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Un sondage montre que les euro-sceptiques pourraient obtenir un tiers des voix au Parlement européen : mais quel pouvoir peuvent-ils en attendre ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Nouvelle force

Dans la perspective des élections européennes du mois de mai prochain, le ECFR (European Council on Foreign Relations) a publié un rapport montrant que les mouvements d'extrême droite européens seraient en mesure de prendre 132 sièges au Parlement.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Dans la perspective des élections européennes du mois de mai prochain, le ECFR (European Council on Foreign Relations) a publié un rapport montrant que les mouvements d'extrême droite européens seraient en mesure de prendre 132 sièges au Parlement. Dans de telles circonstances, quels seraient les moyens de pression les plus efficaces de ces partis ? 

Cyrille Bret  : Tirer la sonnette d’alarme est indispensable. Car la situation est préoccupante. Le prochain Parlement européen comptera assurément plus d’eurodéputés nationalistes, parmi ses 705 membres, que durant la précédente mandature (2014-2019). L’ECF prévoit en effet l’élection, d’une part, 132 eurodéputés d’extrême droite (Ligue et M5S italiens, RN français, PVV néerlandais, AfD allemand, FPÖ autrichien, etc.) et de 65 eurosceptiques (PiS polonais, Fidesz hongrois, Démocrates Suédois, etc.). Cela conduirait, en pure arithmétique à un ensemble hostile à la construction européenne de 197 députés sur 705 eurodéputés. En particulier, ces résultats, s’ils se confirmaient, permettraient la constitution d’un groupe ou de groupes parlementaires européens plus puissants qu’aujourd’hui. A l’heure actuelle par exemple, le groupe de l’Europe des Libertés et des Nations (ENL) où siègent la Ligue, le FN et le FPÖ est le plus petit des groupes parlementaires avec 37 membres loin derrière les 217 eurodéputés du Parti Populaire européen. Ce que le rapport de l’ECFR montre avec justesse, c’est que le poids relatif des partis d’extrême droite dans le prochain Parlement européen sera bien plus grand. Cela aura des conséquences, assurément, sur le fonctionnement du Parlement européen. Ces partis ont depuis longtemps fait du Parlement européen une caisse de résonnance et même une scène pour mettre en évidence leur opposition virulente à l’Europe. En outre, ils réclameront à juste titre des présidences ou des vices-présidences de commissions et de délégations parlementaires. Ils chercheront naturellement à infléchir ordres du jour, rapports, travaux parlementaires et amendements.

En somme, si ces partis croîtront, ils ne submergeront pas le prochain Parlement européen.

Selon l'ECFR, le processus législatif pourrait en être perturbé. Ce pronostic est-il réaliste ou est-ce que l'architecture européenne pourrait résister à un groupe minoritaire de 132 députés ? 

Depuis le début de l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, le Parlement a toujours été dominé largement par le Parti Populaire Européen (PPE) et par les sociaux-démocrates du S&D. Cela reflète à la fois l’histoire de la construction européenne où ces deux courants politiques ont contribué à l’édification de l’Europe mais aussi la bipolarisation classique des vies politiques en France, en Allemagne, en Autriche, en Italie, etc. Aujourd’hui, la scène politique nationale et européenne est en recomposition rapide. Dans les Etats membres fondateurs, les forces politiques classiques pro-européennes sont en reflux : le parti socialiste français, la démocratie-chrétienne italienne, le SPÖ autrichien ou encore la coalition CDU-CSU font face à une méfiance croissante la part des électeurs. Cela a bénéficié à des partis d’extrême droit : le FN devenu RN en France est plusieurs fois parvenu au deuxième tour de l’élection essentielle, la présidentielle. En Italie, la croissance de la Ligue (anciennement du Nord) et du M5S consacre la fin du système politique d’après-guerre. En France, en Pologne, aux Pays-Bas, etc. des partis libéraux modernistes et pro-européens ont pris leur essor : La REM en France, Démocrates 66 aux Pays-Bas, Ciudadanos en Espagne, Wiosna récemment en Pologne, etc. Tous ces partis concourent à un profond renouvellement de l’offre politique locale.

Et ces mouvements tectoniques vont se matérialiser dans le prochain Parlement européen. Bien entendu, les partis d’extrême droit vont essayer de constituer un large groupe parlementaire. On le voit dans l’étude de l’ECFR, la Ligue risque de rassembler

Mais d’autres forces plus européistes vont faire leur entrée au Parlement européen. Aujourd’hui la REM est mesurée à plus de 20 sièges sur les 79 que comptera la France dans le prochain Parlement européen. De même, le parti laïc, moderniste et écologique Wiosna mené par Robert Biedron en Pologne est susceptible d’envoyer un contingent de 10 eurodéputés.

Il essentiel de souligner deux points pour modérer la sonnette d’alarme tirée par l’ECFR. Premier point, les partis souverainistes sont loin de constituer un bloc. On se souvient des négociations sans fin entre eux en 2014 et 2015 pour la constitution du groupe ENL et du groupe des conservateurs et réformistes européens (CRE) où siègent les conservateurs du PiS polonais. Bien des points les séparent. D’un côté, la filiation politique est loin d’être la même entre les démocrates-chrétiens conservateurs voire réactionnaires du PiS polonais et du Fidesz hongrois et des extrémistes largement sécularisée du Rassemblement National et de la Ligue. D’un autre côté, la question du programme politique est loin d’être réglée. Certes, en apparence ces partis sont d’accord sur le rejet de l’islam, du fédéralisme et des élites traditionnelles. Mais bien des points les divisent. C’est le deuxième point.

Deuxième point, les antagonismes programmatiques entre ces partis. Concernant la politique extérieure, la Ligue et le RN sont pro-russe alors que le PiS polonais et les agrariens baltes sont atlantistes et pro-américains. Concernant l’euro : le M5S a toujours demandé un référendum sur la sortie de l’euro, comme le RN a souvent laissé entendre que l’euro était contraire à la souveraineté nationale. En revanche, des partis comme le FPÖ autrichien et le PVV néerlandais sont pour le maintien de l’euro : leurs pays d’origine sont trop dépendants des échanges intra-communautaires pour que ce volet de la construction européenne soit mise en question. Et il en va ainsi sur de nombreux points.

Plus que le poids numérique, c’est la division programmatique qui limite les capacités d’influence des eurodéputés souverainistes au prochain Parlement européen.

En quoi ce vote pourrait-il, ou non, transformer l'Union dans les années à venir ?

Le premier objectif d’un bloc nationaliste au Parlement européen sera de peser sur les nominations à la Commission européenne qui assure une large partie des pouvoirs exécutifs dans l’Union européenne, au côté du Conseil. En effet, le système de la Commission a été largement démocratisé et européanisé. Le prochain président de la Commission européenne sera nommé selon la procédure du Spitzenkandidat : c’est le parti européen arrivé en tête aux élections qui le désignera le président chargé de constituer ensuite un collège des commissaires. Or, dans cette négociation, si la présidence échappera aux partis souverainistes, en revanche la nomination des commissaires sera en partie influencée par eux.

Plus largement, la tonalité risque de changer dans toutes les institutions européennes pour les années de la prochaine mandature (2019-2024) : plusieurs gouvernements nationaux sont ouvertement eurosceptiques (Pologne, Hongrie, etc.), plusieurs partis eurosceptiques gagnent en audience nationale et européenne (Ligue, Fidesz, etc.), le Brexit a suscité de nombreux fantasmes centrifuges malgré les risques qu’il fait courir au Royaume-Uni. Depuis 2015 et le vote du Brexit, le flambeau du souverainisme a été repris par le groupe de Visegrad à l’est de l’Europe et par une alliance entre le RN, la Ligue, le FPÖ et le PVV à l’Ouest de l’Europe.

La prochaine mandature sera décisive pour l’avenir de la construction européenne.

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