Un rapport sénatorial dénonce l'aggravation de la situation dans les établissements scolaires français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le portrait de Samuel Paty, assassiné par un terroriste en 2020.
Le portrait de Samuel Paty, assassiné par un terroriste en 2020.
©Bertrand GUAY / POOL / AFP

Catastrophique

Le Sénat français vient de rendre publiques les conclusions d'une enquête parlementaire lancée à la suite de l'assassinat du professeur Samuel Paty. Les conclusions sur l'état des écoles françaises sont alarmantes et montrent que la situation ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années.

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun a étudié à l'École Normale Supérieure de Paris. Elle a enseigné la littérature et la civilisation françaises à Harvard et a obtenu un doctorat en Histoire à la Sorbonne. Elle est l'auteur de l'Histoire de l'Autriche (Perrin, 2021).

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Les sénateurs ont formulé un certain nombre de recommandations pour tenter d'enrayer le phénomène.

La commission d'enquête a été créée après l'assassinat du professeur d'histoire Samuel Paty, décapité par un terroriste islamiste d'origine tchétchène en octobre 2020, à la demande de la sœur de l'enseignant, qui estimait à l'époque que rien n'avait été fait par le système éducatif pour empêcher la mort de son frère. L'enseignant avait fait l'objet de pressions et de menaces répétées qui avaient été portées à la connaissance de la hiérarchie du ministère de l'éducation nationale, en vain.

Deux sénateurs, l'un issu des rangs des Républicains et l'autre de l'Union centriste, ont présenté leurs conclusions lors d'une longue audition au Sénat le mercredi 6 mars. Ils dénoncent la montée inexorable de la violence, un phénomène bien connu, mais surtout l'aveuglement de l'institution. Les chiffres de l'éducation nationale sont manifestement en décalage complet avec la réalité du terrain, et l'administration opte systématiquement pour un parti pris visant à les minimiser. Laurent Lafon, l'un des deux rapporteurs, donne cet exemple : « Les chiffres du ministère de l'Education nationale nous apprennent que 0,2% des enseignants des collèges et lycées déclarent avoir été menacés avec une arme au cours de l'année scolaire. Cela peut paraître très faible, mais cela concerne près de 900 enseignants. Cela fait 4 par jour. »

Les rapporteurs décrivent la détérioration de la vie quotidienne des enseignants, qui sont régulièrement menacés et agressés verbalement et physiquement par les parents. Les enseignants ne sont pas les seuls touchés : les personnels éducatifs tels que les chefs d'établissement et les conseillers d’éducation sont également victimes.

Face à la montée de la violence, les enseignants adoptent souvent une stratégie d'autocensure, dans des matières sensibles comme les sciences naturelles ou l'histoire : ils n'abordent pas les sujets qui fâchent pour ne pas être mis en cause sur les contenus qu'ils enseignent.

La banalisation de l'islam radical est le phénomène qui inquiète le plus les auteurs du rapport sénatorial. Ils constatent que l'expression « faire une Paty », en référence à la décapitation du professeur d'histoire, est passée dans le langage courant des enseignants qui vivent au quotidien avec cette menace proférée par certains élèves. « J'ai vu un enseignant à la fin de sa journée, (qui se réjouissait de) ‘ne pas avoir subi une Paty’ aujourd'hui", explique le sénateur LR. « C'est la situation telle qu'elle existe. La montée des revendications identitaires et communautaires, la manifestation de l'islam radical et de certaines nouvelles formes de spiritualité ne doivent pas être ignorées. »

Face à l'ampleur du phénomène, les rapporteurs estiment que les réponses apportées par les établissements scolaires sont très insuffisantes. Ils formulent 38 recommandations pour faire évoluer la situation. Ils considèrent que l'enseignement de la laïcité dans sa forme actuelle, confiné à quelques heures limitées du programme d'enseignement moral et civique, est inefficace et doit être étendu. Ils appellent également à une refonte complète du système de sanctions, avec une harmonisation au niveau national : « Les sanctions et le corpus disciplinaire doivent être revus, en simplifiant les procédures, en rationalisant les recours et en revoyant la composition des conseils de discipline. »

Enfin, le rapport pointe un phénomène bien connu des enseignants, et qui a déjà donné lieu à des vagues de mobilisation des professeurs sur les réseaux sociaux par le passé : le hashtag #pasdevagues. Ce hashtag a été utilisé dans plusieurs campagnes virales sur Twitter ces dernières années, pour dénoncer l'absence de réaction de la hiérarchie scolaire face au harcèlement et à la violence que subissent les enseignants. Un manque de réaction qui peut parfois aller jusqu'à des pressions sur les enseignants pour qu'ils se taisent, avec des motifs tendancieux tels que « éviter de faire le jeu du Rassemblement National. »

L'une des dernières manifestations de cet état d'esprit « pas de vagues » est la sortie, le 18 janvier 2024, d'un film précisément intitulé Pas de vagues, largement financé par des fonds publics, qui raconte l'histoire d'un enseignant en couple homosexuel avec un homme d'origine maghrébine et subissant les moqueries homophobes d'une de ses élèves, une jeune fille blanche. Ce scénario, totalement improbable et ubuesque, à mille lieues de ce que vivent les enseignants dans leurs collèges et lycées, est emblématique de l'aveuglement de l'Education nationale qui pense certainement que de telles productions répondent à un besoin pédagogique et citoyen, alors qu’elles mettent en scène des situations improbables qui n'existent tout simplement pas.

Le contenu du rapport sénatorial publié le 6 mars n'est pas fondamentalement nouveau, et le document fait suite à toute une série de documents qui ont déjà tiré la sonnette d'alarme, en vain, sur les ravages de l'islam radical dans les écoles françaises. La nouveauté réside peut-être dans l'accent mis sur la « solitude de l'enseignant », confronté chaque jour à des conditions d'enseignement de plus en plus difficiles et ne pouvant compter sur le soutien d'aucune hiérarchie professionnelle pour faire face à des crises de plus en plus complexes et dangereuses.

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