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Un génome humain de synthèse : cette révolution scientifique qui pourrait ringardiser la science-fiction dans moins de 10 ans
©DR

Infiniment petit

Selon la revue scientifique American Association for the Advancement of Science, la recherche pourrait bientôt permettre de synthétiser, de modifier ou de réécrire le génome humain. Si elle est encore au stade d'étude, elle ouvre néanmoins de nombreuses perspectives pour la science du vivant.

Hervé Seitz

Hervé Seitz

Hervé Seitz est un chercheur spécialiste en biologie moléculaire. Il est rattaché à l'Institut de génétique humaine (IGH) de Montpellier.

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Atlantico : Selon la revue Science, la recherche pourrait bientôt permettre de synthétiser le génome humain. A quel stade en est-on du développement de ce procédé ?

Hervé Seitz : L'article qui vient d'être publié n'est pas vraiment une description de l'état de l'art, mais plutôt un article de prospective, qui fixe une direction à suivre, un objectif lointain (apparemment irréaliste). Libre ensuite aux décideurs politiques de suivre ces conseils, et de lancer des financements dédiés à cet objectif. Les auteurs de cet article expliquent que, selon eux et si on s'en donne les moyens, il sera bientôt possible de synthétiser un génome de la taille du génome humain, et de l'intégrer dans des cellules en culture, de façon à contrôler finement l'information génétique de ces cellules, qu'on pourrait ensuite utiliser pour tester différentes hypothèses biologiques, ou produire des organoïdes susceptibles d'être implantés chez un patient. Il faut savoir que, à l'heure actuelle, on ne peut pas fabriquer ex nihilo un génome de cette taille ; il existe des méthodes de fabrication de l'ADN, mais la taille des fragments d'ADN produits est très limitée. Quand un biologiste produit de l'ADN pour ses expériences, il ne fait que copier des séquences pré-existantes (toujours issues d'organismes naturels), éventuellement en y apportant quelques modifications limitées. La production de séquences tout à fait arbitraires, de très grande taille, est encore impossible.

En quoi consiste exactement ce procédé d'élaboration d'un génome synthétique ?

Les auteurs de cet article proposent de mettre à profit des progrès récents dans plusieurs domaines biotechnologiques, sur le plan de la synthèse d'ADN, et de la modification de séquences pré-existantes. La technologie CRISPR-Cas9, notamment, permet de modifier pratiquement à volonté le génome d'une cellule vivante, pour peu qu'on sache y faire entrer de l'ADN (ce qui est le cas de nombreux types cellulaires). Cette technologie a été développée à partir de la compréhension du mode d'action d'un système de défense immunitaire des bactéries : il faut savoir que les bactéries sont elles-mêmes attaquées par des pathogènes, des virus spécialisés dans l'infection des cellules bactériennes.

Des systèmes de défense ont évolué chez de nombreuses bactéries, qui leur permettent de détruire l'ADN des virus qui les infectent. En détournant ce système immunitaire bactérien, en le dirigeant vers des séquences d'ADN d'intérêt, on est désormais capable de détruire une région bien spécifique du génome, et de proposer à la cellule un ADN synthétique qu'elle utilisera pour remplacer la partie détruite. Ce genre d'expérience permet donc de remplacer, avec très peu de contraintes techniques, une séquence pratiquement quelconque par une séquence de choix. L'extraordinaire efficacité de cette technologie, sa très large applicabilité (chez de nombreux organismes), permet maintenant aux expérimentateurs d'"éditer" un génome, de modifier finement la séquence d'un gène d'intérêt, d'insérer dans le génome des gènes-rapporteurs qui permettent de mesurer des phénomènes de biologie moléculaire de manière peu invasive, ...

Inspirés par des progrès techniques aussi spectaculaires, les auteurs de cet article proposent donc de passer de l'âge de la "lecture" des génomes (c'est à dire : le séquençage, qui a permis d'établir la séquence complète de nombreux génomes), à l'âge de l'"écriture" des génomes, où l'expérimentateur pourra inventer un génome, l'introduire dans un système vivant, puis mesurer ses caractéristiques biologiques.

Que pourrait apporter la possibilité de synthèse du génome à l'être humain ? A l'inverse, quels seraient les risques d'une mauvaise utilisation d'un tel procédé ?

Les auteurs font remarquer que les précédents efforts internationaux en terme de biologie moléculaire ont eu de nombreuses retombées inattendues en matière biotechnologique : les efforts entrepris pour atteindre un objectif ambitieux permettent de réaliser plus facilement de nombreux objectifs plus modestes, mais qui restent inaccessibles à l'heure actuelle. Le simple développement des outils de synthèse de longs fragments génomiques permettrait à la recherche fondamentale d'explorer les fonctions de régions génomiques mal caractérisées. Les auteurs font également le pari que la synthèse de longues régions génomiques, contenant des gènes impliqués dans des maladies humaines, facilitera la compréhension des mécanismes de la pathologie, ou permettra de fiabiliser les méthodes de thérapie génique. Ils n'évoquent pas de caractéristiques précises (ils sont finalement assez peu nombreux, les caractères de l'organisme qu'on peut prédire efficacement à partir de la séquence des gènes ; la plupart des propriétés d'un individu - vous citez la beauté, l'intelligence - dépendent d'interactions entre de nombreux gènes, qui sont trop peu comprises pour pouvoir être utilisées avec confiance).

En ce qui concerne l'amélioration de notre compréhension des mécanismes pathologiques, on ne peut qu'être d'accord avec les auteurs de cet article ; à l'heure actuelle, la majorité des études en biologie moléculaire des pathologies humaines utilisent des systèmes simplifiés, très artificiels, qui n'ont plus grand'chose à voir avec la réalité de la maladie. Mais votre question met en évidence l'un des dangers potentiels que les chercheurs commencent à redouter : puisqu'il devient si facile de modifier un génome, puisque les auteurs de cet article anticipent même que la synthèse de novo d'un génome deviendra bientôt possible, des modifications génétiques de grande ampleur pourraient devenir facilement accessibles, et notamment à des laboratoires peu contrôlés.

Le bioterrorisme pourrait prendre une nouvelle dimension, si des personnes mal intentionnées arrivaient à produire des pathogènes artificiels ; les organismes génétiquement modifiés, qui suscitent déjà de nombreuses inquiétudes dans le public lorsqu'on a ajouté un ou deux gènes à une plante, pourraient être beaucoup plus lourdement modifiés ; certains chercheurs commencent aussi à s'interroger ouvertement sur les tentations de modification génétique de l'être humain : la limite n'est parfois pas très nette entre la thérapie génique et l'amélioration d'une caractéristique pré-existante ...

Pour toutes ces raisons, les auteurs de cet article commencent par préconiser une série de garde-fous, qui viseraient à assurer le dialogue entre les techniciens qui maîtrisent ces nouveaux outils, et le reste de la société. Qui garantiraient, aussi, qu'une part de l'effort de réflexion et de l'effort financier dédiés à ces recherches soit consacré au contrôle éthique et légal des découvertes qui en seront issues. Comme souvent quand une révolution technologique s'amorce, on est partagé entre l'espoir des bénéfices qu'on peut en espérer, et la crainte des nouveaux dangers qu'elle enfantera. Il est probablement sage de s'assurer que la recherche publique, contrôlée par des gouvernements responsables, soit la plus compétente possible dans ces domaines émergents, ne serait-ce que pour être en mesure de comprendre ce que feraient les autres acteurs (notamment les entreprises privées, ou sur un autre plan, les organisations terroristes).

C'est l'un des apports de l'article dont nous parlons : il a le mérite de mettre en lumière les différentes applications possibles de ces nouvelles technologies, et de revendiquer la compétence de la recherche publique, qui doit rester au service du public. Même quand les nouvelles connaissances sont porteuses de dangers potentiels (surtout quand elles sont porteuses de dangers potentiels), il est important qu'elles soient maîtrisées par la recherche publique, détachée des intérêts partisans et des intérêts financiers.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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