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Un jeu vidéo pour traiter les troubles de l’attention ? Ça se tente
©Reuters

Thérapie

Akili Interactive Labs, une entreprise américaine spécialisée dans la thérapie digitale, a développé un jeu-vidéo permettant à de jeunes enfants atteints de troubles de l'attention de travailler leur concentration.

Antoine Tanet

Antoine Tanet

Antoine Tanet est neuropsychologue au service Psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière, doctorant dans le laboratoire ISIR (Cnrs-Paris VI). Il exerce aussi en libéral à Tours.

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Atlantico :  Akili Interactive Labs, une entreprise américaine spécialisée dans la thérapie digitale a développé un jeu-vidéo permettant à de jeunes enfants atteints de troubles de l'attention de travailler leur concentration. Ce genre d'initiative s'est beaucoup développé aujourd'hui ? Comment-est ce que cela fonctionne ?

Antoine Tanet : Je crois qu'il y a deux principes : le premier qui est théorique est de faire un entrainement à une tâche par un jeu. C'est ce qu'on appelle le serious game, qui se développe de plus en plus, s'appuyant sur une présentation ludique où l'on cumule à la fois un environnement virtuel, plus souvent un avatar et qui propose un jeu demandant de retenir des informations ou prendre des décisions, et à manipuler toutes ces données dans votre tête. Ce sont des tâches qui font appel à l'attention qu'à ce qu'on appelle les fonctions exécutives en cognition. C'est-à-dire tout ce qui est le processus de pensée de plus haut niveau. Ces jeux fonctionnent en série, avec des points et donc une démarche stratégique et ludique derrière qui est assez écologique au sens premier du terme, c'est-à-dire qu'on met en place des jeux qui ont des formats de jeux et qui derrière sont contrôlés pour savoir ce qui a été entrainé.

Un deuxième aspect est le support technique. Jusqu'ici on faisait ces jeux sur ordinateur, mais désormais, comme le montre le cas d'Akili, on passe aussi par la tablette, ce qui n'est pas rien ni secondaire. Le fait de proposer un support qui est le plus agréable possible même dans son format participe au plaisir que peut avoir un individu ou un enfant à travailler. Or l'attention chez l'enfant, et il s'agit d'un fait sur lequel on progresse de plus en plus scientifiquement, se développe par le jeu. Et ce dès la petite enfance. L'attention se développe beaucoup pendant toute l'enfance jusqu'à l'adolescence et surtout par le jeu et le plaisir. Plus le format ressemble à un vrai jeu, plus le support est agréable et plus on a de chance que cela marche.

Il y a un paradoxe cependant : on sait que les enfants sont de plus en plus déconcentrés par l'usage fréquent et excessif des écrans, en particulier les portables et les tablettes. N'est-il pas contreproductif de passer encore par un écran pour "soigner" les problèmes de concentration ? Où s'agit-il au contraire de traiter le mal par le mal ?

Il est bon de rappeler trois points.

Premièrement, il faut bien voir que l'on parle d'enfants ayant déjà un trouble de l'attention. On ne parle pas d'un enfant lambda. On ne considère pas la même manière d'aborder l'utilisation d'un support s'il s'agit de l'un ou de l'autre.

Ensuite, il faut ensuite bien sûr prendre en compte la question de l'âge : plus on est jeune, plus la toxicité de l'écran est forte et donc moins le logiciel est adapté. On ne peut pas proposer un logiciel d'attention ou un jeu d'attention à un enfant de deux ans aujourd'hui. Cela n'existe pas.

Enfin, le type d'attention que vous aller développer est focal. Il ne faut pas oublier que les processus attentionnels sont multiples, et personne ne considère qu'on les a aujourd'hui bien définis. Il existe une attention au sens général qui est un processus contrôlé d'attention, mais aussi la détection, c'est-à-dire la capacité à percevoir un élément extrêmement rapidement. Les jeux-vidéos développent un certain type d'attention.

Et quand on dit que les écrans brouillent l'attention des enfants, c'est une question plus complexe qui passe par l'âge et par l'état d'apprentissage, à commencer par celui des formes et des textures. Quand l'apprentissage premier ne se fait pas dans un environnement réel, il y a de nombreuses techniques qui s'élaborent mal et qui vont avoir des répercutions sur l'attention. L'écran est un support qui fatigue, tout comme la lecture. Une activité visuelle est physiologiquement éprouvant, mais permet aussi de développer des facultés d'attention et de détection. Il faut donc bien s'attacher à la spécificité de l'enfant.

Un support numérique développe l'attention focale, comme l'ont montré de nombreuses études sur l'autisme ou les troubles de l'attention. Il y a une vraie vertu à l'emploi du numérique. C'est une question de temps et de diversité cognitive.

Akili Interactive envisage un passage au médical. Pensez-vous qu'on est prêt à intégrer ce genre de logiciel à des processus médicaux classiques aujourd'hui pour soigner les troubles de l'attention ?

C'est beaucoup plus délicat. Aujourd'hui, il y a beaucoup de démarches commerciales, menées par nombre d'entreprises privées qui développent des outils en neurofeedback ou en braintraining. Ils vont montrer que cela marche, mais sur des études qui d'un point de vue expérimental ne sont pas forcément démonstratives. Si on voulait montrer que cela marche sur les enfants, il faudrait montrer que cela marche sur 300 enfants, et que 300 autres enfants qui ont suivi un processus ordinaire ont une moins bonne amélioration. Les études en question ne suivent pas ce processus-là, d'où l'incertitude.

Il n'y a pas très longtemps, un papier écrit par François Villemonteix dans la Revue neuropsychiatrie de l'enfance a fait une revue de la littérature sur ces processus montrait qu'il n'y a pas aujourd'hui d'effet avéré sur l'attention. Une expérience très intéressante prenait un groupe d'individu et lui déclarait qu'on allait augmenter son QI et un autre à qui on dit qu'on va faire une série d'exercices. On leur fait faire la même chose, puis on leur fait passer une évaluation intellectuelle. On s'aperçoit que le groupe à qui on a dit qu'ils travaillaient leur QI a 10 points de plus que les autres. Il y a un effet placebo indéniable. Il faut donc aujourd'hui prouver que le processus que l'on met en place est supérieur à l'effet placebo.

Aujourd'hui, la seule chose qui a un effet supérieur à peu près supérieur à un effet placebo est la molécule, le fameux psychostimulant qui est très décrié car il a de réels effets secondaires. Donc si on peut avancer dans la démarche de prise en charge en montrant que les techniques par logiciels et supports tablette ont un effet sur l'attention, tout le monde s'en saisirait. On est à la recherche d'alternative non-médicamenteuse. Mais aujourd'hui encore, ce n'est pas avéré.73

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