Turquie : Erdogan en tête au premier tour de la présidentielle<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président turc Tayyip Erdogan, accompagné de son épouse Ermine Erdogan, salue ses partisans au siège du parti AK à Ankara, en Turquie, le 15 mai 2023.
Le président turc Tayyip Erdogan, accompagné de son épouse Ermine Erdogan, salue ses partisans au siège du parti AK à Ankara, en Turquie, le 15 mai 2023.
©ADEM ALTAN / AFP

Sur fond de tensions

Même si les sondages laissaient planer le doute, Recep Tayyip Erdoğan au pouvoir depuis 2003 est arrivé largement en tête de l’élection présidentielle de 2023 au premier tour avec 49,35% des suffrages exprimés passant à deux doigts de l’emporter sur son adversaire, Kemal Kılıçdaroğluqui. Ce dernier est crédité de 45% des voix. Son âge (74 ans) et le fait qu’il soit Alévi ont pu - dans une petite mesure - jouer contre lui.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Le troisième candidat en lice, Sinan Ogan, membre du Parti d’action nationaliste, classé à l’extrême droite, a tout de même recueilli plus de 5,22% des voix. Il ne donne pas de consignes de vote pour le deuxième tour.

Chose curieuse, alors qu’il s’était retiré de la course, Muharrem Ince a tout de même obtenu 0,43% des voix. Cela est dû au fait que les bulletins de vote uniques présentant quatre candidats (il fallait cocher la case correspondant à son vote) n’avaient pas eu le temps d’être réimprimés. Certains électeurs ne savaient pas qu’Ince ne se présentait plus. 

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Ces résultats peuvent encore légèrement évoluer car de nombreuses contestations ont été déposées mais ils ne devraient pas changer la tendance générale. D’ailleurs, Erdoğan semblait accepter la tenue d’un second tour dans quinze jours.

Les observateurs occidentaux avaient avancé que la crise économique, l’inflation, les 50.000 morts du dernier tremblement de terre et la jeunesse allaient changer la donne et que l’ère Erdoğan était terminée.

Ils avaient oublié que le président Erdoğan, aux yeux de nombreux électeurs, a défendu haut les couleurs de la Turquie en n’acceptant aucune compromission extérieure. Discutant d’égal à égal avec les plus grands (Trump, Poutine, Xi Jinping, etc.), pour beaucoup d’entre-eux, il leur a rendu leur fierté.

Un parcours sinueux mais emprunt de fermeté, pour ne pas dire violence.

Certes, il est parvenu au pouvoir grâce aux Frères musulmans représentés par la confrérie Gülen, mais, après l’armée - qu’il s’est ingénié à « casser » à la grande satisfaction des Européens, car elle représentait un risque pour son pouvoir -, il les a remis à leur place.

Ne tolérant pas de voies discordantes, il a fait poursuivre en justice tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, journalistes, avocats, intellectuels, hommes et femmes politiques (surtout des Kurdes), etc. Même les personnalités de son propre parti - comme l’ancien président Abdullah Gül, 2007-2014 - ont compris qu’il fallait faire profil bas.

Sur le tard, il s’est retrouvé des liens avec Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne. Il aurait bien aimé le ranger sur les étagères de l’Histoire, mais pragmatique, il s’est rendu compte qu’il était le ciment de la nation turque.

Cette évolution est un de ses nombreux demi-tours dont il a le secret.

Les supposées ingérences étrangères

Le leader de la coalition d’opposition à Erdoğan et président du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kılıçdaroğlu avait accusé le 11 mai Moscou d’ingérence dans l’élection présidentielle turque en ces termes : « chers amis russes, vous êtes derrière les fabrications, les complots, les fausses nouvelles et les enregistrements exposés hier dans ce pays. Si vous voulez que notre amitié se poursuive après le 15 mai, laissez l'État turc. Nous sommes toujours en faveur de la coopération et de l'amitié.»

Il est vrai que le Kremlin se méfie d’une nouvelle administration qui pourrait se mettre en place à Ankara car elle pourrait lui être moins favorable. Pour mémoire, la Turquie contrôle le détroit des Dardanelles qui commande l’accès à la Mer noire, est partie prenante dans les exportations agricoles ukrainiennes et russes, est un important client économique pour Moscou et que les Russes peuvent toujours y séjourner pour tourisme ou affaires (les ventes immobilières turques ont connu un accroissement vertigineux depuis 2014.) Les avions et navires russes peuvent y voyager et même y séjourner (de nombreux yachts y sont présents) sans risque d’être saisis comme cela l’est ailleurs en raisons des sanctions décrétés contre Moscou.

En dehors de l’« affaire Muharrem İnce », l'un des quatre candidats initiaux à la présidentielle qui s’est retiré de la course à la présidentielle le 11 mai suite à la révélation de vidéos - présumées fausses - à caractère sexuel, il est délicat de dire quelle a été l’influence réelle de Moscou.

Commentant le retrait de Muharrem İnce de la course présidentielle, le ministre de l'Intérieur Süleyman Soylu avait de son côté accusé les États-Unis d'interférer dans les élections turques en ces termes : « l'Amérique a interféré avec cette élection depuis le tout début. » Il a aussi affirmé que le président américain Joe Biden avait déclaré dans le passé que son pays n'était pas en mesure de s'immiscer dans la politique turque au moment de la tentative de coup d'État de 2016 (une hypothèse que l’AKP avait alors soulevé.), « cette fois, nous le ferons avec une élection et non un coup d'État […] .»

Plus généralement, Washington soutenait Kılıçdaroğlu car Erdoğan est considéré comme incontrôlable.

Le troisième candidat en lice, Sinan Ogan, membre du Parti d’action nationaliste, classé à l’extrême droite, a tout de même recueilli plus de 5,22% des voix. Mais proche du parti du mouvement nationaliste (MHP) qui soutient le président Erdoğan, il n’a pas donné de consignes de vote mais la majorité de ses voix risque surtout d’aller vers le président sortant.

Erdoğan aura la majorité absolue au parlement 

Il reste maintenant les élections législatives or la Turquie n’a jamais expérimenté la « cohabitation ». Mais il semble que l’AKP allié au MHP obtiennent la majorité absolue avec 49,31% des suffrages exprimés donc 321 siège à l’Assemblée. Avec 35,18% des suffrages exprimés, l’opposition composée de six partis surnommée « l’Alliance de la Nation » ou « Table des Six » en obtiendrait 213.

Enfin, l'Alliance du Travail et de la Liberté (Emek ve Özgürlük İttifakı) également connue sous le nom de « Troisième Alliance » qui regroupe des formations séparatistes (kurdes), communistes, libérales, écologistes, etc. obtiendrait 66 sièges avec 10,52 des voix.

La déception doit être très grande à Washington et dans la plupart des capitales européennes. Il va falloir « faire avec » car l’élection remplissait toutes les cases du processus « démocratique. »

Il va être intéressant de voir ce qui va se passer dans les quinze prochains jours.

Le seul véritable problème d’Erdoğan est sa santé - qui a semblé chancelante lors de la campagne électorale - d’autant qu’il ne semble pas encore avoir préparé sa succession (mais en homme intelligent, il doit y penser.) 

Que personne ne se fasse d’illusions, Erdoğan et la Turquie sont et restent des « non alignés. » Aucune pression extérieure ne peut être admise et provoquerait au contraire une réaction de rejet des gouvernants mais aussi d’une majorité de la population. Et surtout, la Turquie a une position géographique si cruciale entre l’Orient et l’Occident que personne ne peut se permettre de la négliger.

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