Ukraine : les Etats-Unis sont-ils encore à la hauteur ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Kamala Harris et Nancy Pelosi applaudissent Joe Biden alors qu'il prononce son premier discours sur l'état de l'Union au Capitole américain à Washington, le 1er mars 2022.
Kamala Harris et Nancy Pelosi applaudissent Joe Biden alors qu'il prononce son premier discours sur l'état de l'Union au Capitole américain à Washington, le 1er mars 2022.
©SAUL LOEB / POOL / AFP

Perte de vitesse

Pour certains observateurs américains, Joe Biden n’est pas loin d’une présidence faible à la Jimmy Carter. Les Etats-Unis conservent pourtant un rôle essentiel sur la planète comme au cœur de l’Occident

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Pour certains observateurs américains, Joe Biden n’est pas loin d’une présidence faible à la Jimmy Carter. Est-ce que l’on observe ? Cela explique-t-il une partie de la situation actuelle ?

Gérald Olivier :La présidence Carter (1977-1981) a été marquée par une série de crises : crise économique avec la stagflation,crise pétrolière avec pénurie et hausse du prix de l’essence à la pompe, une criminalité qui explosait dans les centres urbains et une crise internationale avec la révolution en Iran, la prise en otage des employés de l’ambassade américaine à Téhéran et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, etc.Or dans cette première année de présidence Biden on observe : un redémarrage de l’inflation, une crise énergétique, une crise migratoire, une criminalité qui explose, une crise internationale avec d’abord la débâcle du retrait d’Afghanistan et aujourd’hui une guerre tragique et d’un autre âge en Europe.La comparaison a donc tout son sens. L’Amérique de Joe Biden est perçue comme faible et la présidence de Joe Biden est déjà pire pour l’Amérique que ne le fut celle de Carter. La décision d’envahir l’Ukraine est la responsabilité de Poutine mais elle ait été facilitée par l’observation d’une certaine faiblesse des Etats-Unis et de l’Europe.

Barthelemy Courmont : La présidence de Joe Biden ressemble à une accumulation de promesses non tenues. La promesse d’un apaisement des tensions politiques en interne d’abord, après une présidence Trump clivante. Or, plus d’un an après son arrivée à la Maison-Blanche, le président américain n’est pas parvenu à enrayer la polarisation de la vie politique de son pays, et les élections Po-mandat, en novembre prochain, s’annoncent périlleuses. La promesse d’une efficace lutte contre la pandémie, également non tenue, comme en témoigne le nombre affolant de victimes du Covid aux Etats-Unis, près de un million selon les chiffres officiels (dont la moitié depuis un an), qui témoignent du fait qu’il n’y a pas eu de « miracle » Biden. La promesse d’une croissance économique et sociale, qui peine à se concrétiser. Et enfin la promesse du « retour » de l’Amérique, slogan de campagne de Biden. Or, le bilan frôle la catastrophe en politique étrangère, avec le retrait mal préparé d’Afghanistan, la maladresse de la création d’Aukus et l’incapacité à empêcher l’invasion de l’Ukraine. Pour la première fois depuis des décennies, et sans aucun doute bien avant la présidence de Jimmy Carter, les Etats-Unis ne semblent aussi désarmés sur la scène internationale et dans le même temps dans l’incapacité de répondre à leurs défis internes.

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A quel point la situation actuelle est-elle aussi la conséquence d’une faiblesse américaine depuis une vingtaine d'années ?

Gérald Olivier : Cette agression russe en Ukraine est la troisième de ce genre sur un ancien territoire soviétique en quinze ans, après la Géorgie en 2008, la Crimée en 2014. Évidemment par son ampleur, cette attaque contre l’Ukraine est la plus grave et la plus tragique. Avec Trump au pouvoir, Poutine a vu qu’il avait en face de lui quelqu’un d’aussi irascible que lui et qui croyait au rapport de force. IL n’a envahi personne. L’administration Biden veut défendre un « ordre international basé sur la règle du droit » comme le dit le Secrétaire d’Etat Antony Blinken. Position honorable mais naïve et dangereuse. Le droit sans le soutien de la force est bien faible.

Il y a donc un continuum de la faiblesse depuis 20 ans que l’on peut expliquer par deux choses. La première est l’idée que le monde a changé depuis la fin de la guerre froide et que les relations internationales ne sont plus basées sur la confrontation et le rapport de force, mais sur la bonne coopération, ce qui est complètement faux. Le contexte a changé mais les fondamentaux restent les mêmes. On le voit bien avec Poutine. On l’a laissé faire en Géorgie parce que Saakachvili l’avait provoqué, en Crimée parce qu’avant 1954ce territoire appartenait à la Russie, du coup il s’est senti en position de force pour reprendre l’Ukraine.

La seconde est de la part des Américains et des Occidentaux, l’idée que la guerre n’étant pas légitime elle doit être évitée. Ce qui est d’une naïveté tragique. Car si votre ennemi lui croit à la guerre, vous devenez incapable de le contrer. Barack Obama, en Syrie face à Bachar el Assad, a menacé d’intervenir en cas d’usage d’armes chimiques. Il les a utilisées et Obama n’a rien fait. La Russie qui défendait le régime syrien a alors vu un pays qui n’était plus prêt à aller en guerre pour défendre ses intérêts. C’est là où la faiblesse américaine est criante. Pour éviter une guerre en Ukraine, il aurait fallu que les Américains tracent une ligne rouge avec autre chose que la simple menace de sanctions économiques. Poutine n'en a rien à faire des sanctions économiques. Poutine n’en a rien à faire du sort des Russes individuellement. Il poursuit son idée d’une Russie puissante et crainte, même pauvre. C’est tout l’inverse du modèle américain basé sur la poursuite du bonheur individuel.

Barthelemy Courmont : La présidence de Joe Biden s’inscrit dans une perte d’influence progressive des Etats-Unis, mais aussi d’une perte de crédit. Le temps du « nous sommes tous américains » du 11 septembre 2001 semble loin, et le temps de l’omniprésence de Washington dans la résolution des problèmes sécuritaires aussi. Biden ne porte ainsi pas plus de responsabilité que ses prédécesseurs, Républicains et Démocrates, qui ne parvinrent pas à enrayer cette perte d’influence.

Pour autant, même si conjoncturellement l’Amérique est faible, les fondamentaux de la puissance ne demeurent-ils pas en place ?

Gérald Olivier : Évidemment, les fondamentaux de la puissance américaine demeurent mais ce ne sont pas ces fondamentaux qui vont empêcher la Russie d’écraser Kiev sous les bombes si c’est ce que Poutine décide de faire. Personne n’est capable de l’arrêter car personne ne veut risquer l’escalade de cette guerre. Les Etats-Unis sont toujours la première puissance mondiale militairement, économiquement, intellectuellement, culturellement, etc. Sur le plan économique, le PIB américain est dix fois supérieur au PIB russe. Le revenu par habitant aux Etats-Unis est beaucoup plus élevé qu’en Russie ou qu’en Chine. Sur le plan militaire, le budget de la Défense américain est supérieur à celui des quatre ou cinq pays qui le suivent cumulés. Le pays a plus de 800 bases militaires dans le monde, donc une présence planétaire. Le pays a aussi des ressources énergétiques considérables, notamment en pétrole. C’est aussi une économie qui continue d’innover. Toutes les innovations viennent encore des Etats-Unis, les Chinois ne font que copier. Les meilleurs professeurs sont toujours aux Etats-Unis, qui compte plus de prix Nobel que le reste du monde . La puissance américaine est indéniablement toujours là.

Mais la puissance c’est aussi un choix. Il faut qu'on veuille la maintenir et cela a un prix.Aujourd’hui, au nom du réchauffement climatique, l'administration Biden a renoncé à l’indépendance énergétique. C’est une erreur stratégique majeure. Les Etats-Unis importent près d’un million de barils de pétrole par jour de la Russie alors qu’il y a encore un an ils vendaient du gaz à l’Europe. Comment voulez-vous imposer des sanctions économiques à un adversaire dont vous dépendez pour votre alimentation énergétique. L'administration Biden n’est pas à la hauteur de ces exigences de puissance.

Barthelemy Courmont : Les Etats-Unis restent, et resteront, une puissance de premier plan. Ils continuent également de porter des valeurs dans lesquelles se retrouvent les démocraties occidentales, et conservent une très grande influence sur leurs partenaires. Mais cette influence est désormais contestée par la Chine et, dans une moindre mesure, par la Russie. Derrière l’émoi légitime dans le monde occidental, que remarque t’on dans la crise ukrainienne actuelle? Que le discours américain porte en Europe (sans cependant placer Washington dans un rôle de leader), mais que dans le même temps la plupart des pays asiatiques, africains et meme américains. (Mexique, Brésil, Argentine…) refusent de condamner l’agression russe. Le monde occidental est plus isolé qu’il ne le croit. Cette crise risque également de conforter la position de la Chine à la fois dans sa relation avec Moscou (qui par mouvement de balancier se tournera savers Pékin comme conséquence de son rejet en Occident) et à la faveur de son discours apaisant, là où l’administration Biden porte une responsabilité dans son incapacité à proposer une alternative aux ambitions russes, et dans sa tendance à jeter de l’huile sur le feu. En d’autres termes, les Etats-Unis demeureront un acteur de premier plan sur les questions stratégiques, économiques, culturelles ou technologiques, mais de leader incontournable et incontesté, une hyperpuissance, ils sont désormais une grande puissance confronté à des rivalités.

Quelle est la résultante de cette faiblesse apparente et de la persistance de ces fondamentaux de puissance ? Quelles conséquences cette situation a-t-elle et peut-elle avoir ?

Barthelemy Courmont : Ce déclin de la puissance américaine, son influence et son leadership n’est pas une bonne nouvelle. L’unipolarité née de la fin de la Guerre froide avait ses défauts mais aussi ses vertus, et l’implication de Washington dans les enjeux sécuritaires se traduisait par une stabilité, souvent qualifiée de pax Americana. Mais cette période, qui a atteint son paroxysme dans les années 1990, est révolue. Le désordre mondial actuel est le résultat de cette absence de leadership, et les incertitudes sécuritaires en sont la manifestation. L’impuissance de Washington se traduit par une forme d’hystérie et dans le même temps une absence d’engagement. C’est exactement ce que l’on observe dans la gestion de la crise ukrainienne, où Washington joue assez maladroitement le jeu de la surenchère avec Moscou dans le discours, mais brille par son retrait dans les actes. La vacance du leadership américain ouvre ainsi potentiellement la voie à des tensions et des conflictualités. Aujourd’hui l’Ukraine, demain peut-être la Bosnie, comme un symbole quand on se souvient qu’au milieu des années 1990, c’est l’arbitrage des Etats-Unis qui avait rendu possible l’accord sur l’héritage nucléaire soviétique impliquant notamment Moscou et Kiev, et les accords de Dayton mettant fin au conflit bosniaque. L’histoire ne se répète pas, et on ne joue pas une nouvelle Guerre froide: les compétitions actuelles sont potentiellement plus inquiétantes que la bipolarité et l’équilibre qui la caractérisait, et plus instables que l’unipolarité qui se conjugue désormais au passé.

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