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Une étude du MIT découvre que les villes ne sont plus les pourvoyeurs d’opportunités économiques qu’elles ont longtemps été
©MARTIN BUREAU / AFP

Des villes et des désavantages

Selon une nouvelle étude du Massachusetts Institute of Technology, les villes «superstar» ne sont pas tout ce qu'elles sont censées être, en particulier pour les diplômés des périphéries, des banlieues ou pour les classes moyennes qui ne perçoivent pas de très hauts salaires.Les emplois restants dans les villes sont principalement des emplois bien rémunérés pour des travailleurs hautement qualifiés et spécialisés dans des secteurs tels que les banques, ou des emplois peu rémunérés dans les services alimentaires, le nettoyage, la sécurité. Et la Covid-19 pourrait aggraver les choses.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Comment expliquer ce phénomène ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels en sont les principaux facteurs ? Pourquoi les villes ne sont plus pourvoyeuses d’opportunités comme elles l’avaient pu l’être autrefois ? 

Michel Ruimy : La mondialisation a donné une véritable impulsion à la métropolisation. La multiplication des échanges internationaux, en relation avec le développement des réseaux de transports et de communications, a accentué la concentration de métiers à haute valeur ajoutée sur les grands axes et sur les principaux nœuds bénéficiant des différentes formes d’interconnexion (gares, aéroports, autoroutes…). Les « villes mondiales » sont des agglomérations qui détiennent les principaux pouvoirs politiques, économiques et financiers. 

Elles sont devenues d’importants relais de croissance pour dynamiser l’économie et élever le niveau de vie de l’ensemble de la société. Elles attirent en offrant des perspectives d’emploi nombreuses et variées, favorisant ainsi l’exode rural. Près de la moitié des postes à pourvoir en France le sont dans les 13 principales villes ! Pour trouver du travail, il ne « suffit pas de traverser la rue », tout dépend de quelle rue nous parlons. L’emploi en France est donc très polarisé. 

Les villes d’importance sont le « terrain de jeu » des techniciens, des cadres moyens et supérieurs (Les « bac+5 » sont plus recherchés, particulièrement dans l’agglomération parisienne, où ils représentent environ 30% des offres d’emploi). Ce constat infirme l’idée qui veut que, grâce aux nouvelles technologies, nous pouvons travailler de partout. Il s’agit d’une tendance émergente mais, dans les faits, l’emploi, notamment l’emploi technologique, est encore très localisé. Très peu de place pour les non-diplômés dans les plus grandes agglomérations d’autant que du fait notamment de la tertiarisation de l’économie, de la hausse du prix de l’immobilier urbain…, il est plus avantageux, pour les entreprises, d’investir « un peu plus loin ». Quand on s’éloigne des métropoles, les métiers techniques et manuels deviennent plus recherchés. 

Par ailleurs, un autre mouvement se fait jour. Sous l’effet du dynamisme démographique urbain (En 1800, 3% de la population mondiale habitait en ville contre 50% aujourd’hui et, selon certaines études, 70% dans 40 ans, avec la poursuite du développement tentaculaire de mégalopoles), les villes ont tendance à s’étaler dans l’espace : des petites villes ou des villages se retrouvent enserrés et intégrés à la banlieue pour répondre aux vœux de certains de pouvoir accéder à la propriété et de s’éloigner de la pollution sous toutes ses formes. Toutefois, ces migrations ne s’accompagnent que rarement d’une promotion sociale. Comme si, en région, la qualité́ de vie primait sur la carrière professionnelle.

La crise du Covid-19, le nombre de jeunes sur le marché du travail en septembre prochain, les conditions de vie (notamment sur le plan économique) ou bien encore la rentrée difficile tant redoutée sur le front de l’emploi ne vont-ils pas accentuer encore plus ce phénomène ?

Michel Ruimy : Avec la crise du coronavirus et le confinement, les désirs de grands espaces et de qualité de vie des Français ont été exacerbés. Nombreux sont ceux qui dès la mi-mars ont pris la route direction leur résidence secondaire, en dehors des grandes agglomérations. Cette tendance à l’« exode urbain » interroge. Avec moins de pollution, moins de densité de population et un foncier plus abordable, les villes moyennes de province seraient-elles en mesure de prendre leur revanche ?

Déjà, l’Île-de-France fonctionne comme une « pompe aspirante et refoulante ». Elle attire beaucoup de jeunes pour leurs études et le premier emploi mais, au moment du premier enfant ou du deuxième, ils déménagent en province. Les villes moyennes répondent à leurs aspirations actuelles pour un logement plus grand et financièrement accessible, des temps de trajet réduits, une vie moins stressante… Mais il ne faut pas exagérer l’importance de ces migrations, même si leurs effets sur les prix locaux de l’immobilier et le marché́ du travail sont bien réels. Les migrations dont bénéficient les métropoles sont, plus souvent, inter-régionales qu’interrégionales.

Or, quels que soient les atouts des villes moyennes en termes de cadre de vie, la question de l’emploi demeure centrale pour déclencher un déménagement, d’autant plus dans un contexte de crise économique annoncée. Or, c’est précisément là où le bât blesse. Le « nouveau » pouvoir d’attraction de ces villes est inégal et une grande hétérogénéité demeure. Laquelle ne sera pas forcément atténuée par la crise du coronavirus. Certaines auront beaucoup plus de facilités à « se vendre ». Et, il faudra certainement plus que la crise sanitaire pour venir bousculer les clichés géographiques. Quitte à sortir des métropoles, certains préféreront la campagne plutôt que des villes moyennes.

La crise sanitaire a totalement redistribué les vulnérabilités de nos métiers et renforcé les inégalités entre les travailleurs. Si les prévisions actuelles concernant l’automne se confirment (Des « centaines de milliers » de personnes perdraient leur emploi), il est certain que cette métropolisation de l’activité économique risque de s’accentuer d’autant que les entreprises sont, dans les faits, très peu nombreuses à déménager : leur taux de mobilité́ est inferieur à 3% et moins d’un tiers de ces mouvements sont interrégionaux. 

À l’issue des municipales, quels pourraient être les outils ou les moyens qui pourraient être déployés par les maires afin d’inverser cette tendance et d’éviter ce triste constat ?

Michel Ruimy : Il est nécessaire de poser des jalons sur le rôle capital que joueront les collectivités locales pour gérer l’après Covid-19, en particulier sur la relance économique du pays. Elles doivent, au plus tôt, anticiper les besoins immenses de la nouvelle société qui émergera de la crise (éducation, santé, protection de l’environnement, enseignement supérieur, culture, tissu associatif dans toutes ses dimensions, construction d’un nouveau modèle urbain…). Le temps est venu pour que les collectivités assument leur rôle, aux côtés de l’Etat, au service de tous les citoyens, mais aussi des entreprises et des acteurs sociaux. 

Pour que les villes moyennes réussissent à être attirantes, il faut des infrastructures, des installations physiques et un environnement bâti adéquat pour encourager les investissements, attirer les entreprises et créer de l’emploi. Il faut aussi une structure économique diversifiée, une bonne gouvernance et des services publics. Il faut aller vers une France plus polycentrée qui repose sur un système de villes connectées avec leur environnement rural. 

Se posera alors la question des capacités budgétaires. Pour ce faire, il faudra imaginer une nouvelle architecture des finances publiques locales. Un défi colossal. Les villes moyennes ont les moyens de faire pression. Avec la crise du coronavirus, on a pu observer les défauts de la délocalisation et la nécessaire relocalisation de certaines productions. Il faut que la réindustrialisation se fasse dans les petites et moyennes villes et elles ont tout intérêt à rappeler qu’elles sont là. Sans cela, il n’y aura pas d’exode massif mais peut-être simplement quelques ajustements. 

Dans cette optique, le programme Action Cœur de Ville, lancé en 2018 à hauteur de 5 milliards d’euros, qui vise à redynamiser 222 villes moyennes en déclin urbain, pourrait se retrouver sur le devant de la scène. Il porte déjà ses fruits. Entre 2018 et 2019, grâce à la rénovation et la construction de logements, les transactions immobilières ont augmenté de plus de 10%. Une bonne base mais elle invite de repenser, de manière urgente, le centralisme à la française par une large politique urbaine nationale au risque de se retrouver avec des métropoles encore plus étalées. Avec à la clef, des services publics de plus en plus éloignés, des trajets domicile-travail plus long et avec ce que cela implique en termes d’émissions gaz à effet de serre. Ce serait synonyme d’un bond en arrière de 20 ans.

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