Un portrait robot du Français en vacances (vu par ces perfides touristes étrangers)<!-- --> | Atlantico.fr
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Russes et Britanniques seraient les pires vacanciers.
Russes et Britanniques seraient les pires vacanciers.
©Reuters

Voyage voyage

Russes et Britanniques sont les pires vacanciers, selon les Allemands et un sondage du voyagiste allemand Urlaubstour dévoilé début juin. Les Français, eux, laissent plutôt une bonne image Outre-Rhin. Mais les touristes de l'Hexagone ne sont pourtant pas exempt de tout reproche...

Franck Michel

Franck Michel

Franck Michel est anthropologue, responsable de l’association Déroutes & Détours et de la revue en ligne L’Autre Voie (www.deroutes.com). Il partage sa vie entre la France et l’Indonésie. Récemment, il a publié Voyages pluriels (2011), La marche du monde (2012) et Éloge du voyage désorganisé (2012), aux éditions Livres du monde à Annecy.

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Jean-Michel  Hoerner

Jean-Michel Hoerner

Professeur de géopolitique et auteur d'un livre récent, Tourisme et mondialisme, publié chez Balzac Éditeurs avec le concours de l'IEFT-IDRAC en novembre 2013.
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Atlantico : Selon un sondage publié par une agence de voyage allemande, (voir ici) les Allemands qui ont eu des mauvaises expériences jugent les Français impolis (44 %) et antipathiques (40%). Quels sont les griefs régulièrement et traditionnellement émis à leurs égards ? 

Franck Michel : Dans la relation entre Allemands et Français, il faut bien admettre – sans pour autant généraliser ce fait – que les premiers se montrent souvent plus ouverts que les seconds. Peut-être que cela explique le côté "impolis" et " antipathiques" qu’on reproche parfois Outre-Rhin aux Français. Il importe de se méfier à la fois de ce type de sondages (qui au mieux ne nous montre qu'une "tendance" du moment, toujours approximative) et des préjugés que l’on porte traditionnellement sur tel ou tel peuple. Cela dit, ce n’est un scoop pour personne, du moins pas pour ceux qui ont un peu arpenté les quatre coins de la terre, de constater que les clichés culturels – culturalistes – ont la vie dure. Pourtant, comme cela est également le cas pour la rumeur, il y a toujours une part de "vrai" sinon de vérité dans le cliché ressassé continuellement. 

On reproche globalement aux Français en goguette de râler trop souvent, de ne pas pratiquer les langues étrangères. Assez souvent, des Français en voyage à l’étranger exigent plus ou moins gentiment des guides parlant le français. Combien de fois ai-je entendu, "ah, désolé je ne parle que le français, et si je ne parle pas d’autres langues ben c’est aussi parce que le français est la plus belle langue du monde, non ?". On leur reproche aussi de ne pas s’empresser de donner des pourboires. Hélas, souvent par désespoir mais aussi pour tenter tout de même de gagner un peu de pourboire, le guide, qu’il soit kenyan, péruvien ou laotien, finit par répondre "ah, oui bien sûr…". 

Le véritable souci – c’est ce que souvent les personnes des pays visités, surtout celles des anciennes colonies françaises, reprochent amèrement aux Français – est le sentiment de supériorité qui continue de dominer des pans entiers de clientèles touristiques françaises. Mais, une fois encore, attention à ne pas généraliser et à verser dans un essentialisme de saison, car tout dépend de la destination, des rapports à l’histoire et à la géopolitique. Je me souviens de plusieurs guides indonésiens, parfaitement francophones, qui ne souhaitaient plus accompagner des clients-touristes français mais seulement des Suisses, des  Belges ou des Québécois… Il est courant de constater que des citoyens de "petits pays" prennent lors de vacances hors de leurs frontières des airs moins prétentieux. Les touristes français traînent une farouche réputation derrière eux, celle de vouloir donner de leçons à tout le monde rencontré sur leur passage… Ainsi, deux exemples : les clichés de "french lover" et de "spécialiste du vin" semblent bien ancrés dans de nombreux pays. Il est ainsi cocasse de voir qu’au bout du monde, un Français médiocre dragueur ou ne connaissant rien au pinard national se voit plutôt facilement et injustement flatté là où un Anglais ou un Allemand n’ont pas la même chance… 

Quand on arrive à l’heure des repas, certains Français perdent leur sang-froid à moins qu’ils ne dévoilent une face sombre de leur personnalité. Au sud du Chili, j’ai par exemple vu un touriste franchouillard qui, au petit-déjeuner, devant un bol de bouilli à base de céréales locales, ne trouve rien de mieux à redire que "Mais c’est quoi ce vomi, ils ne sont donc pas capables de faire à bouffer ici, ça n’arriverait pas chez nous !"

Cela dit, à l’étranger, les Français sont souvent appréciés pour leur intérêt pour la culture, prise dans son acceptation la plus large, cela pouvant aller des rites de carnaval à Salvador à une cérémonie traditionnelle chez les Hmong au Vietnam, de l’architecture des Dogons aux chants si particulier des Inuits du Grand Nord… Les Français se montrent volontiers curieux de tout, parfois trop. Cela plaît ou agace, c’est selon. 

Toujours selon ce sondage, on apprend (voir ici) que les vacanciers allemands sont plutôt cléments avec les Français : 12 % d’entre eux ont eu une mauvaise expérience avec les touristes Français, alors qu’ils se plaignent de leurs homologues Russes (65 % de mauvaises expériences) et Britanniques (43 %). Comment analyser ce sondage plutôt bon pour la France, alors que les Français sont pourtant depuis des années placés sur le podium des pires touristes du monde ? Les touristes allemands reprochent en outre aux Russes et aux Britanniques leur consommation excessive d’alcool. Quels sont les traits culturels des Français que l'on peut-on observer ?

Franck Michel : Si les Français traînent une mauvaise réputation de "radins", de "râleurs" et de "donneurs de leçons", on les aime un peu partout – et chez les Allemands notamment – pour leur "qualité de vie". Parfois mythifiée à l’excès. Mais qu’importe, le tourisme est avant tout une industrie destinée à vendre du rêve, ne l’oublions pas. A tel point que même une manif politique ou grève SNCF peut apparaître pour un touriste venu du Nord comme un élément traditionnel et sympathique… Parfois. Mais on pardonne souvent à la France ses manquements et ses haussements d’épaule car n’est-ce pas la patrie des droits de l’homme et de la révolution permanente ? Deux autres clichés qui ont la vie dure et qui servent si bien les touristes français en vacances à l’étranger… 

Jean-Michel Hoerner : Les jugements portés sur les touristes étrangers sont généralement assez mauvais partout, et pour les Allemands qui ne considèrent pas le tourisme comme une activité fondamentale, cela demeure très logique. Tant que le tourisme ne deviendra pas une activité économique suffisamment organisée, les touristes étrangers présenteront tous les défauts, notamment dans les pays aisés où les recettes touristiques ne sont pas fondamentales par rapport aux autres productions économiques. Le problème des cultures nationales consiste souvent à ne pas vouloir intégrer le tourisme international dans leurs processus de développement économique, et donc à n’y voir que des inconvénients. Le tourisme international concerne près de 1,1 milliard de séjours annuels dans le monde avec une recette de quelque 1 000 milliards d’euros.

Existe-t-il une différence entre la façon dont se comportent les touristes étrangers en France et la façon dont ils se comportent à l’étranger ? Comment se traduit-elle ?

Franck Michel : Il y a deux types de touristes : ceux de proximité, les Français en Allemagne par exemple, et ceux qui viennent de loin comme les Russes et les Britanniques. On peut considérer que les frontaliers visitent leurs voisins allemands sans ostentation et en toute simplicité, sans qu’il y ait un rapport de supériorité, alors que les Russes et les Britanniques qui vont en Allemagne sont des touristes aisés appartenant à une classe sociale supérieure, et cherchent sans doute à afficher leur supériorité estimée. Partout, les pires touristes sont ceux qui visitent un autre pays que le leur en s’estimant supérieurs aux populations locales, ce qui confirme que le tourisme international s’inspire en partie du colonialisme…

Tous les touristes s’adaptent peu ou prou à leur destination. En voyage, le touriste véhicule un barda culturel souvent pesant, et cela lui fait entretenir bon nombre d’idées-reçues sur les cultures dites locales. Souvent, c’est le type de destination, avec les activités et services proposés, qui font le touriste. Qu’importe la nationalité de ce dernier. Partout de bons touristes côtoient de mauvais touristes et, oublions la nationalité, car au final c’est toujours l’individu-voyageur qui fera ou non de son périple un exemple de tourisme sain ou malsain. De découverte authentique ou de prédation abjecte. Chaque touriste est un individu unique qui circule d’un point à un autre, à partir de ce constat il n’appartient qu’à lui de bien se comporter et d’opter pour un séjour de qualité, ouvert vers les autres plutôt que replié autour de ses certitudes.

Plusieurs "touristes-délinquants" français avaient défrayé la chronique en 2011 à Barcelone. Cette délinquance commise à l’étranger est-elle un phénomène de plus en plus important ?

Franck Michel : Il y a en effet depuis une décennie une tendance malsaine à toujours aller plus loin, vers plus d’originalité, et aussi de rechercher plus de risques, d’actions extrêmes avec son irrémédiable lot de  voyeurisme. J’ai parlé dans un de mes livres (Voyages pluriels, Livres du monde, 2011) de ce phénomène que j’ai notamment appelé le "voyageurisme", un néologisme qui relie le voyage et le voyeurisme, qui comprend également ce qu’on nomme "dark tourism" ou tourisme sombre en français. Dans nos contrées tempérées, le phénomène s’étend ces dernières années à mesure que s’étend également les crises, sociale, économique, et plus encore psychologique. La désespérance, le besoin de dépaysement et le manque de perspectives contribuent à jeter sur certaines routes inconnues et parfois sordides de nombreux jeunes en quête de nouveaux repères et avec une forte envie  d’adrénaline… Pour le meilleur mais le plus souvent pour le pire. 

Jean-Michel Hoerner : Un tel phénomène reste conforme au comportement des touristes partout dans le monde et aux réactions habituelles des populations réceptives. Dans un esprit général de "bashing", le tourisme international est évidemment très mal perçu. On confond le tourisme de masse qui rapporte très peu et suscite des réactions négatives des populations locales avec le tourisme international propre aux touristes aisés qui, par centaines de millions dans le monde, contribuent au développement économique de beaucoup de régions.

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