunesse en Europe aux Editions Presses Universitaires de France.

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Atlantico : Malgré la crise et des conditions socio-économiques difficiles, les jeunes Français semblent rester optimistes et désireux de commencer une vie adulte plus tôt, selon plusieurs sondages. Cela semble en contradiction avec l'idée communément admise...

Cécile Van de Velde : Il faut nuancer ce premier constat : la plupart des enquêtes menées sur le sujet montrent que le pessimisme des jeunes Français n’est pas un fantasme et qu’un sentiment de déclassement socio-professionnel se diffuse au sein des jeunes générations françaises. C’est d’autant plus prégnant en perspective comparative : une enquête récente de l’OCDE montre que les jeunes Français sont par exemple les plus stressés au monde à l’école avec les jeunes Japonais, et en queue de peloton sur la confiance envers la société pour leur faire une place.

Actuellement, les jeunesses du nord de l’Europe, d’Amérique du Nord ou du Royaume-Uni se révèlent, en moyenne, bien plus optimistes. Ceci dit, il ne faut pas céder à une conception exclusivement misérabiliste de la jeunesse française. Si les jeunes commencent à douter de la méritocratie et de la seule garantie du diplôme pour s’en sortir, ils croient de plus en plus en leurs efforts personnels pour réussir et développent un rapport particulièrement affectif au métier.

Leur aspiration à l’autonomie se révèle également forte et précoce : si elle est bridée actuellement par les difficultés économiques, leur capacité à construire une autonomie personnelle, même en restant sous dépendance parentale, est frappante. En fin de compte, on a une jeunesse bien plus pugnace que les images à la « Tanguy » qui sont parfois véhiculées.

Les jeunes Français estiment qu’il est de plus en plus difficile de s’en sortir dans cette société, car une certaine idée les accompagne : ils doivent vivre quelques années de galère, être soutenus par leurs parents plus longtemps, alors qu’ils ont envie de se démarquer. Cette vision est-elle justifiée ?

En France, on a historiquement construit la « jeunesse » comme un temps à part, en l’associant à la phase d’études et d’insertion sur le marché du travail, avant l’accès à l’emploi stable, et en la maintenant symboliquement sous tutelle familiale. De ce fait s’est créée une coupure politique et sociale entre les « jeunes », même majeurs, et les dits «adultes ».

En termes de politiques sociales, l’Etat n’intervient que de façon ponctuelle avant 25 ans et consacre plutôt la solidarité familiale pour prendre en charge les jeunes majeurs. Les aides elles-mêmes sont peu directes et s’adressent en partie à leurs parents. Sur le marché du travail, l’insertion pour les « primo-entrants » ou pour les étudiants n’est pas aisée. Les banques elles-mêmes font peu confiance aux jeunes et demandent souvent des cautions parentales ; l’accès au logement n’en est pas facilité.

Bref, on observe un manque de confiance généralisé envers les jeunes, et l’intériorisation de l’idée qu’il est nécessaire d’attendre et de cumuler les attributs (diplôme, stages, expérience) avant de pouvoir faire sa place. On se rapproche en certains points des pays du sud de l’Europe, qui misent principalement sur la famille pour réguler la longue période d’attente ou de précarité sur le marché du travail, au moment même où, avec la crise, ces solidarités familiales trouvent leurs limites.

Les modèles sociaux-démocrates (au nord de l’Europe), ou libéraux (comme au Royaume-Uni ou en Amérique du Nord), développent un tout autre rapport à la jeunesse, en la considérant plus rapidement comme « adulte » : le regard social est sur ce point moins tranché. Ce qui a des avantages : les jeunes sont (en général) insérés plus tôt sur le marché du travail et se sentent d’ailleurs davantage reconnus comme des adultes.

Mais ça a aussi des revers : la pression financière est très lourde, notamment pour accéder aux études (plus chères) et au logement. La question du surendettement étudiant et juvénile émerge dans le débat public, comme nous avons pu le voir dans les mouvements étudiants récents.

Cette situation française est-elle liée aux effets du paternalisme qui a accompagné notre évolution culturelle ?

Pour le dire autrement, la France a construit sa hiérarchisation des âges sur l’idée que l’on est « adulte » et citoyen à part entière, que lorsqu’on est réellement inséré dans un emploi stable. Or, cela arrive de plus en plus tard. La période qui s’intercale est relativement peu connue, et fait l’objet de représentations souvent biaisées, déformées parfois par les relais médiatiques.

Un sondage récent de l’Afev laisse entrevoir toute la tension entre deux représentations fortes de la jeunesse : la jeunesse malchanceuse et la jeunesse dangereuse. Cette tension caractérise bien le rapport français aux jeunes, distinguant des jeunesses à « insérer », victimes de difficultés sociales majeures, et des jeunesses à « canaliser » - en général, les jeunes des quartiers. Les jeunes sont considérés aujourd’hui soit comme des classes victimes ou comme des classes menaçantes.

Même si on le retrouve dans d’autres pays, ce double regard, oscillant entre compassion et répression, est particulièrement accentué en France, du fait d’un investissement social et familial important dans l’éducation et d’une forte stigmatisation politique et médiatique de certains quartiers populaires. Ces deux phénomènes accentuent un regard paternaliste sur la jeunesse.

On dénonce souvent la rigidité des institutions françaises, qui ont tendance à se crisper encore plus avec la crise, alors qu’on a dans le même temps une jeunesse contente d’entreprendre, et qui bouge énormément. La confrontation de ces deux tendances ne sacrifie-t-elle pas certains jeunes qui faute d’être portés finissent par lâcher prise ?

Avec la crise, ce sont aujourd’hui les jeunesses méditerranéennes qui sont les plus touchées, et qui se retrouvent confrontées à des difficultés sociales plus massives que les jeunes Français, avec par exemple 46% de taux de chômage parmi les jeunes actifs Espagnols.

Ce n’est pas un hasard si on les retrouve aujourd’hui très mobilisés, en Espagne ou en Grèce, sous des slogans tels que « Ma vie à crédit » ou « nous ne paierons pas votre dette ». La crise et les plans d’austérité les touchent particulièrement et place leur vie dans une forme d’impasse sociale. Cette impasse est moins prégnante en France, où le système éducatif canalise encore les efforts individuels et familiaux.

Mais émergent aussi en France des jeunesses oubliées ou invisibles, confrontées également à une impasse, dans certains milieux ruraux, péri-urbains, ou chez certains jeunes étiquetés en « échec scolaire » (cette appellation est tout à fait révélatrice du regard social qui pèse sur eux), parmi lesquels l'espoir de s’en sortir sont faible. Chez eux, l’adhésion à notre projet social s’effrite.

Pour tous, le cadre français est particulièrement oppressant quant au poids de la compétition scolaire, de l’orientation et du choix du diplôme : les jeunes Français apparaissent souvent tiraillés entre une logique de vocation personnelle et la nécessité imposée de réussir précocement, avec peu de passerelles ou de mobilité au delà des seules années d’étude et de jeunesse.

Nos voisins européens ont-ils fait le choix de parier sur leur jeunesse ?

Aujourd’hui, ce sont nos voisins du nord de l’Europe qui misent le plus fortement sur l’éducation et la jeunesse. Face à la crise, ils ont déployé les filets de sécurité étatique pour accompagner les jeunes chômeurs de longue durée et ont maintenu leurs aides généreuses envers les étudiants pour favoriser la flexibilité des parcours et le retour aux études, même si le chômage juvénile et les difficultés d’accès au logement y ont également augmenté.

Dans nombre d’autres pays, la question de l’endettement juvénile devient préoccupante et risque de s’accentuer dans les années à venir, que ce soit dans les pays libéraux, pour accéder aux études, ou dans les pays du Sud de l’Europe, pour accéder au logement. Cet endettement engage un pari sur l’avenir, qui se retrouve compromis quand la crise économique et la pénurie d’emplois viennent mettre à mal les possibilités de remboursement.

Comme nombre de mouvements sociaux le suggèrent des deux côtés de l’Atlantique, les questions de la dette publique, de la dette individuelle et des jeunes générations tendent peu à peu à s’entremêler. En France, la question posée est davantage celle du poids croissant du milieu familial d’origine pour réussir, qui a été avéré dans plusieurs enquêtes récentes, et qui met à mal notre modèle de justice sociale.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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